Votre réseau social interne vous rend il vraiment plus productif ?

Résumé : un des arguments les plus fréquents pour la mise en place d’un réseau social interne est l’amélioration de la productivité par la capacité d’accéder et mobiliser plus rapidement des ressources. Si c’est une vérité indéniable au niveau de tches individuelles (et à  condition que l’outil soit utilisé de la même manière par un certain nombre de personnes), cela ne veut pas systématiquement dire que l’entreprise en devient plus productive : optimiser des tches ne veut pas dire optimiser la chaine de tches qui conduit au livrable final et qui est in fine la seule chose qui compte. Il s’agit donc d’embrasser le productif de « production » dans son ensemble et identifier les points, goulots, qui empêchent les améliorations locales, individuelles, d’impacter toute la chaine.

Une des promesses qui viennent le plus rapidement avec l’arrivée d’un réseau social dans l’entreprise (ou de toute « chose 2.0 ») est le gain de temps généré. Puisque pour « délivrer » le résultat attendu il faut, hors choses totalement automatisables, assembler des savoirs et des individus pour avancer au long d’un processus, plus ces personnes, informations, savoirs sont disponibles et accessibles plus on résoud les problèmes vite, trouve des solutions vite et prend les décisions appropriées.

Il est donc un indicateur que l’on retrouve fréquemment pour nous démontrer les bienfaits de la chose : si un salarié lambda perd 38 minutes à  chercher de l’information, des documents ou des personnes chaque jour et qu’on lui permet de gagner 5, 10 ou 15 minutes au quotidien, cela fait x minutes / semaine, donc y minutes / an…ce qu’on traduit en plus en espèces sonnantes et trébuchantes en fonction du taux horaire du salarié. En gagnant chaque jour 5 minutes, vos collaborateurs font gagner des milliards à  votre entreprise chaque année.

Devant un tel énoncé, même s’ils sont séduits par les résultats et convaincus par la logique, beaucoup de décideurs tiquent devant un raccourci aussi facile et ils ont raison : 5 minutes de gagnées chaque jour peuvent ne rien faire gagner du tout à  l’entreprise. Mais ne jetons pas le bebé avec l’eau du bain : il est également possible de rendre la promesse vraie à  condition de regarder plus loin que le bout de son nez.

5 minutes de gagnées par le collaborateur sont gagnées…par le collaborateur

Imaginons qu’un collaborateur gagne ces fameuses 5 minutes par jour. Va-t-il pour autant être productif 1/2 heure de plus par semaine ? 5 minutes c’est le temps d’une pause café ou d’une cigarette, donc il y a fort a parier qu’il va chercher à  s’approprier le temps ainsi gagné. Il peut également en profiter pour souffler un peu, prendre un peu de temps sachant qu’inconsciemment il « calibre » son rythme pour faire les choses dans les délais impartis donc s’il perçoit qu’il peut gagner du temps sur certaines tches il y a des chances qu’il en profite, sans s’en rendre compte, pour ralentir ou démarrer une tche plus tard. Je ne parle même pas de l’hypothèse où ces 5 minutes soient en fait 20 fois 15 secondes auquel cas….

Bien sur l’entreprise y gagne si le collaborateur peut souffler, prendre le temps de discuter avec ses collègues etc… Mais ça n’est pas franchement ce qu’elle attendait au départ.

Optimiser les tches est inutile

En fait toute la proposition de valeur tient sur l’optimisation d’une tche donnée : la recherche (peu importe ce qu’elle concerne). Or la recherche n’est qu’une tche, je dirai même une sous-tache, dans un processus plus global.

Trouver l’information ou les bonnes personnes permet de terminer plus vite la tche qui m’est assignée. Je peux donc commencer la suivante plus tôt et ainsi de suite et à  la fin de la semaine j’aurais été indéniablement plus productif. C’est bien pour mon évaluation personnelle, je serai peut être même récompensé sur le long terme pour ça. Mais quel bénéfice pour l’entreprise ? Aucun. Elle peut même y perdre en me récompensant pour mon efficacité alors que pour elle cela ne change parfois (voire souvent) strictement rien.

