Entreprise et business d’abord, 2.0 et social ensuite

Résumé : l’entreprise 2.0 ou le social business, lorsqu’ils deviennent, comme c’est souvent le cas, leur propre objectif, ils peinent à  convaincre l’entreprise de leur apport. La raison est simple : au delà  des bénéfices « soft » et qualitatifs, le quantitatif est souvent passé par pertes et profits alors qu’au final, l’entrepris n’a d’autre but de de créer de la richesse mesurable. Cette donnée étant la base même de la notion d’entreprise il importe de reconsidérer le phénomène « social » par rapport à  cet objectif. Les bénéfices, en termes de création de valeur, de ces nouveaux dispositifs sont pourtant évidents à  condition de prendre en compte la nature changeante de notre économie qui repose de plus en plus sur le savoir, les hommes et au final, des processus d’accumulation dans lesquels l’humain est le facteur lent qui nécessitent de penser à  long terme. Dans cette optique, « social » et 2.0 sont des éléments d’accélération de ce processus d’accumulation en termes de savoirs, de capital relationnel, de confiance voire de réputation. Ce qui impose une conclusion : pousser le changement dans une entreprise dont le projet, dont le modèle de création de valeur ne prend pas en compte ce paramètre ne sera jamais qu’un aimable divertissement. Ce qui impose d’avoir le courage de ramener le problème au niveau où il doit être traité : celui de la création de valeur et du projet d’entreprise.

 

Un nombre croissants de personnes travaillent de par le monde à  transformer leur entreprise en entreprise 2.0 ou social business (peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse). En fait c’est en grande partie inexact. Dans la plupart des cas il s’agit de faire adopter le 2.0 à  l’entreprise, voire l’implanter là  où c’est possible en plus (voire en concurrence) de l’existant, ce qui est totalement différent. J’ai suffisamment rappelé ce que je pensais du concept d’adoption, substitut facile mais fragile à  une vraie réflexion sur le sens et l’alignement alors je vais un peu changer de chanson en citant ce brillant billet d’Oliver Marks où il nous rappelle que « adoption is for kittens » (l’adoption c’est bon pour les chatons »),

Les choses se passent de cette manière pour différentes raisons. Soit l’affaire est entre les mains de personnes tellement passionnées que le 2.0 ou le social est devenu leur seul et unique objectif. Peu importe le reste pourvu qu’un maximum de personne utilisent les merveilleux outils qui vont avec et créent des communautés, peu importe la valeur de ce qu’elles produisent. Soit le sujet est à  un niveau de responsabilité trop peu élevé, éventuellement avec un sponsorship interne inadéquat, qui fait que la personne en charge fait ce qu’elle peut avec les moyens mis à  sa disposition, le support dont elle dispose et les risques qu’elle encourt à  en faire trop. Et on sait en général ce qu’il en advient dans ces situations. Si, dans le premier cas, il peut simplement s’agir d’un excès de passion (et comme chacun sait, l’amour rend aveugle), la cause quasi exclusive du second (mais qui peut également justifier le premier) est qu’on a oublié le contexte dans lequel on opère. L’entreprise est entreprise avant d’être 2.0, le business est business avant d’être social. Si l’entreprise n’en tire aucun bénéfice dans l’atteinte de ses buts, elle n’a aucune raison de changer.

Si « le 2.0 » (expression qui ne veut rien dire, j’en conviens) oublie la raison d’être de l’entreprise il devient son propre objectif et est, au mieux, inutile. Les deux cas sus-mentionnés en sont la claire illustration : cantonné à  un rôle de faire valoir ou ajouté à  l’existant sans imbrication profonde dans le business, le social/2.0, même « adopté », ne sert à  rien ou pas grand chose. Si le projet d’entreprise n’est pas cohérent avec ce que ce courant peut apporter, on ira pas bien loin. Bien sur, beaucoup de projets d’entreprise font la part belle à  ces éléments nouveau aujourd’hui. Mais sans toujours s’accompagner d’une vraie remise en cause, mais plutôt d’un habile maquillage d’un existant qui finalement évolue peu fondamentalement.

Ne commencez vous pas à  trouver exaspérant que la plupart des événements ou conversations sur l’évolution de l’entreprise soient focalisés sur la propagation de tel ou tel type de technologie ? Vu ce que j’entends c’est de plus en plus le cas. On présente cette révolution comme la solution à  tous les maux de l’entreprise au XXIe siècle. Si je me réfère à  cet excellent billet d’Umair Haque, le problème est d’une autre ampleur et le remède passe par une modification profonde des ADN. D’ailleurs les entreprises qu’il cite en modèle ne sont pas toutes 2.0 dans le sens traditionnel du terme. Elles ont intégré ce paradigme dans leur projet, leur modèle de création de valeur au lieu de penser qu’un simple changement dans les pratiques internes.Dans ce cadre, 2.0 et social, seront un élément important de l’entreprise de demain, mais pas le seul. Mais appliqués au bon vieux plan d’entreprise, sans prise en compte de réalités nouvelles à  un niveau supérieur, ils ne permettront pas d’éviter l’effet placebo.

Tout cela nous amène à  réfléchir au but de l’entreprise…

Je me demande combien se posent cette question en déployant un tel plan. Inutile d’aller par quatre chemins : le but de l’entreprise est de gagner de l’argent. Le fait de savoir ce qui est fait de cet argent relève d’une autre discussion, celui du comment relève de l’éthique et des valeurs sur un plan qualitatif et de la compréhension du monde dans lequel nous vivons sur un plan strictement organisationnel.

