DSI et digital : du collaboratif aux robots, par Frédéric Charles

Collaboration, rôle de la DSI, données et objets connectés : quelles sont les grandes tendances en matière d’évolution digitale des entreprises ? Frédéric Charles, en charge de la stratégie et de la gouvernance SI à la Lyonnaise des Eaux est un pilier historique de l’innovation IT en France, souvent remarqué pour sa vision et ses approches disruptives. Il a accepté de se prêter à un petit jeu de questions réponses sur le sujet de la transformation digitale.

frederic charles
Fréderic charles

Bertrand Duperrin : Bonjour Frédéric. Pour commencer pourrais te présenter et nous dire en quoi consiste ton métier aujourd’hui ?

Frédéric Charles : Mon métier c’est le management des systèmes d’information. Aujourd’hui, d’ailleurs, le SI a besoin de plus en plus de managers qui ne sont plus nécessairement, comme auparavant, des techniciens. D’ailleurs moi même je n’ai pas de formation de technicien du SI mais j’ai plutôt une formation dans le domaine de l’énergie.

On a besoin de managers car on a dépassé le concept de la gestion de projet et aujourd’hui il faut gérer les projets, les équipes, les coûts et tout cela au service des métiers et de la stratégie d’entreprise.  On peut faire le parallèle avec la logistique qui a un moment donné a émergé comme un vrai sujet. Les plateformes logistiques sont devenues des directions de la logistique. On peut dire que la DSI c’est la direction de la logistique du monde digital.

La DSI c’est la direction logistique du monde digital

Le problème c’est que la DSI n’a pas été faite pour ça donc il y a un vrai sujet de transformation entre la manière dont la DSI a été conçue à ses débuts et là où elle doit aller aujourd’hui. Pour les profils SI aujourd’hui le plus intéressante n’est donc pas trop de connaitre les parcours mais plutôt de savoir comment on définit le rôle du SI aujourd’hui.  Les parcours d’hier ne sont put être pas significatifs pour demain.

BD : C’est ta double orientation IT/Métier qui, par exemple, a fait que tu as été un des premiers en France à pousser des initiatives de collaboration sociale ? (2008-2009)

FC : Au départ j’avais un problème technique de remplacement de plateformes devenues obsolètes. On est partis du principe que les fonctionnalités n’étaient pas une fin en soi,  et on s’est surtout demandés quel était l’objectif qu’on voulait atteindre. Et on s’est vite rendu compte que l’objectif était de redéfinir le système d’information et de collaboration de l’entreprise. En 2008 j’étais responsable du projet intranet et je me suis tout de suite demandé quelle était la suite car communiquer et partager des informations était certes indispensable mais en aucun cas suffisant et à la mesure des challenges imposés par le travail

BD :  Tu fais justement partie de ceux qui ont le plus de recul en matière de collaboration sociale et réseaux sociaux d’entreprises. Quel est ton retour d’expérience aujourd’hui ?

FC : Mon dernier état des lieux c’est de dire que ça a bien fonctionné là où l’entreprise a mis les moyens. Souvent parce qu’il y avait un patron charismatique, une urgence de rationalisation et de simplification. Ca n’a par contre pas encore bougé les gens dans leur zone de confort. Tant que les entreprises étaient dans une zone d’inconfort car il fallait progresser et avancer et qu’il n’y avait pas le choix on a pu faire des choses. Ca a été notre chance à la Lyonnaise des Eaux car en 2009-2010 on n’avait d’autre choix que d’avancer vers la collaboration et l’implication des parties prenantes, vers la redéfinition de nos métiers. On était donc totalement alignés avec la situation de notre entreprise à l’époque, dans une industrie en pleine de redéfinition où chacun a du se reposer un certain nombre de questions.

La collaboration sociale n’a pas touché les entreprises qui étaient dans une zone de confort

Tous ceux qui étaient dans cette zone d’inconfort ont bougé, ont fait des choses et ont eu des vrai ROI. Par contre ça n’a pas touché ceux qui étaient dans une zone de confort et qui pouvaient se dire « il y a quelque chose qui se passe mais je ne suis pas obligé de l’utiliser donc je ne l’utilise pas » quitte à renoncer à l’ensemble de la valeur collaborative pour l’entreprise.