En général on est qu’une maille dans une chaine beaucoup plus longue. Le travail que j’effectue est nécessaire pour qu’un collègue puisse démarrer sa partie du travail et ainsi de suite. En somme, si je vais plus vite mais que le collègue qui doit prendre la suite ou le manager qui va valider ne sont pas capables de réagir aussi vite, le temps n’est gagné que pour moi mais au final l’entreprise n’est pas plus avancée car la capacité de production du processus n’a pas été améliorée et, in fine, le client (qu’il soit interne ou externe) n’est pas servi plus vite. Alors bien sur en ce qui me concerne je vais plus vite…et ça donne donc des dossiers, emails, « to do » qui s’entassent chez mes collègues, accroissent la pression, la confusion, complique leur organisation personnelle car ils doivent sans cesse reprioriser voire se disperser. Au pire il accélerera la cadence au risque de mal faire son travail, de commettre erreurs et négligences pour essayer de suivre le rythme.

Optimiser le travail de chacun de manière individuelle porte donc rarement ces fruits si on ne regarde pas le processus dans son ensemble et qu’on ne s’attaque pas aux facteurs limitants, aux goulots d’étranglement. Ce qui implique de remettre les besoins et actions individuels dans le contexte d’un processus plus large, parfois formalisé, parfois informel (donc à  identifier).

Cela me rappelle un cas auquel j’avais été confronté plus tôt dans ma carrière. Un manager se plaignait que malgré les efforts entrepris, la productivité de son équipe stagnait. Bien sur il rendait ses employés responsables de la situation alors qu’eux étaient au bord de l’explosion vu la charge de travail qui était la leur. Au final il est apparu que comme il devait valider chaque dossier monté pour le passer à  une autre équipe….c’est lui qui n’avait plus le temps de traiter ce que produisait son équipe. Au final tous les efforts faits pour rendre les collaborateurs plus productifs étaient réduits à  néant car personne ne s’était posé la question de son rôle à  lui dans le processus.

Il est nécessaire de prendre le processus dans son ensemble

Vous l’avez compris, une fois qu’on revisité avec le collaborateur son quotidien et qu’on a vu quelles pratiques lui permettraient de faire mieux, d’être plus efficaces, il importe ensuite de le re-situer dans une chaine plus globale, de savoir à  qui et à  quoi sert son travail…et identifier les goulots d’étranglement. Ceux là , qui brident bien involontairement la performance de la chaine, sont souvent d’ailleurs les personnes au centre d’un réseau (même informel), celles par qui l’information finit toujours par transiter avant de suivre son chemin. Cela concerne donc souvent des managers.

Ensuite chaque cas à  sa propre histoire, son propre contexte, sa propre solution. Peut être que le processus de décision est mal approprié, qu’une validation a priori n’est pas nécessaire dans la mesure où on peut corriger a posteriori si besoin, que d’autres personnes peuvent le décharger de certaines tches, que s’il pouvait accéder à  ses outils en déplacement tout serait résolu, que la commission « innovation » ne se réunit pas assez souvent pour traiter le nombre de propositions et d’idées etc…

« Quoi que ce soit 2.0 » peut fluidifier un grand nombre de choses mais ne résoudra pas la question des goulots qui, eux, brident le « quoi que soit 2.0 » et l’empêchent de produire des gains de performance significatifs. La balle est dans le camp des RH et du management…

Un débat finalement pas très 2.0 mais au contraire très classique sur l’opposition entre la recherche d’un maximum local et d’un optimum global…

Quoiqu’il en soit mesurer un maillon de la chaine amène souvent à  se fourvoyer, c’est la chaine dans son ensemble qu’il faut mesurer et optimiser.

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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