Une entreprise sans email ? Non mais…sérieusement ?

Tout le monde est conscient des limites actuelles de l’email et du fait qu’il est aujourd’hui un facteur limitant de la performance des collaborateurs. Mais peu prennent encore le taureau par les cornes pour régler le problème une fois pour toutes. Parmi ces entreprises qui osent on trouve, depuis peu, Atos Origin qui se donne trois ans pour passer de l’email aux réseaux sociaux. Coup de Génie ? Folie douce ? L’un ou l’autre selon la manière dont cette révolution sera pensée. Migrer les flux d’un environnement vers l’autre, en plus de ne pas combler tous les problèmes des collaborateurs peut même engendrer davantage de complexité. Repenser la nature du mail, de l’information partagée et des besoins en termes d’actions et d’intéractions pour rationaliser le tout a davantage de sens mais impose une refonte autrement plus profonde et ambitieuse de l’architecture même du SI. Les réseaux sociaux ne remplaceront pas l’email dans l’entreprise, par contre ils sont un premier pas vers un social messaging intelligent qui prend en compte l’ensemble des besoins des collaborateurs en mettant, pour une fois, l’outil au service de l’individu plutot que l’inverse.

Il y a quelques temps ATOS Origin a fait la une de l’actualité en déclarant que l’entreprise se donnait trois ans pour devenir une « entreprise sans email » et faire basculer les flux d’échanges vers des réseaux sociaux. Une déclaration qui a au moins atteint un objectif : faire parler d’elle. Entre supporters de l’enterprise social software qui y voient une promotion de leur église et sceptiques qui pensent la chose risible, au moins personne n’a été indifférent. Maintenant essayons de voir la chose avec un tant soit peu de recul.

Tout d’abord, peut on vivre sans email ?

Je pense que oui. Si je fais le tri dans ma boite mail, il y a à  peine 10 messages valant la peine d’être traités ou m’apportant une information que je considère comme ayant de la valeur chaque jour. Et ils auraient pu arriver par d’autres canaux.  Certains l’ont d’ailleurs fait. Depuis 3 ans mon ami Luis Suarez a fait baissez de manière drastique le nombre d’emails qu’il reçoit sans pour autant perdre le moins du monde en efficacité professionnelle. Bien au contraire. Travaillant à  distance dans une très grande entreprise on peut même penser que c’est encore plus compliqué pour lui que pour beaucoup mais il l’a fait.

Mais il ne faut pas oublier la réalité derrière ce qui peut ressembler à  un exploit :

– beaucoup de discipline personnelle et suffisamment d’abnégation pour « éduquer » ses collègues et clients jour après jour.

– un employeur qui met à  sa disposition les outils qui permettent de contourner ce fléau et de gérer ses flux d’information internes et externes efficacement.

Cette notion de flux est à  mon avis essentielle. Car ça n’est pas en supprimant l’outil email qu’on diminuera la masse d’information à  traiter. Bien au contraire, elle va se retrouver ailleurs, davantage morcelée. Ca ressemblerait donc plutôt à  une régression. En fait il faut arrêter de penser l’email comme un outil qui permet d’envoyer des courriers numériques mais penser à  l’évolution de sa nature.

Il y a l’information d’un coté et le signal informant de sa mise à  disposition de l’autre. La première peut être hébergée n’importe où en fonction de sa nature. Un media dit social mais pourquoi pas un outil métier. Elle peut être partagée ou pas, on peut intéragir autours d’elle ou réagir sur elle de manière intelligible, structurée, capitalisable, de manière privée ou publique, en rendant cela visible de tous ou d’un nombre limité de personnes.

A coté de cela il y a le signal qui nous dit « l’information est disponible ». Et nous permet, en un clic, de rejoindre cette information et la traiter.

Par rapport à  ce que nous connaissons aujourd’hui il faut changer de paradigme :

– ne plus penser l’information en fonction de sa nature ou de son lieu de fabrication ou de stockage (mail, feuille excel, document word, rapport CRM), ce qui crée des silos applicatifs qui n’ont pas de sens. Ce qui qualifie l’information est son utilité, pas sa source. Aujourd’hui, suivant la source de l’information on change d’outil.

– faire que chaque application puisse émettre un signal, l’ensemble des signaux étant rassemblés dans un réceptacle unique. Ca n’est plus l’email comme on le connait mais l’email qui change de nature. Il reçoit tous les signaux qui nous sont destinés. Peu importe le nom qu’on lui donne.

– il s’agit ensuite, dans ce réceptacle, de prioriser et filtrer l’information selon nos propres critères. Idéalement en fonction de ces critères voire d’une analyse intelligente de notre historique, on a une vue pertinente et expurgée de l’information. Ce qui améliore le rapport signal bruit. Cela permet de distinguer entre l’information qui doit nous parvenir en « push » et celle qui doit être disponible en cas de besoin mais sans nous perturber dans l’instant.

– il s’agit, enfin, de rendre l’information « actionnable » dans le contexte de ce réceptacle. Répondre s’il s’agit d’un mail, partager le contenu du message dans une autre application (exemple un tableau issu du CRM vers un espace de travail de groupe), agir (valider une demande s’inscrivant dans un workflow), répondre (à  une notification de commentaire dans un blog ou d’intervention dans une communauté). Le tout sans changer d’outil, sans rompre le flux de travail du collaborateur, sans lui demander de jouer le rôle de middleware entre les outils.

– bien entendu, lorsqu’on parle des outils sociaux utilisés dans ce contexte, il y aura la possibilité de les utiliser dans une bulle sécurisée avec des personnes n’appartenant pas à  l’entreprise.

Revenons donc à  notre problématique de remplacement de l’email par les réseaux sociaux. Ces derniers sont une partie essentielle d’une nouvelle architecture du SI qui permettra non pas de faire disparaitre l’email mais de le faire rentrer dans le XXIe siècle en le transformant en un système de « social messaging » ou « social signal ».  Par contre penser simplement faire migrer les flux sans avoir une vision globale est au mieux irréaliste et mènera au pire à  une catastrophe industrielle.

C’est en effet méconnaitre tout ce que l’entreprise a comme outils métiers. C’est également créer une bulle sociale a coté du métier et du documentaire. L’avenir de l’email est dans une couche d’abstraction qui socialise et réunit l’ensemble du SI, peu importe la nature et l’origine de chaque composant.

Feu Google Wave avait cela dans les gênes. Peut être que cette ambition sera réalisée dans Novell Pulse qui s’appuie sur la défunte technologie de Google. Des choses très intéressantes également chez IBM comme j’ai pu le constater lors du dernier Lotusphere. Le « Social Business Framework » surplombé par « Project Vulcain » en tant que couche unificatrice me semble aller dans ce sens même s’il est encore tôt.

Je n’oublierai pas non plus Tibbr qui semble également fort prometteur mais dépendra, lui aussi, de la « volonté intégrative » de l’entreprise. D’autres pistes à  explorer ?

On en revient aux basiques. Basculer d’un environnement applicatif à  un autre n’a pas de sens si on ne repense pas les usages et, au delà , la nature de l’information, des signaux et de l’information.

Une chose est sure, d’ici trois ans on apprendra tous beaucoup du cas Atos. Dans un sens comme dans l’autre.

PS : j’ai ici une approche outil de la question. Il est évident que tout cela n’a aucun sens sans une approche usages qui transformera, quoi qu’on en pense, le travail quotidien.

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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