L’entreprise 2.0 face à  la productivité (1) : approche contextuelle

Comme promis et avec un brin de retard quelques pensées suite au débat pertinemment lancé par Rodolphe Helderlé sur la notion de productivité à  l’aune de l’entreprise 2.0 (ou des outils 2.0… mieux vaut attaquer la réalité de la question de s’échiner sur des questions de périmètre). J’en profiterai pour distiller quelques réflexions sur le ROI de ces mêmes sujets, les deux sujets étant intimement liés. Bien entendu je ne prétend en aucun cas avoir la formule magique et toute réflexion sur des phénomènes en cours de maturation ne peut pas essence être exacte sauf à  savoir prédire l’avenir. En attendant donc le marc de café 2.0, essayons de prendre un peu de recul sur ce que nous pouvons constater concrètement aujourd’hui. Et comme j’ai promis de ne plus faire des notes de 15 pages, celle-ci sera donc divisée en différentes parties publiées au long de la semaine.

Productivité : de quoi parle t-on ? Faisons donc confiance à  wikipedia :

En économie, la productivité correspond à  la production (en terme de biens ou de quantité de services produits) obtenue pour unité de facteur de production utilisée. Ce facteur de production est en général le travail (mesuré en temps de travail et en personnes).

On peut mesurer également la productivité par quantité d’énergie utilisée ou la productivité d’une unité de production ou d’une chaîne de production.

De ce fait les principales critiques adressées à  l’entreprise 2.0 concernent le fait qu’elles font perdre du temps au collaborateur : une plateforme « sociale » (dans l’acception anglo-saxonne du terme) ne vaut qui si elle vit, donc si les individus participent et l’alimentent. Le temps pris y arriver détourne donc les salariés de leur tche de production donc fait baisser la productivité. Imparable et juste.

En effet produire de l’information n’est pas produire quelque chose qui sera vendu par l’entreprise. En est on si surs ? Dans une usine Ford dans les années 50…je suis d’accord, dans une entreprise du secteur des services, un département marketing, un pôle de recherche et j’en passe en 2007 je me pose la question. Si quelqu’un peut m’avoir le ratio entre la composante materielle et immatérielle du prix d’une voiture aujourd’hui je suis preneur : études, design, marketing…même les pièces mécaniques demandent un travail pharaonique en termes de conception avant de devenir une pièce physique à  produire.

Cela méconnait une autre réalité propre à  l’information : on sait mesurer son coût de production (x heures d’un individu) mais en aucun cas sa valeur d’usage : je prend dix minutes pour publier une information ou une analyse, je sais combien cela coute. Un individu réutilise cette information dans le cadre de son travail : il n’a pas à  mener cette réflexion lui-même donc il gagne du temps, ce n’est d’ailleurs surement pas son rôle de la mener donc il aurait du chercher la personnes susceptible de lui donner l’information nécessaire (pour convaincre un client, pour avancer dans un projet…) ce qui est une première perte de temps (imaginez qu’ils ne soient ni dans le même service, ni sur le même site), puis lui demander de produire une réflexion tout en sachant que cela peut perturber les tches de la personne en question. L’information sera, de fait, disponible plus tard et non de suite vu que le premier n’aura pu être proactif. Vous voyez le temps perdu ici ? J’ajoute qu’une information sert plusieurs fois à  plusieurs personnes…donc prendre 10 minutes pour en faire gagner 5 à  200 personnes…. si ça n’est pas de la productivité ça !

Combien de fois sommes nous bloqués car il nous manque une information ou un retour d’expérience d’un collègue pour avancer sur un dossier. Tant qu’on a pas trouvé la bonne personnes qui va nous donner la bonne information, nous expliquer le projet similaire qu’il a déjà  mené, nous faire bénéficier de l’historique qu’il a déjà  avec ce client ou tout bonnement nous donner un petit « truc » pour démarrer (un senior qui a 25 ans de maison est une mine d’or !)…et bien nulle question de productivité car en attendant….on ne fait rien. On attend de trouver ce qui va nous permettre de commencer à  produire.

