L’entreprise a-t-elle quelque chose à  apprendre de Foursquare ?


Chaque année (voire chaque semestre) voit arriver un service qui défraie la chronique sur le web. Et comme de bien entendu, avant même de savoir dans quelle mesure le succès sera pérenne et trouvera son business model dans la durée, on l’imagine déjà  comme une brique nouvelle et incontournable qui transformera l’intranet des entreprises et supportera des usages nouveaux qui feront (enfin) de l’enterprise social software un pilier incontournable du logiciel d’entreprise.

En ce début d’année 2010, la bête curieuse du moment se nomme Foursquare et on lui prédit déjà  ici et là  un avenir brillant dans l’entreprise. J’y ajouterai également Gowalla, plus récent mais dont certaines particularités méritent qu’on s’y attarde ainsi que Whrrl, pas encore « ‘officiellement » utilisable en France.. Alors, s’agit il d’une lubie de plus qui fera pshiiitttt au moment de l’examen de vérité ou d’un apport majeur ?

De quoi parle-t-on ?

Pour faire simple il s’agit de services qui vous permettent de vous « géolocaliser » dans un endroit pour dire à  votre réseau « je suis là « , ou qu’un de vos contacts qui va quelque part sache que vous y êtes passé avant lui et avez même laissé un commentaire à  pripos de l’endroit. Vous allez me dire que l’intérêt est limité et qu’on se lasse vite. C’est pour cela qu’une dimension ludique a été ajoutée.

La personne qui est en tête du nombre de « check in » dans un endroit en devient le maire. Titre purement honorifique…même si certains établissements commencent à  essayer de valoriser le client qui est « maire » de leur établissement. Mais on peut également obtenir des récompenses sous forme de « badges » lorsqu’on a fait des choses un peu plus compliquées (x Check in, 6 aéroports dans le mois, 12 checkins dans la journée, 3 apple store…ici la créativité est de mise).

Tout cela repose bien entendu sur le volontariat : on ne partage ce qu’on veut et avec qui on veut.

Quels bénéfices pour l’utilisateur ?

Bon, là  ça se complique un peu. Il s’instaure une compétition stimulante avec ses amis, surtout si on a affaire à  une population qui fait un peu plus que métro-boulot-dodo (ce qui n’empêche pas de devenir maire de sa station de métro, de sa maison et de son bureau). C’est toujours agréable d’aller dans un endroit nouveau et de savoir non seulement qu’un de vos amis y est passé plusieurs mois avant mais qu’en plus il a laissé des conseils sur les choses à  voir s’il s’agit d’un musée, les spécialités s’il s’agit d’un restaurant…que sais-je encore.

Soyons honnêtes, à  part le coté « fun » et un semblant de compétition (je suis assez joueur à  mes heures), le vague sentiment d’être plus proche de certains puisqu’on arrive à  se situer les uns par rapport aux autres….j’ai du mal d’en sortir quoi que ce soit de tangible. Peut être une fois ai-je apprécié un « puisque vous êtes là  sachez qu’un de vos contacts a laissé un commentaire sur le restaurant d’à  coté »…mais franchement pas plus. Ah si…lorsqu’on se retrouve à  l’étranger dans une conférence c’est toujours pratique de savoir qui est dans quelle salle, vient d’arriver l’aéroport, est dans tel restaurant etc… pour tenter de s’organiser entre nous de manière flexible sans passer notre vie pendus au téléphone.

Je crois que c’est à  peu près tout.

Bon…vous allez me dire qu’on a bien vécu sans avant..et c’est vrai. Remarquez qu’on a dit pareil du téléphone portable non ?

Reconnaissez que ça n’a pas nécessairement le profil d’une « killer-app » d’entreprise. Essayons de voir si tout ou partie du paradigme de ces outils peut toutefois être d’un quelconque apport au monde de l’entreprise.

Des badges? Pourquoi pas !

