L’entreprise sans manager n’est pas l’entreprise sans management

Résumé  : on parle beaucoup d’exemples d’entreprises sans manager, louées pour leur agilité et leur efficacité. Un modèle qui intéresse par sa nature nouvelle tout autant qu’il fait peur aux personnes plus conventionnelles et attire les sarcasmes de ceux qui savent bien qu’une entreprise ne peut vivre sans managers. C’est là  que se situe la confusion : entreprise sans manager ne veut pas dire entreprise sans management. Une grande partie du rôle du manager dans l’économie d’aujourd’hui est plus efficacement assurée de manière distribuée que centralisée. Reste le besoin en leadership, un leadership qui s’exprime d’autant mieux qu’il n’est plus brouillé par la réunion du leadership et de l’autorité hiérarchique dans les mêmes mains.

Lorsque qu’on regarde l’entreprise sous l’angle de l’efficacité opérationnelle on voit bien que la clé du succès de certaines n’est pas l’utilisation de technologies dernier cri pour communiquer et collaborer mais la mise en place de certains principes organisationnels et managériaux. Des principes qui, quoi qu’on en dise, peuvent fonctionner dans des entreprises de taille largement supérieure.

Ce qui peut inquiéter ou faire peur lorsqu’on les présente est qu’on leur leur colle rapidement l’étiquette d' »entreprises sans managers ». Un peu dans l’idée de ce que développait Gary Hamel en disant « d‘abord, commencez par virer tous les managers« . Comment peut on faire fonctionner une entreprise sans managers ? Assez facilement si on évite le raccourci simplificateur qui voudrait qu’une entreprise sans manager soit une entreprise sans management. Dans les faits c’est tout le contraire : il s’agit d’entreprises beaucoup managées que les autres.

Commençons par évacuer une objection facile : une entreprise a besoin d’être dirigée. Des Semco, des Morning Star, des Groupe Hervé sont des entreprises dirigées et plutôt bien. On sait qui est le chef, qui fixe la ligne directrice. Par contre diriger et manager ne sont pas une seule et même chose. Le dirigeant fixe un cadre global, une stratégie et alloue les moyens. Le manager fait en sorte que cela donne des résultats. Son rôle est de faire réussir les autres.

On le voit bien, d’ailleurs, dans toutes les réflexions sur l’avenir du middle management. Le nouveau middle manager sera davantage un connecteur et un assembleur de compétences. Il mettra en lien ceux qui ont quelque chose à  faire et ceux qui détiennent l’expertise, le savoir, l’expérience qui l’aideront à  le faire le mieux possible, à  résoudre des problèmes, gérer des exceptions. Une fonction qui peut largement être désintermédiarisée à  condition que chacun comprenne qu’il est concerné par la réussite de l’autre et qu’il existe une dimension de réseautage et de communauté forte non pas (ou pas seulement) au niveau des outils de communication mais dans les principes managériaux et organisationnels de l’entreprise.

Dans de tels systèmes, très responsabilisants pour les collaborateurs, le management n’a pas disparu mais a été distribué. Ce qui amène à  une situation paradoxale : il est infiniment plus présent que dans une organisation où il est incarné par quelques uns.

Ensuite, me direz vous, le rôle du manager ne se limite pas à  cela. Effectivement. Il y a la question de fédérer les énergies, donner du sens etc… Ce qui ne relève pas du management a proprement parler mais du leadership. Et qui a dit que ces entreprises étaient sans leaders ? Bien au contraire. Il est préférable, lorsque le management est assuré par des personnes dédiées, que ces personnes aient également des talents de leader. Le fait que le management soit distribué n’empêche pas l’existence de leaders (qui sont d’autant plus à  l’aise qu’ils sont débarassés de la pression liée à  l’exercice de l’autorité hiérarchique qui perturbe leur message). Leaders désignés ou émergents d’ailleurs, puisqu’un système de management distribué permet plus facilement l’émergence et l’épanouissement de leaders au sein des équipes qu’un système de management hiérarchique.

Maintenant une question demeure : quel est l’intérêt d’un tel système ? Après tout on a bien vécu sans avant. Je pense que l’intérêt qu’il suscite vient d’évolutions majeures sur les marchés : quel que soit le secteur d’activité, l’entreprise évolue vers un modèle mixte knowledge/service qui nécessite de nouveaux modes opératoires. Ce qui peut être automatisé et mis sous contrôle strict l’a été, il ne reste que les process à  points de flexibilité nombreux, voire la gestion d’activités aléatoire par nature. Les modèles savoirs/services font de l’entreprise une machine à  générer et traiter les aléas, et l’aléa n’est plus la conséquence d’une défaillance du système mais sa raison d’être. Le collaborateur doit prendre des décisions dans un délais limité (voire sans délais, d’autant plus que dans un modèle de service la production et la consommation sont simultanées), le problème doit être traité au plus proche de l’endroit où il survient (et au plus proche du client) et le client devient de plus en plus partie prenante de l’activité de production, introduisant une autre variable et une source d’exigence externe à  l’entreprise dans ses propres processus.

Dans un tel contexte le manager trônant au sommet d’une structure pyramidale devient le goulot d’étranglement du système qu’il ne fluidifie plus mais, au contraire, ralentit. A partir du moment où son rôle n’est plus de planifier et contrôler une execution de masse où l’aléa n’a pas de place et où chacun repête à  l’infini les mêmes tches que son voisin mais de faire du spécifique, individu par individu, sa fonction gagne à  être distributée plutôt que centralisée et son rôle se déplacer davantage vers le leadership.

On peut donc concevoir des organisations sans manager…mais pas sans management. Le management qui est d’ailleurs d’autant plus présent et sensible au quotidien qu’il est distribué plutôt que centralisé. Et l’ancien manager n’a plus qu’à  devenir leader.

Maintenant quelques questions en vrac :

– est-ce souhaitable ? Du strict point de vue de l’efficacité organisationnelle, oui.

– est-ce souhaité ? Beaucoup moins qu’on peut le penser. Par le management pas plus que par les salariés…

– cela peut il fonctionner partout ? Certainement (ou presque).

– cela peut il fonctionner avec tout le monde ? « Nativement » non, un peu plus avec un peu de travail mais surement pas avec tout le monde. Mais c’est le sujet d’un prochain billet…

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
1,743FansJ'aime
11,559SuiveursSuivre
28AbonnésS'abonner

Découvrez le livre que nous avons co-écrit avec 7 autres experts avec pleins de retours d'expérience pour aider managers et dirigeants

En version papier
En version numérique

Articles récents