Vous voulez que vos collaborateurs intéragissent plus ? Utilisez leur égoisme

Dans la masse des projets estampillés 2.0, j’en remarque de deux sortes : les uns plus orientés réseaux sociaux, les autres concernant davantage le fait de porter « sur le cloud » des applications de bureau classiques. Les deux ne répondent pas aux mêmes besoins et chacun a ses obstacles. Dans un cas il s’agit de changer la manière dont les collaborateurs travaillent, de l’autre on ne fait que leur demander d’utiliser un navigateur au lieu de leur logiciel habituel, ce qui me fait dire que c’est plutôt Office 2.0 qu’entreprise 2.0. Si surmonter les réticences des DSI est dans les deux cas un chantier qui n’est pas négligeable, l’Office 2.0 est moins sensible coté adoption puisqu’il ne remet pas en cause les comportements de chacun : on continue à  écrire des documents, à  remplir des feuilles de calcul, mais dans une autre interface (attention, je ne dis pas que ça se fait tout seul non plus). J’ajouterai aussi que utiliser des outils tels que Google Docs permet de faire un pas de géant dans la collaboration (ou plutot la co-construction ou co-realisation) de documents. Toutes les personnes que je connais qui ont travaillé sur les deux types de projet m’ont tenu le même discours « Office 2.0 c’est quand même plus simple (ou moins compliqué) qu’Entreprise 2.0. Et pourtant il y a une dimension collaborative même si elle est moins poussée ». Il est important de bien réfléchir à  ce que cela veut dire.

Qui accepterait de rendre public tout ce qu’il écrit sur son traitement texte ? Personne. Par contre commencer un travail seul et inviter des collaborateurs au fur et à  mesure parce qu’on a besoin qu’une personne rédige une partie sur son sujet d’excellence, qu’un autre relise et enrichisse et parce que ça permet au chef de voir ce qui se passe sans avoir à  lui faire un rapport tous les jours, cela a du sens. On fait seul et on élargit le périmètre du capital humain, social et connaissance « utilisé » au fur et à  mesure qu’on est bloqué, qu’on est face à  ses propres limites ou qu’on se rend compte que seul on ne finira jamais dans les temps. Je pense que l’entreprise 2.0 a à  apprendre de ce coté là , notamment pour ce qui est de l’adoption. Le moteur du collaborateur est le « moi, mes objectifs, mes tches, mes problèmes » et pour le faire rentrer dans la logique qui l’amènera à  se mettre au service des autres, il faut qu’il voit d’abord comment la dite logique va le servir lui. Et de la même manière qu’il se résoud à  « inviter » du monde sur son google doc, il initiera ces fameuses conversations si chères à  la culture 2.0

C’est la confirmation que pour 99% des collaborateurs,les choses ne sont pas « sociales » par nature mais par besoin. Que tout part d’une tache (personnelle), de limitations (personnelles) rencontrée et du besoin de rendre tout cela collectif pour s’en sortir. Une telle logique peut amener à  un partage assez systématique non parce qu’on a dans l’idée de partager mais parce qu’on se rend compte que c’est nécessaire. A l’inverse, le partage systématique qui ne serait pas le résultat de ce cheminement va à  l’encontre de la nature des gens et, encore plus que d’être contre nature, tend à  provoquer une certaine appréhension.

Que faut il en conclure ?

– en termes de pratiques : si on veut « éduquer » le collaborateur, il faut partir de sa vraie situation, de son travail quotidien, de ce qu’il doit faire, des process qu’il respecte et construire la logique sociale autours. Croire que le quotidien, le structurant, s’adaptera au social est une erreur. Dans l’arbitrage permanent auquel chacun se livre (faire ou ne pas faire, quoi prioriser), le combat social vs. process sera toujours gagné par le process (ce que je trouve même rassurant). Et le seul moyen d’éviter d’opposer les deux est de les articuler, de les rendre complémentaires. Un lien qui peut être assuré par la routine sociale.

– en termes d’outillage : le ou les outils choisis doivent permettre au collaborateur de suivre la logique mentionnée plus haut. De partir de lui et de ses problèmes pour arriver à  s’ouvrir aux autres. Cela lui permettra d’envisager le partage non comme une contrainte, un risque mais comme une solution. Cela veut dire que l’outil doit être perçu comme un outil de travail et de productivité personnel même pour ceux qui sont hermétique à  la logique sociale, qu’il soit utilisé et utilisable même par ceux qui ne partagent pas ou peu. C’est le seul moyen pour que tout le monde mette la main dans l’engrenage ce qui aidera les éléments moteurs à  trainer les autres (il est plus difficile de faire bouger quelqu’un qui a décidé de ne pas utiliser l’outil…alors que si il a une raison, même mauvaise, d’y aller…)

Et l’on voit réapparaitre le serpent de mer du BPM et de la construction de logiques et d’intéractions sociales autours de vils ERP et autres CRM… Si je ne vois pas un seul outil gérer à  la fois les données formelles et informelles, il sera exigé à  terme que l’on passe de l’un à  l’autre en un clic, que le « social » démarre mécaniquement, spontanément (donc une mécanique humaine ET logicielle à  mettre en place) à  partir des processus structurants.

PS : c’est bien sur une solution moins élégante, moins dans une logique « puriste », que celle qui consiste à  organiser un feu d’artifice social généralisé qui ne laisserait aucune alternative au partage et à  l’intéraction. Peut être même une solution de transition. Mais qui a l’avantage de se servir de l’existant et de la nature profonde des individus comme d’un levier plutôt que de s’y opposer.

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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