L’adoption des technologies tue votre transformation digitale

Ce billet aurait également pu s’appeler « tout ça pour ça ». Ou « chassez le naturel, il revient au galop ». Depuis les premiers pas de l’entreprise 2.0 au milieu des années 2000 de l’eau a coulé sous les ponts et le passage à ce qu’on appelle la transformation digitale montre une certaine montée en maturité. Plus personne ne s’imagine une seule seconde que déployer un réseau social va transformer, seul, le fonctionnement d’une entreprise. Plus personne n’ose prétendre qu’une page Facebook bien faite et un community manager a peu près convenable vont redorer l’image d’une marque auprès de ses clients. Et pourtant.

Et pourtant si plus personne ne le croit, tout le monde aimerait bien que cela fonctionne quand même.

Aujourd’hui – et même si personne ne sait trop de quoi il retourne – le sujet de la transformation digitale est une préoccupation pour toutes les directions générales. Beaucoup d’un point de vue relation client, relativement moins pour ce qui est de l’interne, mais le sujet est là. Et les leçons des dernières années ont semble-t-il été bien apprises par les entreprises.

« Oui on a bien compris que la technologie était secondaire ». « Oui c’est une question de culture, il faut prendre le temps ». « On a bien compris que sans réinventer notre business model on aura du mal à donner du sens au reste ». Et à ce moment précis où l’on pousse un « ouf » de soulagement… « Bon quelles communautés faut il créer et comment ? ». « On fait une étude d’opportunité pour un réseau social ? ». « On va annoncer notre nouvelle stratégie d’ici peu donc d’ici là il faut vraiment qu’on ait un réseau social qui booste pour être cohérent ».  » Le PDG ? Bien sur qu’il dit que c’est important ! Qu’il s’implique ? Ah si le réseau social devient rapidement très actif peut être qu’on pourra lui en parler, sinon il a quand même autre chose à faire ». Et le soufflé retombe.

On confond transformation et adoption

Pour encore trop d’entreprises, transformation digitale ou transformation organisationnelle rime avec adoption des technologies et c’est une erreur. L’adoption fait partie de la transformation mais elle n’est pas la transformation. Elle peut la faciliter mais encore faut il avoir décidé de l’objectif, de ce qu’on veut atteindre, de la vision cible. Car c’est le projet de transformation qui donne du sens à l’adoption et pas l’inverse. Un plan d’adoption sans vision cible claire, sans plan de transformation précis en dehors de ce qui se passe dans les outils n’est qu’un ravalement de façade provisoire et de toute manière ne résiste pas longtemps au temps et à l’épreuve de la réalité.

Le problème est que tout le monde en a conscience mais qu’on ne peut s’empêcher de retomber dans les vieux travers. Et c’est ainsi que l’on voit dans les entreprises des réseaux sociaux fantômes ou sous respirateur artificiel ( qui ne vivent que le d’activité des community managers) ou qu’on a vu, coté client, des comptes twitter confiés à des stagiaires ou des juniors, lachés dans le grand bain sans préparation, sans que les process aient été réalignés derrière pour les supporter.

Essayons donc de comprendre les causes de tout cela pour s’en protéger, au au moins essayer.

1°) Les méfaits du solutionnisme technologique

On en reparlera dans un futur billet mais la croyance selon laquelle le web et la technologie sont la solution a tout, et que dès lors qu’on emploie quelque chose de « webisé » on fait forcément quelque chose de meilleure fait aujourd’hui beaucoup de dégâts. De moyen la technologie devient le but et on finit par oublier le problème qu’on voulait résoudre pour le « tordre » afin qu’il rentre dans la solution. Au final on oublie le problème originel, on le résout rarement et on en crée par contre un nouveau.