Avec l’arrivée de nouvelles pratiques collaboratives se pose la question de mettre en place des systèmes de reconnaissance qui ne soient pas que financiers. Sachant qu’on cherche également des leviers pour engager les collaborateurs dans ces nouvelles pratiques, le système de badge pourrait avoir du sens. Attention : je ne parle ici que des « récompenses », indépendamment de tout système de localisation.

Obtenir le badge de « ceux qui aident les collègues dans la panade », d' »expert en machin », du gars « toujours disponible pour les nouvelles recrues » peut être un moteur pour certains. A l’entreprise d’être créative dans la liste des récompenses et les conditions requises pour les obtenir.

Est-ce que cela peut fonctionner partout ? Bien sur que non, et en tout cas pas tout de suite. Il y a les entreprises qui sont prêtes à  lacher prise et jouer sur ce genre de challenges un peu ludiques…et celles pour qui on le galvaude pas la notion de récompense et de reconnaissance et pour qui, de toute manière, tout ce qui est fun n’a pas sa place dans un projet d’entreprise. Voilà , c’est comme ça, à  chacun de définir ses leviers en fonction de leur potentiel et de leur acceptabilité dans un contexte culturel donné.

Et la géolocalisation en entreprise ?

Jouer à  se « localiser » entre amis, se croiser virtuellement à  quelques mois d’intervalle dans un restaurant, un musée à  des milliers de kilomètres, devenir le maire d’un monument et débloquer des badges c’est souvent amusant, parfois utile. Mais est-ce vraiment utile voire souhaitable dans l’entreprise ?

On parle bien entendu d’une activité volontaire du salarié qui, s’il le désire et seulement s’il le désire, pourrait dire « je suis là « . Cela n’a rien à  voir avec les système de localisation permanents utilisés par les entreprises pour certains besoins (gestion / suivi de flotte de véhicules, optimisation des trajets…et motifs moins avouables) qui sont strictement réglementés dans notre législation nationale.

A première vue je ne vois l’intérêt pour des personnes sédentaires. A part vouloir devenir maire de la salle de réunion Machin ou de l’ascenceur truc… Franchement on a vu mieux comme proposition de valeur.

J’imagine par contre qu’il peut y avoir des pistes à  explorer sur des populations itinérantes ou se déplaçant sur de multiples sites d’une même entreprise. Mais là  encore, ça n’est pas tant la personne qui compte que l’expérience liée au lieu, ce qui restreint le champ des possibles. Record de filiales étrangères visitées ? De sites clients ?

Pour le personnel navigant d’une compagnie aérienne ? Pourquoi pas. Dans un autre secteur, un ami me disait également que dans son entreprise il arrivait souvent que de nombreux collaborateurs venant de divers pays se retrouvent en mission dans une ville donnée sans être en mesure de s’identifier, de se dire qu’il y a d’autres personne de la même entreprise dans le même hotel. Cela pourrait donc avoir du sens dans ce contexte même si dans ce cas c’est davantage d’un clone de Dopplr dont ils auraient besoin.

Peut être pour des dispositifs précis et très spécifiques ? Pour le parcours d’intégration d’une nouvelle recrue par exemple, réaliser un jeu de piste permettant de découvrir un nouveau lieu de travail. « Vous avez une semaine pour faire au moins une foix un check-in dans le centre de documentation, au restaurant d’entreprise, au parking….. ». Peut être une piste, surtout avec des populations jeunes.

Bon, comme vous le voyez il y a peut être de nombreuses pistes mais je n’en voit aucune de véritablement stratégique et sérieuse pour l’instant. Si vous avez des idées, les commentaires vous sont ouverts.

Je pense qu’on peut arriver à  des choses intéressantes avec des dispositifs très spécifiques mais pas dans avenir proche hormis au cas par cas et pour des organisations plutôt innovantes surtout côté RH.

Le risque ? Absolument nul !

