Aucune technologie n’est sociale. Les gens et leurs pratiques oui.

En deux phrases : Développer des usages et comportements pour les transposer en ligne et favoriser l’adoption des nouvelles technologies n’est que partie émergée de l’iceberg. Il faut avant tout créer l' »intention sociale » et donc identifier les facteurs qui la stimulent.

On parle beaucoup des technologies sociales comme d’un levier permettant la mise en œuvre d’usages et pratiques plus performantes. Ce qui est bien sur rendu possible par leur nature…sociale. Mais, histoire de faire court dans la narration d’une histoire qui ne cesse de se répéter depuis des années : la technologie sociale n’apporte strictement rien (si ce n’est des complications supplémentaires) lorsqu’usages et pratiques ne sont pas, eux, « sociaux ».

A la limite on voit davantage de choses concrètes dans des entreprises ayant travaillé sur les pratiques sociales et les mettant en œuvre sans technologie ou avec des technologies inadaptées (même si cette dernière situation est génératrice de frustration et est énergivore) que dans celles ayant le meilleur de la technologie et des pratiques inadaptées.

Marcia Conner le dit mieux que quiconque dans The New Social Learning: A Guide to Transforming Organizations Through Social Media

Social media is technology used to engage three or more people

Social learning is participating with others to make sense of new ideas

What’s new is how powerfully they work together.

Et oui. On a fait du social learning depuis la nuit de temps. On a utilisé les médias sociaux depuis qu’ils existent. Avec ou sans but. Qu’ont apporté les outils ? Un effet de levier…sur des pratiques existantes et à  condition qu’on ait l’intention d’opérer d’une certaine manière. Et cet exemple du social learning peut se décliner sur tout type de pratique et d’activité dite sociale.

Que ce soit au niveau de la prise de décision, du management, de la formation, du recrutement on a vu se développer dans certaines entreprises des pratiques que l’on qualifierait de « social » ou « 2.0 » longtemps avant que les outils du même nom n’existent.

Par contre le fait que les outils permettent de servir de levier aux pratiques en question, c’est une évidence. Avec des résultats parfois au delà  de toute espérance.

Ce qui nous amène à  la question de la primauté des pratiques hors ligne sur les pratiques en ligne.

Là  il y a deux écoles : soit on considère que le « online » permet de faire ce qu’on n’aurait jamais fait offline, soit on considère qu’il ne fait que le dupliquer mais à  une échelle jusque là  impensable.

C’est en la seconde option que je crois, et pour différentes raisons :

– on observe des fonctionnements nouveaux dans des entreprises n’utilisant pas de technologie.

– on observe souvent que les entreprises leader en la matière ont commencé à  faire évoluer leurs pratiques longtemps avant d’avoir les technologies adéquates à  leur disposition. Parfois dans la douleur en utilisant des outils inadaptés, mais avec cohérence. Mon exemple favori dans ce domaine étant Danone où un travail a été fait sur le comportemental longtemps avant qu’on ait l’idée de passer aux outils.

– il est désormais admis en matière de community management (puisqu’il y en a encore pour qui transformer l’entreprise revient à  faire fonctionner des communautés en surcouche de l’ancien modèle) que les communautés qui fonctionnent le mieux sont celles existent tout d’abord dans la vraie vie.

C’est un des points que j’ai abordé au mois d’octobre dans la présentation que j’ai donné à  HRTech Europe. Dans la série de questions qui a suivi mon intervention une m’a spécialement intéressé car elle m’a permis d’introduite un paramètre nouveau dans ma réflexion. Elle émanait de Stowe Boyd qui me montrait les limites du raisonnement en disant que sans la technologie, aujourd’hui, pour faire passer un message à  des dizaines de milliers de personnes il serait obligé de les mettre dans un avion pour les rassembler et qu’il lui faudrait au moins un stage pour s’adresser à  tous en même temps.

A priori cela rentre bien dans le périmètre de mon idée puisque justement, l’apport des outils est le passage à  l’échelle, et la capacité de s’affranchir de barrières liées au temps et à  l’espace. Bien sur la technologie, et c’est son intérêt, permet d’intéragir avec davantages de personnes, quelle que soit leur localisation géographique.

Mais Stowe a raison sur un point : elle permet des choses qui ne sont pas possible « offline » dans la mesure où il arrive que l’intéraction ait besoin d’une masse critique de participants pour porter ses fruits. Si je suis supporter d’une équipe de foot, par exemple, il y a de fortes chances que je puisse très bien rencontrer des personnes partageant la même passion « dans la vraie vie » et que la technologie n’aura pour seul intérêt que de me permettre de changer d’échelle. Par contre si ma passion est quelque chose d’assez rare et peu partagé, la probabilité que je rencontre les bonnes personnes offline est quasi nulle. Donc la dynamique ne peut démarrer que par le passage en ligne. Typiquement si on prend toutes les personne qui se sont intéressées vers 2005 à  la question de l’entreprise 2.0, sans la technologie qui nous a permis de nous trouver, il y a de forte chance qu’aucune dynamique ne serait née si on avait du ne se reposer que sur notre entourage « physique ».

Ce qui m’a permis de réfléchir à  posteriori sur la notion d’intention. Si on n’a pas l’intention de s’impliquer, partager et collaborer sur un sujet rien ne démarrera en ligne comme hors ligne. Si l’intention existe mais qu’elle n’est pas partagée dans notre univers physique, la technologie permet de la réaliser en ligne par un simple phénomène mathématique : il y plus de chances que vous trouviez quelqu’un qui partage vos centres d’intérêt en ligne que dans votre voisinage et ce constat se renforce au fur et à  mesure que le centre d’intérêt en question est spécifique.

Mais trouver ses pairs, que ce soit en ligne ou hors ligne, sans intention de socialiser avec eux n’amène à  rien. Technologie ou pas.

Reste donc à  déterminer ce qui conditionne l’intention ? De manière générale la culture, les valeurs et la personnalité d’un individu. Ce sont des facteurs qui ne sont pas figés mais peuvent évoluer avec le temps et le contexte.

Justement parlons du contexte. Parce que si l’intention est individuelle elle s’exerce dans un collectif et, en tout cas, a vocation à  rencontrer ce collectif. L’intention, et les facteurs que j’évoquais plus haut, sont influencés par les autres. Lorsqu’autour de soi les autres se comportent d’une manière, qu’on le voit et en constate les effets, on davantage susceptible d’agir de même. Que ce soit en raison de la valeur de l’exemple ou d’une forme de mimétisme.

Ensuite vient la question du système que j’ai déjà  traité ici. Car quand bien même on aurait un début d’intention encore faut il qu’elle puisse s’exprimer. Et qu’est ce qui fait que dans un environnement donné une personne va se retenir de mettre une intention en œuvre ? Les règles et codes de l’environnement humain en question, qu’elles aient été élaborées collectivement ou imposées par une autorité supérieure. C’est ce qui explique de l’internaute est souvent plus « social » que le collaborateur, que deux personnes relativement semblables aient des pratiques totalement différentes car elles sont dans des entreprises où les règles et contextes sont différents.

Voilà  donc ce qui fera que vos technologies sociales seront utilisées…socialement. Voire utilisées tout court. Et que même sans technologie un début de quelque chose peut commencer à  se mettre en place.

 

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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