Le solutionnisme crée de nouveaux problèmes sans résoudre les anciens

2°) Le marketing des éditeurs

Très en phase avec le solutionnisme d’ailleurs, il va sous estimer le besoin de transformation qu’implique la mise en place de la solution, qui est en fait le même que si on avait voulu transformer l’entreprise sans technologie auquel s’ajoutent les questions propres à la technologie. Minimiser car plus personne n’ose tenir le discours en vogue dans les années 2005-2009 où, puisque tout le monde utilisait les réseaux sociaux naturellement, il allait en être de même dans l’entreprise. Un discours, heureusement, que personne n’ose plus tenir.

Pour autant souvenez vous que leur objectif à la fin du mois est de vendre des licences et pas de transformer votre organisation. Mais les choses s’améliorent et nombre d’éditeurs de premier plan ont désormais des « customer success managers », conscients du fait qu’une technologie vendue et non utilisée voire parfois non déployée est finalement parfois pire qu’une vente ratée. Mais ça n’est qu’un demi progrès : l’objectif reste dans de nombreux cas lié au produit (nombre d’utilisateurs, volumétrie des échanges) et ne veut en aucun cas dire qu’il y a une vraie transformation de l’organisation ou qu’il y a un impact business concret.

3°) Le cloud

Avant tout était plus simple. Vous aviez deux ans pour déployer la technologie et entre temps tout le temps de penser à votre plan de transformation et travailler sur la dimension humaine et organisationnelle. Aujourd’hui on peut avoir la technologie en un clic, en quelques secondes ou tout au moins le lendemain de la signature du contrat. Qui, dès lors, peut accepter d’avoir une technologie à disposition et ne pas l’utiliser pendant des mois en attendant que l’entreprise, de par son organisation et son management, lui donne du sens ? Personne. Avec le cloud (entre autres) la technologie n’est plus le facteur lent du changement, c’est l’homme. Ce faisant elle nous pousse souvent à passer rapidement à l’étape « action » en réduisant la partie « réflexion » et les phases amont préalables à la portion congrue.

L’homme va plus lentement que la technologie

4°) Les habitudes budgétaires

On entend souvent qu’un euro de licence signifie deux ou trois euros de services. Dans la pratique on en est loin : la technologie absorbe souvent 75% du budget d’un projet et il reste peu de moyens pour s’occuper du reste ce qui explique qu’on se résigne à faire de la cosmétique autour des solution sans s’occuper des questions organisationnelles de fonds.

5°) Une culture du court terme

On le voit, les entreprises qui ont réellement adopté des modèles nouveaux ont longuement travaillé à leur transformation avant de penser à la technologie. Celle ci tient souvent un rôle important car elle permet au modèle de fonctionner à l’échelle mais tire son utilité du modèle, elle ne le crée pas spontanément. Trop de leaders veulent trop rapidement quelque chose à montrer et ce quelque chose est souvent…une copie d’écran. La technologie n’est pas le changement mais elle le rend visible donc l’objectif devient d’avoir des copies d’écran à montrer, peu importe finalement si cela correspond à la réalité.

6°) L’immaturité des directions générales.

Tout le monde parle de transformation digitale mais seules 24% des entreprises ont une idée claire de ce qu’elles mettent sous ce nom (Etude Altimeter). A coté de cela seuls 21% des top managers et dirigeants français pensent que le numérique aura un impact positif sur leur entreprise (Etude Cap Gemini Consulting).

Assez pour dire que quand on ne sait où l’on va il est facile d’emprunter la mauvaise route ?

L’adoption détourne les entreprises des enjeux de transformation

Quoi qu’il en soit votre but n’est pas d’utiliser une technologie quelconque mais de contribuer à une transformation profonde et ambitieuse de votre entreprise. Si cette ambition n’existe pas personne ne vous blâmera de faire de la cosmétique (passer tout de suite à une logique d’adoption) car vous n’avez finalement pas d’autre solution. Si, au contraire, cette ambition existe, la pire des choses qui puisse vous arriver est de rapidement dériver vers un plan d’adoption qui en vous détournant de l’essentiel risque de ruiner votre transformation digitale.

Crédit Image : Cool Technology via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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