Les nouveaux modes d’organisation peuvent-ils être mis à  l’échelle

Résumé : Les innovations managériales que l’on peut voir dans les structures de taille moyenne peuvent elles fonctionner dans un grand groupe ? La question mérite d’être posée et a priori on s’attend à  une réponse négative. Si l’on étudie de près quelques cas en vogue il apparait qu’il ne faut surtout pas répliquer le modèle à  grande échelle mais au contraire, reconstruire la grande entreprise sur des principes d’entités plus petites et réactives. La tentative de trouver des structures de pilotage adaptées à  des entités plus grandes ayant, justement, entrainé les dysfonctionnements que l’on voit aujourd’hui. Le seul dispositif susceptible de fonctionner à  grande échelle est celui de la communauté…qui connait souvent l’échec car trop souvent instrumentalisé. Reste, enfin, que les deux approches ne sont pas incompatibles, au contraire. Un modèle pour l’opérationnel, l’exécution à  petit périmètre et un autre pour les échanges de connaissance à  grande échelle. L’enjeu résident alors davantage dans l’articulation.

Dans un billet précédent j’évoquais la question de savoir si certains modes d’organisation mises en place dans des structures de taille moyenne et qui ressemblent fort, de par leur nature et leurs résultats, à  ce qu’on voudrait voir émerger plus généralement ailleurs, pouvaient fonctionner dans des structures plus importantes. Il est en effet légitime de se demander si ce qui fonctionne pour quelques milliers de personne est pertinent pour plusieurs dizaines de milliers.

1°) Inutile de mettre les logiques de coordination/exécution à  l’échelle

Une partie de la réponse vient de Ricardo Semler. Chez Semco on garde toute toute unité opérationnelle sous un seul de 140/150 employés. Au delà  elle est scindée en deux. Après un certain temps d’adaptation il s’avère que deux unités de 150 personnes sont plus efficaces qu’une de 300. Ce qui nous rapproche bizarrement du nombre de Dunbar.

Son de cloche identique chez Morning Star où l’on pense que le modèle peut s’appliquer dans des structures beaucoup plus grandes. La raison ? Ca n’est pas parce qu’une entreprise est plus grande que la taille de ses unités opérationnelles doit le devenir. Par conséquent on peut avoir un grand nombre d’unités très autonomes et agiles et avoir le niveau de coopération suffisant entre elles : parfois fort, parfois très faible, selon les cas.

Hérésie au regard des économies d’échelles ? Pas nécessairement. Comme le disait Hamel dans son article sur Morning Star, le management est la fonction la moins efficace de l’entreprise. Agrandir les équipes permet, peut être de mutualiser des ressources (encore que ça soit possible également avec des plus petites) mais fait perdre en efficacité et qualité managériale. Ce qui nous amène à  poser la question à  l’envers.

Si les structures pyramidales fortement hiérarchisées ont vu le jour, c’est justement pour adresser beaucoup plus d’employés avec seulement un peu plus de managers, par « cascadage ». Le système a vite montré ses limites, incitant chacun à  ne rien faire sans l’aval de son supérieur ce qui in fine paralyse le management et ralentit le système. Un manager, dépité, me disait il y a peu : « manager ? moi ? dès que j’ai fini d’autoriser le remplacement de la lumière des toilettes et la réparation – pourtant gratuite – de la machine à  café, je vais voir si j’ai le temps de m’occuper des projets en cours ». Ce qui n’est pas sans rappeler la désormais célèbre anecdote de Ben Verwayyen, PDG d’Alcatel Lucent. Il fallait recruter une assistante en Pologne. Chaque responsable disait « ok mais je fais valider par mon chef ». De fil en aiguille ce sont 16 managers puis dirigeants qui fait suivre le mail à  leur supérieur jusque qu’à  ce que cela arrive à  l’étage final, la 17e personne, Verwayyen lui-même. Et l’a fait rentrer dans une colère noire, envoyant un email à  tous ses salariés pour dire « je ne veux plus voir de choses pareilles, prenez vos responsabilités ».

Que faudrait il pour que le système fonctionne à  nouveau. Proximité, confiance, sentiment d’appartenance renforcé, cohésion autour de valeurs et d’objectifs communs…ce qui nous ramène au besoin d’équipes plus resserrées. Ce qui n’est pas antinomique avec la problématique des silos. On peut à  la fois avec des équipes resserrées et perméables, organiser l’échange de pratiques à  grande échelle (voir § suivant). Il y a en effet une différence entre les logiques d’exécution et les les logiques d’échange qui s’opèrent dans des contextes différents.