Mon avis : j’ai récemment identifié le sentiment d’urgence comme un des deux facteurs qui permettent à eux seuls d’expliquer la capacité d’une entreprise a avancer sur le sujet de la collaboration sociale.

BD : j’ai également l’impression qu’on a du mal de passer au « social orienté métier »

FC : Effectivement. Le social orienté métier c’est un Graal dont je pensais qu’il arriverait beaucoup plus vite. En fait je pense que l’ERP a piégé les processus de manière très rigide et que le « social métier » arrive donc systématiquement dans une zone de conflit avec l’ERP. Par contre certains domaines l’ont fait comme les RH qui étaient peu informatisés, à part le bulletin de paie, et ont pu plus facilement migrer vers des approches innovantes en termes, par exemple, de gestion des talents avec des produits comme Talentsoft, en Saas, dans le cloud, avec des approches très sociales et collaboratives. Les domaines qui ont été le plus rapidement révolutionnés par le social sont ceux qui avaient échappé à l’ERP.

Les approches innovantes ont été plus simples dans les domaines qui n’étaient pas rigidifiés par les ERP.

On parle notamment des domaines où la description du processus était trop compliquée car il y avait trop de cas alors que l’humain savait parfaitement s’accommoder de cette multitude de cas. Par contre on a peu avancé dans des domaines beaucoup plus industriels.

Ma conviction c’est que le social doit s’intégrer et revenir par les systèmes. Il y a des niches où cela fonctionne aujourd’hui, comme dans le CRM avec Salesforce notamment, dans les RH, par contre il n’y a pas d’exemple de collaboratif intégré dans les processus ailleurs. Tu n’en a pas dans les achats par exemple alors que les achats sont une activité hyper collaborative de l’amont à l’aval, de la définition du besoin à la collaboration avec les sous-traitants en passant par l’évaluation de ces mêmes sous-traitants. L’absence de collaboratif dans les solutions achats reste pour moi une grande énigme.

BD : tu penses que le social orienté métier arrivera par le réseau social ou les outils métier ? Est ce que c’est à l’outil métier de se socialiser au risque de recréer une foule de silos ou est-ce au réseau social de se connecter aux outils métiers et de devenir un hub collaboratif en surcouche ?

FC : C’est exactement cela, mais il faut aussi y ajouter une logique de guerre économique. Derrière l’application métier il y a un éditeur ou un intégrateur qui voit très bien l’extension de champ d’application et le nombre de licences qui va avec mais rarement la collaboration.

Dans les petites entreprises il n’y a qu’un seul ERP. Que tu ajoutes le module social de l’ERP ou que tu le connectes au réseau social, l’affaire est possible. Dans les grandes entreprises il y a plusieurs ERP et une logique de silos par métier, BU, géographies etc et c’est ça qui crée le vrai cloisonnement. Quand un éditeur sort une brique collaborative pour son ERP il n’a aucune envie que le concurrent, lui aussi présent, ne place la sienne. L’entreprise n’a presque pas son mot à dire dans ce débat. La seule chose qu’elle puisse faire c’est normaliser quelque chose de central mais qui ne peut être que minimal et donc qui ne fera pas grand chose car il faudra qu’il le fasse partout.

Même si je n’aime pas l’idée on peut se dire que l’email comme plateforme généralisée est devenue la couche sociale qui s’est imposée partout. Avec en plus l’existence d’un protocole unique ! Si l’entreprise est capable de mettre en place un protocole commun un peu plus sophistiqué que l’email il n’y a aucune raison que les gens ne détournent pas ce protocole pour en faire le système de collaboration global qu’il n’y aura qu’à reconnecter à l’ERP. Aujourd’hui l’ERP est connecté sur le mail, on pourrait le connecter à autre chose.

Mon avis : effectivement, l’intégration entre le social et les ERP est vitale mais pas nécessairement pour les ERP

BD : Tu as quand même des éditeurs qui avancent sur les standards ouverts comme OAuth, Activity Streams etc, le W3C esssaie aussi d’uniformiser tout cela en entreprise…

FC : Ca va prendre du temps mais c’est par là qu’il faut effectivement passer.