Un des billets que je mentionne en introduction dit qu’il y a des applications professionnelles à  trouver (on vient d’en parler) mais qu’il s’agit également de gérer le risque et que, bien sur, les administrateurs pourraient décider de qui peut se géolocaliser ou non. De ce coté là , et vu de ma fenêtre franco-française, laissez moi vous dire qu’on peut dormir tranquiles.

Avant tout allez donc jeter un œil à  ce rapport sponsorisé par Newsgator au sujet des problèmes liés à  la confidentialité et au respect de la vie privée dans le contexte européen.

Il y a ici de vrais enjeux, que j’ai déjà  traité par ailleurs, sur ce sujet. Je ne parle pas uniquement de considérations légales plus contraignantes que de l’autre coté de l’Atlantique, je ne parle pas de la protection de la propriété intellectuelle de l’entreprise, mais d’une véritable préoccupation et sensibilité de l’individu par rapport à  ce qui touche aux données personnelles, à  la confidentialité. Et cela va chercher très loin :

– je ne vous ferai pas un topo sur les données personnelles que l’entreprise peut ou ne peut pas publier sur un intranet sans autorisation du salarié, voire ce que les salariés ne peuvent publier comme information les uns sur les autres…un vrai inventaire à  la Prévert.

– Même dans le respect des règles légales le salarié détermine lui-même de manière très restrictive son niveau d’exposition. Donner son opinion est vu comme un risque. Si d’autres diffusent l’opinion d’une personne (« untel a dit l’autre jour que….et c’est une bonne idée ») c’est vu comme une atteinte à  la vie privée. Ce que je fais, ce que j’ai fait, mon passé, mon expérience, mes contacts…sont un ensemble de données à  caractère personnel que l’on partage peu et dont la diffusion est ressentie comme un risque si cela vient de soi, comme une atteinte à  la vie privée si c’est diffusé par d’autres.

En d’autres termes le risque de voir des utilisations déviantes de tels outils en entreprise est absolument nul pour la simple et bonne raison que, même si la localisation ne s’opère qu’à  la demande du collaborateur, celui-ci la verra comme le stade ultime de la violation de sa vie privée (fut-ce dans un contexte de travail) et je pense même que l’existence même de l’outil, même inutilisé, soit perçu comme une menace de premier ordre contre les droits individuels par un certain nombre d’acteurs. En l’absence d’utilisation peu de chance qu’il y en ait de mauvaise.

En conclusion…

Il y a là  dedans un potentiel à  découvrir, à  affiner c’est sur. Découplé de la géolocalisation, le système de badges a de l’avenir, c’est certain. Quant aux dispositifs reposant sur la géolocalisation volontaire des individus je ne les voit pas prendre corps à  court ou moyen terme ici. D’abord en raison d’une proposition de valeur assez alambiquée et très spécifique, ensuite pour des raisons culturelles dont je doute qu’elles disparaissent du jour au lendemain.

Bien sur on pourra voir des usages émerger mais sur des périmètres très cadrés et de manière on ne peut plus clairsemée. Pour l’adoption massive je n’y crois pas une seule seconde (en tant qu’outil d’entreprise) avant 5 ans…en admettant que cela arrive un jour.

En attendant j’aimerai bien avoir l’avis d’une DRH sur le sujet. Risque ? Opportunité ? Curiosité ? Sans intérêt ? Et coté « business managers » ?

PS : quelques jours après avoir écrit cet article, je voyais un de mes contact sur Twitter dire « vu le nombre de mes employés à  avoir un iphone, je vais remplacer notre système de gestion de la présence par Foursquare ». Bien sur c’est de l’humour…mais qui sait si un jour…

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
1,743FansJ'aime
11,559SuiveursSuivre
28AbonnésS'abonner

Découvrez le livre que nous avons co-écrit avec 7 autres experts avec pleins de retours d'expérience pour aider managers et dirigeants

En version papier
En version numérique

Articles récents