On ne gère pas ses relations comme on gère de l’information

Résumé : « accepter comme ami », « ajouter à  son réseau », « suivre »…autant de concepts qui font leur apparition dans notre univers personnel et professionnel. Ce qui n’est pas sans poser certains problèmes d’ordre essentiellement humains. L’intérêt pour les messages, informations, signaux émis pour par une personne peuvent différer de la nature et de la qualité de la relation qu’on a avec elle. Le problème se pose aujourd’hui aussi bien sur le web grand public que sur les outils d’entreprise où les relations sont par définition beaucoup plus sensibles. Lier le management des flux d’informations que l’on reçoit au management de la relation avec l’émetteur entraine des situations non plus seulement complexes mais compliquées et souvent humainement inconfortables pour les utilisateurs. La solution est simple : désolidariser ces deux aspects. Heureusement, c’est une véritable tendance.

 

Je parlais il  a peu de la différence entre signaux et conversations. Ca n’est pas qu’une différence de mots : c’est toute l’approche qui est changée tant pour les acteurs qu’au niveau du système dès lors qu’on admet que le conversationnel n’est qu’une manière parmi d’autres d’envisager la transmission d’information. E c’est d’autant plus important qu’un collaborateur peut être plus ou moins à  l’aise avec telle ou telle modalité et qu’un contexte donné s’accommodera mieux de l’une ou de l’autre de ces possibilités.

Un problème identique s’applique à  la notion de relation ou de contact (ou amis ou…). La gestion de ce qu’on appellera plus globalement les relations est en train de devenir une vraie plaie sur les outils grands publics et pose un certain nombre de problèmes sur les plateformes internes en entreprise.

Je ne parlerai même pas du wording qui peut à  lui seul tuer une dynamique. Dans le monde « politique » de l’entreprise, entre ajouter quelqu’un comme « ami » ou « contact » il y a un monde. Accepter ou refuser une demande de mise en relation d’un supérieur ou d’un subalterne est également une forme d’acte politico-diplomatique. Et ce encore davantage lorsque pour pouvoir intéragir avec la personne ou simplement suivre ses signaux on doit passer par cette phase de déclaration de la relation. Ajoutez à  cela la remarque fort sensée du collaborateur qui fait remarquer qu’il n’a pas le temps (et souvent pas le savoir faire) pour manager autant de relations quand bien même il peut avoir potentiellement besoin de n’importe qui, même brièvement, à  un moment X ou Y.

Tout cela vient de la confusion entre le fait de gérer ses flux d’information et celui de gérer ses relations. En mêlant la dimension diplomatique et la dimension « efficacité », nombre de plateformes sociales, internes ou grand public, n’ont pas rendu service à  leurs utilisateurs et, ce faisant, se sont également compliqué la tche.

Pour prendre la mesure du problème, partons des outils grands publics.

– une demande de mise en relation sur Facebook. J’accepte ou j’accepte pas ? Cette personne dit des choses intéressantes mais on est pas particulièrement amis. Je vais le mettre dans un « groupe » d’amis..mais lequel. Et comment ne pas me tromper ? Et comment va-t-il réagir lorsqu’il voit que je ne partage rien sur FB avec lui ? Idem sur linkedin en inversant la proposition. C’est un bon ami mais professionnellement je ne sais pas ce qu’il vaut… que faire ?

– sur twitter : bon ma timeline est envahie. Je dois faire le ménage. Mais pourquoi ai-je tant de monde ? Parce que par politesse je « follow » quand on me « follow ». Et réciproquement pour le « unfollow ». Mais qui est donc ce malotru qui ne me suit pas alors que je le suis ?

Quand je vois les migraines que cela donne à  certains je n’imagine même pas ce que cela peut donner dans le monde de l’entreprise. Ou plutôt si… mais cela revient davantage à  constater les dégats qu’à  imaginer.

Il est simple de comprendre ce qui se passe : lorsqu’on ne peut manager l’information sans manager la relation diplomatique (d’aucuns diront affective) avec son émetteur on se retrouve nécessairement dans des situations qui sont humainement compliquées, techniquement complexes et en tout cas suffisamment inconfortables pour qu’on fasse machine arrière sur le terrain du « social ».

Si je reprend les exemples qui précèdent, Facebook est davantage une machine à  gérer la relation que l’information, twitter c’est l’inverse. Même s’il n’existe pas de recette ni de politique absolue, l’important étant de trouver ce qui fonctionne pour soi, on peut analyser la chose de cette manière :

– Sur Facebook c’est « je dis qu’il existe une relation humaine entre nous, tu dis pareil et nous voilà  amis » (à  chacun de choisir sa définition de la relation…ce qui ne simplifie pas les choses).

– Sur twitter « je te suis parce que ce que tu dis m’intéresse », « tu me suis parce que ce que je dis m’intéresse ». Si l’intérêt ne va que dans un sens (tes propos m’intéressent mais les miens ont peut de valeur pour toi) ça ne pose aucun problème. Et inversement. Et réciproquement. Et si les deux se trouvent digne d’intérêt ? Il n’y a toujours pas de relation mais des intérêts réciproques qui ont de fortes chances de déboucher sur une vraie relation, mais pas obligatoirement. Laquelle relation finira peut être par déboucher sur une relation personnelle matérialisée sur Facebook ou Linkedin.

Moralité :

– on peut avoir des amis sur FB qu’on ne suit pas sur twitter (Robert est un vrai ami mais sur twitter il parle de sa passion pour l’élevage de grenouilles et c’est pas mon truc)

– on peut suivre sur twitter des gens qui ne nous suivent pas (Alfred m’apprend beaucoup mais vu ce que je raconte je comprend qu’il n’ait pas envie que je vienne « poluer »son écran et son attention pour l’instant.

– on peut avoir un intérêt reciproque sur twitter qui ne débouche sur aucune relation (chacun reconnait la valeur des écrits de l’autre mais humainement ça coince).

Pas si compliqué..à  condition que les outils ne lient pas le management de la relation à  celui de l’information. Dans ce cas on ajoute des complications à  des choses déjà  complexes.

Heureusement les choses semblent s’améliorer avec le temps. Deux exemples pour illustrer mon propos.

– sur les outils internes : j’ai vu avec intérêt arriver il y a quelques mois sur IBM connections la possibilité de « suivre » une personne sans l’ajouter à  son réseau, de suivre une communauté sans en être membre (on reparlera un autre jour de ce second point d’ailleurs).

– idem sur Facebook depuis les dernières annonces. Il est d’ailleurs significatif que le problème  se soit visiblement posé d’abord dans le monde de l’entreprise et ensuite dans le grand public… D’ailleurs on voit, pour des raisons comparables, monter la grogne d’utilisateurs qui ne comprennent pas pourquoi pour intéragir avec une marque, avoir accès à  une information ou participer à  quoi que ce soit il faille « liker » la marque en question.

 

Alors oui, je reste convaincu que dans l’économie du savoir, manager l’information c’est manager des individus. Le fait de séparer la dimension interpersonnelle de la dimension informationnelle n’est en rien une remise en cause de ce principe. Cela permet justement une plus grande finesse quant à  la dimension diplomatique, politique ou affective attachée naturellement à  toute relation interpersonnelle.

 

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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