BD : Mais lorsque le W3C travaille là dessus tu as JIve, IBM, Google, SAP autour de la table mais pas Microsoft. C’est quand même problématique en entreprise…

FC : Oui d’autant plus qu’avec la prolifération des versions et des devices, Microsoft n’est plus un standard de fait et s’en est rendu compte. D’ailleurs pour les objets connectés ils viennent d’adopter un standard constructeur Open Source plutôt que d’essayer de développer un standard propriétaire comme ça a longtemps été le cas.

BD : Justement tu parles d’objets connectés… On a longtemps parlé d’entreprise 2.0, puis de social business, aujourd’hui on parle de transformation digitale. Comment de ta fenêtre vois tu le cheminement entre ces différents concepts ?

FC : J’ai parfois l’impression qu’on parle de la même chose tout le temps mais avec des noms différents. Je vais prendre un exemple concret.

Quand je travaille avec une collectivité locale dans le cadre d’un contrat est ce que c’est important de savoir si je suis en train de collaborer, de faire du digital… Dans ces domaines on a des contrats à long terme donc la notion de vente disparait au profit de la notion d’exécution. La seule chose qu’on fait c’est travailler ensemble et pour cela on a un portefeuille de moyens. Il y a donc de nombreux domaines ou digital et collaboration se confondent.

Si les collaborateurs ne collaborent pas en interne ils ne le feront pas avec le client

Après il y a un autre point important c’est que dans certains secteurs on va ouvrir des passerelles vers le client, au travers d’outils collaboratifs ou d’objets connectés, mais si le collaborateur en interne n’a pas la prise de conscience de ce que veut dire collaborer c’est comme les mettre dans une salle avec un téléphone sans leur dire qu’au bout du fil il y a des clients. S’ils ne l’apprennent pas en interne ils ne le feront pas en externe.

BD : j’ai aussi l’impression qu’on est passé de faire faire des choses à des gens, entre eux, à inclure données et machines comme acteurs du dispositif collaboratif. A la limite on se dit « si c’est compliqué avec des humains, faisons le avec des robots ». Si tu ajoutes les objets connectés, le digital va largement au delà de la collaboration et des humains

FC : Effectivement. Le « social » était entre humains, le digital va au delà. Pour revenir aux objets connectés ce sont ceux de nos clients consommateurs qui m’intéressent car ils permettent d’engager une relation numérique avec eux par l’intermédiaire de l’objet.

Eux vont m’amener de la donnée, on la repartage derrière et c’est là que l’entreprise entre en jeu. Et le premier objet connecté c’est le smartphone ! On l’a toujours dans la poche. Puis les autres objets intéressants sont ceux attachés à des humains car ils vont permettre d’automatiser un certain nombre de choses et ramener de l’information dans nos systèmes.

BD : on pouvait déjà faire la même chose avant mais l’humain devait saisir et partager la donnée lui-même. Aujourd’hui on rentre dans une forme de collaboration passive grâce aux objets.

FC : Si je prends foursquare au départ il y a une forme de collaboration : quand je fais un check-in je dis aux autres que je suis là. Avec un objet connecté tu peux imaginer le check-in automatique. Ca ne change pas les fondamentaux, on va juste générer de la donnée plus facilement.

Les objets connectés ne changent pas les fondamentaux mais permettent de générer de la donnée plus facilement

Au final l’objectif reste le même : rencontrer des personnes, optimiser des déplacements, savoir qui connait qui ou quoi à un moment donné.

On ne va pas être dans du machine-to-machine. C’est comme le B2B2C, on va passer par des objets pour parler à des humains en fait, pour se rapprocher d’eux. En tout cas à court terme. Dans tout ce qu’on voit apparaitre aujourd’hui, montres, vêtements etc. il y a toujours un humain derrière.

Si Madame Michu a un objet connecté sur son frigo pour remonter de l’information, ce qui est intéressant ça n’est pas le frigo mais Madame Michu, l’objet connecté n’est qu’un intermédiaire. Par contre il simplifie la vie : elle n’a pas a sortir son iPhone, installer, lancer et utiliser une application. C’est ce qu’à fait Evian pour commander de l’eau, Darty avec son SAV…

L’intérêt de l’objet connecté c’est l’humain qui est derrière

L’objet cache un service, cache des gens. C’est juste une interface de plus, comme le smartphone a apporté une interface supplémentaire – et complémentaire – à celle du PC.

