Les entreprises face à  leur miroir

miroirL’atelier vient de produire une excellente étude sur les blogs en entreprise dont la conclusion annoncée dès le titre est « la blogosphère reste aux portes de l’entreprise ». La lecture de l’article me donne des frissons dans le dos. Bien sur il existe toujours des risques induits par toute nouvelle forme d’expression. Mais des opportunités existente également…

Je comprend que l’on désire minimiser les uns et maximiser les autres. Mais là  ça n’est pas de gestion des risques qu’il est question, c’est de cessité managériale et de sclérose entreprenariale.

Après avoir constaté que les chefs d’entreprises et autres drh étaient au fait du phénomène blog et en connaissaient les opportunités, l’aricle montre leur grande réticence à  franchir le pas.

« Alors pourquoi autant de réticence ? L’étude indique que 67 % des patrons interrogés considèrent qu’il serait nécessaire de mettre en place des règles dans l’entreprise pour sanctionner les blogs . 3 % auraient d’ailleurs modifié les règlements de l’entreprise après avoir constaté que leur nom figurait dans des blogs. »

Je suis sur qu’un de mes anciens responsables et son entreprise sont heureux de lire que dans un de mes anciens billets je disais combien j’avais été heureux de faire un bout de chemin avec eux, d’avoir appris tout ce que j’y ai appris, de louer la confiance qu’ils ont mis en moi et qui m’a permis de progresser d’autant plus vite…bref que j’avais connu une expérience unique dans ce grand cabinet grâce à  eux. D’ailleurs qui ne serait pas satisfait de lire de tels propos.

Bien sur j’aurais pu écrire le contraire. Encore fallait il qu’on m’en donne les raisons. Avoir peur que les autres parlent de vous ne signifie t’il pas qu’on est convaincu que le résultat ne sera guère valorisant? Dans ce cas ce n’est pas le média qui est en cause, mais le contexte de l’entreprise. Etre certain que l’opinion sera négative c’est reconnaitre une forme d’échec interne. Un responsable qui interdit à  ses salariés de s’exprimer sur des blogs c’est Quasimodo qui interdit les miroirs histoire de n’avoir jamais la preuve de son aspect disgracieux.
Je souligne par ailleurs que la loi encadre strictement la liberté d’expression des salariés, tenus à  un devoir de loyauté vis à  vis de leur employeur ainsi qu’au respect du secret professionnel.
Et si le challenge était de dire: « tout va mal…changeons les choses et laissons les salariés prendre la parole ». Ce qui revient à  se dire: je dois nettoyer devant ma porte pour qu’on dise du bien de mon entreprise. Et en général le nettoyage a des effets positifs bien au delà  du discours des salariés. Ah bien sur il faut du courage. Quitte à  être provocateur j’ajouterai que laisser perdurer une situation interne à  ce point insatisfaisante qu’on est certain d’avoir mauvaise presse, lorsqu’on est décideur, c’est de l’incompétence flagrante. A moins que le travail d’un top manager soit de fabriquer des bombes sociales à  retardement…
Bien sur SUN, IBM, Microsoft laissent leurs salariés bloguer, voire les incitent. « Ah non chez moi c’est pas possible… ». Lorsque IBM reconnait que les blogs de ses salariés lui permettent en plus de conquérir de nouveaux marchés en mettant en valeur des expertises individuelles que faut il penser? Que les dirigeants des trois entreprises en question (et de nombreuses autres moins connues) sont bons pour l’hopital psychiatrique?
On préfère laver son linge sale en famille? On peut se contenter de plateformes d’échange internes qui en plus auront le mérite d’avoir un intéret « managérial » supérieur, vu qu’on reste entre nous.

Car ce qui est important n’est pas ce que les gens disent, mais ce qu’ils pensent.

Ca n’est pas parce qu’on empêche les gens d’exprimer un désaccord que le désaccord n’existe pas. Ils en parlent entre collègues et minent l’ambiance d’un service, en parlent à  leurs amis (« cette boite c’est de la m… »), pis, peuvent ouvrir un blog anonyme pour déverser leur fiel. Et puis, je le répête, on ne peut empêcher légalement un blogueur de parler de son travail, de son entreprise, tant qu’il le fait avec loyauté, respecte le secret professionnel…bref le fait de manière honnête. Dès lors qu’il dépasse ses barrières il est hors la loi…. De toute manière le problème reste le même: si j’ai peur qu’on dise du mal de moi c’est qu’il y a des raisons, il n’appartient qu’à  moi de faire en sorte qu’on veuille bien dire du bien de ma personne.

« Mais que signifie cette agitation? »

« Oh rien votre altesse, ce ne sont que quelques manants dans la rue qui tiennent des discours vides de sens »

C’est à  peu de chose près les échanges que feu Louis XVI devait avoir avec ses conseillers. On ne me dit pas que le peuple est mécontent donc il est heureux. Avec la suite que l’on sait.

Ce que je veux dire de manière volontairement exagérée dans les lignes qui précèdent c’est qu’on ne peut pas empêcher les individus de s’exprimer. La question est: le feront ils avec vous ou sans vous?

L’article de l’Atelier le prouve: les entreprises qui laissent les salariés bloguer sous leur banière doivent les inciter à  moins d’autorégulation. On leur donne une liberté qu’ils ne veulent pas galvauder, prennent cette marque de confiance au sérieux. A l’inverse, interdire par principe suscitera nombre de vocations de cryptoblogueurs…et là  effet négatif garanti.

Les entreprises justifient majoritairement leur non-adoption du blog par des arguments liés à  la responsabilité du « gestionnaire » qui devra apporter des réponses aux internautes et alimenter le blog. D’ailleurs, à  supposer que le blog fasse finalement son entrée dans les entreprises, la majorité des dirigeants seniors avouent qu’ils ne le rédigeraient pas eux-mêmes.

Tout est dit. On a peur d’être transparent. Aujourd’hui, je le concède, c’est une faculté. Demain la transparence sera une norme. Obligation de communiquer. Obligation de se justifier. La norme sera légale, comme une sorte d’extension des obligations de transparence qui pèsent sur les socités cotées, ou sera de fait. De fait car des retournements démographiques prévisibles, la difficulté d’attirer des compétences, l’exigence des investisseurs « éthiques » obligera à  la transparence. A la tranparence et à  la discussion. L’entreprise est acteur d’un écosystème, entretient des relations avec son environnement. Tantot en position de force, tantot en position de faiblesse. L’abus d’indifférence lorsque le contexte est favorable peut se payer cher le jour où vous devez à  nouveau convaincre et séduire.

Si je devais synthétiser cette étude je dirais « l’outil est plein d’atouts et d’opportunités mais nous avons peur ». Peur d’être confronté à  son image? Peur de rendre compte de son oeuvre? La peur est légitime et en aucun cas condamnable. Ne rien faire pour la surmonter lorsqu’on a conscience des opportunités est beaucoup plus discutable. Le décideur qui a peur ne doit en aucun cas être critiqué mais accompagné et soutenu dès lors que la conscience qu’il a de sa peur traduit de manière induite la connaissance des gains qu’il y aurait à  la vaincre. Ce qui est tout à  son honneur.
Et encore une chose: ils sont nombreux à  être heureux de leur travail, fiers de leur entreprise. Ca vous ferait plaisir qu’ils le clament sur tous les toits non?

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Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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