Au final, la question n’est donc pas de savoir si des systèmes à  la Semco peuvent fonctionner dans de plus grandes entreprises mais plutôt de constater que c’est plutôt les grandes structures qui devraient resserrer leurs unités.

2°) Les dispositifs d’échanges se mettent théoriquement à  l’échelle sans problème

On a abordé la question des dispositifs orientés décision/exécution. Mais quid des échanges de pratiques à  plus grande échelle, de la dimension « organisation apprenante » et « knowledge management ».

C’est a priori le rôle des communautés dont on sait qu’elles se mettent très bien à  l’échelle et fonctionnent dans de grandes entités, voire au niveau global. Enfin en théorie. Le sujet a déjà  été abordé ici mais on peut en redire quelques mots. La communauté fonctionne très bien…sauf lorsque qu’il y a une volonté d’instrumentalisation par l’entreprise. Conséquence concrète : on voit des communautés vivant de la seule volonté des salariés bien fonctionner, de manière officielle ou dans le dos de l’entreprise. Par contre dès lors que l’entreprise désire mettre en place des communautés ciblées les choses se compliquent pour une raison : c’est vu comme un surcroit de travail hors mission et fiche de poste, un travail qui va mécaniquement bénéficier à  certains…et surement pas aux participants. C’est souvent le cas des communautés visant à  « crowdsourcer » des idées pour un projet appartenant au final à  une unité ou équipe dédiée qui fera travailler la communauté pour son seul bénéfice sans rien en retour pour elle. Ce qui est, il vrai, très éloigné du « tout le monde donne et tout le monde en tire parti » originel.

On peut remédier à  la situation par une réflexion sur l’évolution de l’équation travail=salaire en contribution=revenu. Mais on en est très loin. En attendant le grand malentendu entre entreprise et communautés interne va durer.

3°) Un problème d’articulation plutôt que d’échelle

On se rend bien compte que la logique de mise à  l’échelle recouvre deux réalité distinctes : l’opérationnel et l’échange. L’entreprise qui produit et l’entreprise qui apprend. Et que chaque logique requière un dispositif adapté, à  une échelle différente.

Production (coordination/prise de décision / exécution) : périmètre restreint, liens forts, intensité des intéractions, majoritairement synchrones, faible latence

Apprendre (échanges de pratiques / capitalisation) : périmètre large, liens faibles, interactions plus lches, très asynchrone, forte latence

Là  où l’entreprise s’est fourvoyée ces dernières années est qu’elle cru tout régler par les problèmes d’échange et d’apprentissage, ce qui s’est traduit par un « on ne change rien et on ajoute des communautés ». Or la communauté ne sert que peu à  la coordination, au travail, à  l’exécution quotidienne. Ca n’est pas un concept adapté à  l’exécution au quotidien même si in fine il peut participer à  son enrichissement. C’est un investissement sur le savoir à  long terme, pas un moyen d’améliorer la partie vraiment productive du travail quotidien.

Ce qui importe est donc de superposer, intégrer, les deux logiques : l’une fonctionnant à  haute vitesse, de manière intense, pour le quotidien et l’autre en tche de fonds, plus lentement, pour le long terme. Or, comme on l’a vu, ce que les entreprises appellent « entreprise 2.0 » ou « social business » n’a souvent visé qu’à  adresser une seule de ses dimensions en omettant l’essentiel : l’efficacité opérationnelle. Même si la communauté fonctionne, le simple fait que rien ne change au niveau de l’exécution crée un goulot qui annule tous les effets de la soit-disant entreprise apprenante qui aura peut être beaucoup appris mais sera toujours aussi peu à  l’aise au moment de mettre en œuvre.

La question la plus pertinente n’était donc pas de questionner la mise à  l’échelle mais, plutôt, d’adresser des problématiques ciblées, très opérationnelles, à  déployer équipe par équipe, unité par unité.

Vu d’une manière plus concrète, favoriser les transferts de pratiques entre usines ou business units est essentiel en termes d’agilité et time to market. Mais si on ne change pas la manière dont cela est mis en œuvre, dont des décisions très opérationnelles sont prises et exécutées au jour le jour, on aura fait que la moitié du travail…et cette moitié peinera à  créer une quelconque valeur en raison du goulot qui subsistera en aval.

Pour ceux que le sujet intéresse, vous pouvez également aller voir le concept de « podularité » illustré par quelques exemples chez Dachis Group.

PS : terminons par une question : est-ce que les cas en question mériteraient une étiquette ‘2.0″ ou « social business ». Une question qui mérite d’être posée car on est loin de la logique d’adoption des outils…mais cela ne passionnera que les puristes. Pour l’entreprise tant que ça cesse d’être nébuleux et que l’impact quotidien est plus clair…elle s’en moque totalement

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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