BD : Autre champ du digital : la relation client.

FC : C’est la partie la plus avancée dans le digital car c’est eux qui ont le ROI avec les ventes, la marque. On y a donc mis beaucoup plus de moyens. C’est un domaine où on est beaucoup plus avancé en termes d’automatisation également. On va un peu à l’envers du reste et on essaie de supprimer l’humain dès que c’est possible. Si c’est un robot qui permet d’afficher la meilleure des publicités en fonction de mes goûts, de mes envies et non pas une régie ça ne pose aucun problème.

Dans la partie CRM il y a de plus en plus de choses qui seront automatisées avec des robots, des algorithmes comme en bourse où la majorité du trading n’est plus faite par des humains.

L’automatisation du CRM demande un vrai saut de compétences au marketing

C’est là où je pense qu’il va y avoir un vrai saut de compétence par rapport au marketing d’aujourd’hui.

BD : le retour de la Relation client avec un grand R ?

FC : Déjà la relation client n’avait jamais été intégrée dans le marketing en tant que telle et on avait une séparation entre les directions clientèles et les direction marketing. On avait un marketing plutôt orienté communication et une direction clientèle plutôt transactionnelle et aujourd’hui il est clair que les deux convergent totalement et s’alimentent.

Ensuite il y a un second niveau de changement en termes de sophistication. Là où le marketing pouvait sous-traiter entièrement une campagne à des agences externes, avec un début et une fin, là on va être dans la relation permanente donc on va plutôt parler plateforme. Il n’y aura que deux choix possibles pour l’entreprise : soit je crée ma propre plateforme pour être en relation avec mes clients, influenceurs etc soit je la sous traite. C’est pour cela que certaines agences commencent à racheter des « assets » informatiques pour avoir de telles plateformes. Un Facebook, un Google ou un Critéo ont l’avantage d’avoir ces plateformes qui permettent la relation client in fine et ce qu’ils vendent c’est l’accès à ces plateformes. Soit l’agence va changer de métier et simplifier l’accès à ces plateformes comme une compagnie d’autoroute qui met des péages. Soit on paie pour l’autoroute soit on prend les nationales. Dans le second cad on va donc devoir se fabriquer ses routes nationales.

C’est un choix d’infrastructure : est-ce que je vais sur les grandes plateformes et avec qui ou est-ce que je construit la mienne.

BD : Avec un problème lié aux « autoroutes ». Si tu vas sur Facebook non seulement  tu partages tes données avec eux mais en plus, en dehors de ton logo, tu es faiblement différenciant.

FC : Sur le premier point on partageait déjà des données avant. On achetait des fichiers dont on n’avait pas la propriété derrière. On ne devenait propriétaire du client que lorsqu’il achetait ou demandait à être rappelé. Donc ça n’a pas beaucoup changé. Mais si on veut être propriétaire de cela il faut y mettre les moyens car le ticket d’entrée va être de plus en plus élevé.

Le digital ne change rien aux questions de fonds : ce qui compte c’est de tenir et gérer la relation client

Ca n’a rien de neuf, c’est juste des avantages compétitifs qu’on avait perdu de vue. Si tu prends OCP en France (organisme de diffusion du médicament auprès des pharmacies) leur métier c’est juste de gérer la relation privilégiée avec tous les pharmaciens de France, d’être le point d’accès inévitable. Peu importe si le produit ou le moyen de livraison change. Idem pour la SEITA qui distribuait des cigarettes puis a évolué vers d’autres produits : son métier ça reste la gestion de la relation avec les buralistes !.

On en revient au point de départ essentiel à comprendre dans le digital : le digital c’est le nouveau système logistique dans le monde de la donnée !

Bref on revient à un principe de base, invariable. Avec qui dois-je être en relation et est-ce que je veux gérer cette relation seul ou avec quelqu’un. Il faut une gouvernance par rapport à ça.

BD : Une fois qu’on a dit tout ça, quels sont les enjeux pour une DSI ? C’est une évolution radicale non ?