Alors on peut rétorquer que l’argent n’est qu’un moyen au service de quelque chose de plus grand. Ce quelque chose de plus grand est la mission, ce qui est encore autre chose. Mais au quotidien, l’entreprise veut et a d’ailleurs besoin de gagner de l’argent. Sinon c’est sa mort. Point. J’ajouterai que lorsqu’on veut apporter quelque chose, produit, service ou quoi que ce soit d’autre sans se préoccuper de la rentabilité économique de la chose (voire de sa viabilité) cela s’appelle une association ou une fondation. Et cela n’occulte pas la question du financement des activités. On en revient à  la différence entre mission et but d’ailleurs….

Inutile de nier que les moyens mis en œuvre pour atteindre ce but on alterné entre le meilleur et le pire. Le prix a payer pour l’écosystème de l’entreprise a souvent été fort (hommes, partenaires, sous traitants…voire clients). Les entreprises ont en effet adopté un mode de fonctionnement qui repose sur la profusion des ressources (quelles que soit leur nature), la spécialisation des tches, la répétabilité du travail, et la substituabilité du capital humain (x peut remplacer y au pied levé). Conséquence, le système optimise l’exploitation de la ressource jusqu’à  épuisement. Si la dite ressource est « naturelle » elle se régénère d’elle-même (ou le croyait on…), lorsqu’elle est humaine elle est remplacée. L’atteinte (voire la sur-atteinte) de l’objectif se fait au moyen de deux leviers : davantage de ressources, davantage d’intensité (appliqué à  la ressource humaine, cela s’appelle de la pression).

On voit bien aujourd’hui que les présupposés étaient pour certain faux (infinité des ressources naturelles) et, pour d’autres le sont devenus. Le travail dans l’économie du savoir se passe sur des tches complexes, la main d’œuvre s’avère peu substituable en raison d’un patrimoine « savoir » propre à  chacun (et en tout cas avec un temps de latence fort pour la mise à  niveau) etc… Ici la notion d’intensité devient caduque (travailler mieux au lieu de travailler plus) et l’ajout de ressources n’aide pas davantage à  avancer sur des tches relevant de la résolution de problème et de l’innovation. C’est leur combinaison qui fait la différence.

Première conclusion : si « gagner de l’argent » reste un but, la manière d’y parvenir doit radicalement évoluer. Quitte à  en faire hurler quelques uns, je partage en grande partie les idées de Mintzberg lorsqu’il dit que la dernière crise économique est avant tout une crise du management. J’ajouterai même une crise des modèles de création de valeur.

Mais ça n’est pas tout. La nécessité de créer une mémoire d’entreprise, de capitaliser les savoirs de ceux qui sont là  pour les transmettre à  ceux qui arriveront est une contrainte vitale qu’ignorait l' »ancien système ». Non seulement cela prend du temps mais cela fait également qu’on doit d’abord investir sur le capital humain avant d’avoir un retour. A l’inverse, « perdre » une ressource avant qu’elle ait pu donner sa pleine mesure alors qu’on lui a permis de monter en compétence coûte cher. Nous disons plus haut que la ressource naturelle se fait rare, la ressource humaine également. Ne nous trompons pas, c’est à  une pénurie de talents que les entreprises dont d’ores et déjà  confrontées. Et l’évolution sociétale connue depuis plus d’un siècle s’accélère : l’individu est en recherche d’une relation de confiance (nécessaire également à  la performance dans une entreprise collaborative, en réseau), de valeurs…ce qui force à  repenser le rapport de l’entreprise à  la ressource, de penser en termes de confiance, de valeurs, de réputation.

L’organisation de l’entreprise du savoir est donc un système qui fonctionne sur la base de l’accumulation. Elle doit investir aujourd’hui sur ce qui la rendra performante demain, sur ce qui rendra ses ressources productives demain. A l’inverse d’un système ou il suffisait d’ajouter des bras pour produire de suite…Au fur et à  mesure que les savoirs et leurs détenteurs reviennent au coeur des processus créateurs de valeur, et puisque l’humain est le facteur lent mais indispensable du dispositif, la performance immédiate devient une notion relative car dépendante d’un long processus d’accumulation de capital immatériel : savoirs, capital relationnel, valeurs, réputation etc…Et dans ce contexte, social et 2.0 sont des accélérateurs d’accumulation.

Ce qui amène à  conclure que ma proposition sur le but de l’entreprise est faux. Ou incomplet. Le but de l’entreprise est de gagner de l’argent aujourd’hui et demain. C’est le « demain », ce besoin de durabilité dans l’utilisation des ressources, donc dans le management et les nouveaux processus créateurs de valeur qui est clé. Qui justifie qu’on quitte un « vieux » modèle pour glisser vers des organisations différentes où « social et 2.0 » auront tous leur sens. C’est ce projet d’entreprise qui donne du sens aux nouveaux modes de travail dont nous parlons beaucoup. Pas l’inverse.

Tout projet « social » ou « 2.0 » ne peut que s’inscrire dans une optique de rentabilité. Mais plutôt que tenter de résoudre la quadrature du cercle, plutôt de faire du « 2.0 » un objectif en soi, c’est sur le modèle même de création de valeur qu’il convient de réfléchir, le reste viendra naturellement ensuite. Mais peut être que cela impose des efforts qu’on est pas prêt à  faire, de toucher à  des vaches sacrées qu’on ne veut remettre en cause…

Ce qui justifie le changement c’est ce « demain » et ce besoin d’améliorer les procédés d’accumulation du capital immatériel.

« Entreprise et business d’abord, 2.0 et social ensuite » disais- je donc…ça n’est pas une question de priorité, simplement de se souvenir qui sert qui et dans quel contexte.

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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