J’ajouterai que dans une entreprise, aujourd’hui, beaucoup de choses dépendent de la capacité des individus à  intéragir entre ceux, c’est à  dire à  établir des échanges ou transactions entre eux. Et que les outils de social computing, en plus de faire baisser le cout unitaire de chaque transaction permet en plus la réalisation de transactions qui n’auraient tout simplement pas eu lieu sans eux.

Bien sur on peut dire qu’en 2007 l’information n’est pas du tout le nerf de la guerre. Mais visiblement les spécialistes pensent le contraire.

Ma démonstration, je le reconnais, n’est valide qu’à  condition de tenir pour acquis un postulat : le cout est identifié localement et le gain globalement. C’est mon service, ma business line, ma division…qui me paie et le gain peut concerner des personnes situées dans d’autres services / BL / BU… Cela suppose donc que l’efficacité d’une entreprise n’est pas la somme de celle de ses composantes. Mais quelque chose me dit que c’est une donnée dont les décideurs ont conscience depuis longtemps.

Vous l’avez compris, il me semble bien que ça n’est pas la discussion entreprise 2.0 vs. productivité que je remet en cause car elle est essentielle, mais bel et bien ce que l’on met derrière le terme productivité en 2007. Ne serait-ce que parce qu’un facteur nouveau est apparu : dans la conception traditionnelle, si l’on considère l’information, elle rentre dans la catégorie des « choses à  produire » alors qu’aujourd’hui elle est à  la fois « chose à  produire » mais également « moyen de production ». Une partie est valorisable à  la vente et l’autre est quasiment auto-consommée. Prendre donc le temps de produire et partager une information pertinente au regard des besoins des collaborateurs c’est donc produire soi-même une partie des matières premières dont l’entreprise a besoin. Pour visualiser ceci en termes de ressources, et donc comptablement, c’est la différence entre rendre disponible à  tous les expertises internes (et conserver la connaissance indépendamment du départ de l’individu qui les détenait) ou faire appel à  un (voir plusieurs) experts extérieurs à  x milliers d’euros la journée pour vous transférer une connaissance déjà  présente dans l’entreprise sans qu’on sache qui la détient (voire qu’elle est détenue).

En fait tout dépend de la réponse à  la question suivante : « l’information est elle une donnée clé de la performance de l’entreprise ? Ai-je besoin d’identifier et mobilier l’ensemble des expertises et connaissances passées et actuelles de l’entreprise afin d’améliorer sa performance (performance prise au sens large) ? ». Si vous répondez « oui », c’est que vous avez conscience du changement de paradigme nécessaire c’est c’est principalement de cela qu’il est question : prendre conscience que le contexte dans lequel évolue l’entreprise ainsi que les leviers de performance ont évolué depuis le milieu du siècle dernier.

J’ajouterai que les dynamiques liées à  l’entreprise 2.0 ne sont pas forcément chronophages : l’UGC (User Generated Content pour les intimes) ça n’est pas forcément pondre des analyses de 10 pages tous les jours, c’est parfois signaler en 5 secondes que l’on a remarqué un contenu pertinent sur un sujet précis et le mettre à  la disposition de toute personne intéressée (qui retombera dessus en surveillant des mots clés pertinents par rapport à  son travail quotidien). Cela s’appelle le social bookmarking et vous en avez un aperçu sur ce blog : quand je trouve un article intéressant je le « marque » et lui affecte quelques mots clés, sa référence est publiée sur ce blog et vous pouvez avoir accès à  tous les contenus que j’ai ainsi remarqués en allant visiter ma page del.icio.us, y faire des recherches par mot clé et vous abonner éventuellement à  son contenu par RSS. Cela me prend 2 secondes de le faire mais vu le nombre de personnes qui cliquent sur ces liens et consultent cette page je pense rendre productif un bon millier de personnes chaque jour qui n’ont pas à  faire ces recherches elles-mêmes et qui se servent de ces sources pour leur travail.

Tout dépend donc en fait de ce qu’on appelle productivité aujourd’hui et si on la mesure de manière locale ou globale.

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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