FC : La DSI s’est montée progressivement avec l’informatisation de tous les domaines de l’entreprise depuis 1980, un par un. A l’époque le sujet c’était un peu comme acheter des tables et des chaises : on les choisit et on les installe. Aujourd’hui on a mis des tables et des chaises partout, dans tous les domaines fonctionels. Il n’y a plus rien à acheter et le problème de fonds c’est de faire tourner la boutique. Faire en sorte que le SI soit totalement intégré aux processus de l’entreprise et le développement du digital fait que de plus en en plus de processus reposent sur le système d’information.

La DSI n’est plus là pour gérer des standards mais accompagner l’entreprise dans sa transformation digitale

Donc la DSI n’est plus là pour gérer des standards techniques, faire des projets ou sous-traiter mais pour accompagner l’entreprise dans sa transformation digitale. Et en même temps gérer le « legacy » qui mettra 10 ans à disparaitre car c’est la durée de vie de tout système. Si on fait un schéma directeur à 5 ans on ne remplacera que la moitié des produits qu’on a. Donc il faut se demander quels sont les produits auxquels il faut toucher maintenant et ceux dont on s’occupera plus tard.

BD : Tu dis que le rôle de la DSI c’est d’accompagner la transformation digitale. On parle beaucoup du Chief Digital Officer (CDO) en ce moment. Tu en penses quoi ? Qui doit ou va prendre le leadership digital dans l’entreprise ? L’IT ou le marketing ?

FC : Les deux, IT et marketing, ont été créés par rapport à un besoin qui a totalement changé depuis. Les deux sont presque devenus des erreurs dans les organigrammes et il va falloir trouver comment recomposer l’ensemble. Différentes organisations testent différentes choses mais il n’y a pas de modèle.

Il y une dimension importante qu’il faut mettre dedans par contre, c’est la donnée. Finalement la seule chose qui circule dans cette logistique c’est de la donnée. La DSI n’a jamais vraiment géré l’analyse de la donnée qui se faisait coté métier et le marketing a quant a lui oublié de capitaliser toutes ses données pendant des années à l’inverse d’un Google ou d’un Facebook.

La vraie question qui va donc permettre de recomposer le paysage c’est de savoir comment on  va gérer la donnée, quelles sont les données qu’on va gérer en interne, comment, de manière centralisée (ERP) ou collaborative et quelles sont celles qu’on va totalement automatiser, en lien avec la relation, les objets connectés, les plateformes clientèles, avec la mise en place des fameux robots.

Qui va construire ces systèmes ? L’entreprise avec l’aide de la DSI et du marketing. Qui va les piloter ? On mettra un nom à la fin. Chief Digital Officer ou autre.

BD : Tu vois une différence alors entre un chief digital officer et un chief data officer ?

FC : Totalement. Le Chief Digital Officer je le vois dans la logique de pilotage des moyens digitaux avec toutes les facettes qu’on a cité : interne, externe, humain… Le Data c’est plus fort que ça car il y un rôle régalien qui touche la sécurité, l’éthique (qu’utiliser ou pas, comment, quels croisements de données s’interdire).

Le Chief Data officer aura davantage un rôle gouvernance, moins en phase avec le business et la stratégie.

Le Chief Digital Officer pilote les moyens digitaux, le Chief Data Officer est en charge de la gouvernance.

C’est ce que je vois aujourd’hui mais il n’y a pas de définition installée.

Typiquement à la Lyonnaise des Eaux après avoir géré le collaboratif, on a créé un pôle architecture et relations numériques parce que l’architecture est essentielle, que la donnée est au cœur de l’architecture et que les relations numériques font tourner les plateformes. On en a fait un pôle de compétences au service des métiers.

BD : Pour finir n’as tu pas quand même l’impression d’un renversement de tendance. Depuis les début du web et notamment du web 2.0 on n’a eu de cesse de répéter « it’s about people ». Maintenant j’ai l’impression que c’est « It’s about data ».

FC : Disons plutôt que les données sont un asset de l’entreprise qui n’avait pas été révélé jusqu’à présent et qui est souvent très mal géré. C’est plus une prise de conscience mais qui rejoint le coté collaboration : on se dit que la bonne gestion des données c’est une autre façon de parler d’intelligence collective. Sauf que cette intelligence là se traduit par notre capacité à comprendre  comment l’entreprise, les clients, les collaborateurs fonctionnent pour faire de meilleurs offres, prendre de meilleurs décisions, être proactifs.

Une bonne gestion des données c’est une autre façon de parler d’intelligence collective

On n’est pas très loin d’une façon d’objectiver par la donnée de la connaissance collective. Comme il va y avoir une explosion du nombre de données, la capacité des humains à les analyser va être de plus en plus limitée donc on va avoir besoin de beaucoup plus de systèmes d’analyse de données pour prendre des décision automatiques.

La donnée au final c’est un asset basique qui était sous exploité parce que personne n’y voyait trop d’intérêt. Aujourd’hui vu qu’on peut l’enrichir, l’automatiser, cela redevient un asset de premier plan et c’est peut être cette intelligence collective qu’on va mettre dans la donnée qui permettra de prendre de meilleures décisions.

Qu’est ce qui a assez de valeur pour nous faire changer nos comportements ? C’est le fait de savoir quelque chose. C’est ce qu’on attend de la donnée : porter à notre connaissance des choses qui vont nous permettre de changer, de nous améliorer. Mais que je le sache parce que quelqu’un me l’a dit ou que ce soit un un robot finalement le résultat est le même. Ce qui compte c’est de savoir qu’on peut faire quelque chose.

BD : C’est justement un dernier point qui fait débat en ce moment. Avec toutes ce machines intelligentes, ces robots, beaucoup craignent une destruction massive d’emplois qui ne serait que faiblement compensée par des emplois nouveaux. Tu vois les choses comment ?

FC : Ma vision est sur l’industrie informatique, donc plutôt ceux qui fabriquent les robots. Déjà il faut se méfier des fausses bonnes idées. Depuis le début des années 70 on a toujours pensé que l’informatique supprimerait le papier et tu vois bien qu’on en est encore loin. De la même manière dans le domaine qui nous intéresse on a toujours besoin d’humains à un moment mais peut être moins en quantité et en volume mais davantage sur des compétences très spécifiques.

Comme la collaboration pose des questions au middle management, les robots posent des questions sur des gens qui sont plutôt sur des tâches facilement automatisables avec un champ de décision limité. Ceux là sont totalement remplaçables par des systèmes intelligents. On peut déjà le faire aujourd’hui et on pourra encore plus le faire demain. Il y a des reconversions à prévoir.

Par contre dans le domaine informatique il y a une migration qui est très intéressante. Quand la fonctionnalité existait encore j’aimais aller sur Linkedin en regardant, pour une société donnée, d’où venaient les gens et où ils allaient après. Cela permettait de voir les grandes tendances avec des mouvements massifs de population d’un secteur vers un autre à un moment donné. On a vu ces dernières années la migration des fabricants de matériel vers las fabricants d’infrastructure. Il y a une auto-reconfiguration du secteur avec des bascules dans les métiers amont, de conseil, d’intégration de systèmes, de plateformes notamment.

A l’échelle mondiale c’est difficile de savoir si ça va créer ou détruire des emplois. Il y a en plus la notion de pays qui compte : il y a pleins de tâches qu’on aurait pu automatiser mais qu’on a « offshoré » en Inde par exemple.

La bonne nouvelle dans tout ça c’est que je pense qu’on a une capacité de fluidité d’organisation, et on le voit avec le mechanical turk d’Amazon pour la distribution de tâches ou les systèmes collaboratif dont on a parlé, qui fait que les entreprises ont de plus en plus de facilité de trouver de gens avec des compétences précises et que les gens avec des compétences trouvent plus facilement les entreprises qui ont besoin d’eux. C’est surtout cette fluidité qui fait peur aujourd’hui mais elle n’est pas antinomique avec le maintient d’un certain volume d’emploi.

De toute façon la société a toujours eu l’emploi pour objectif quitte a créer des jobs a faible utilité. Par contre il faut prendre en compte la mondialisation et la France c’est pas très très bonne pour créer les plateformes qui vont distribuer l’emploi et l’information de demain.

 

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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