La monétisation de la médiocrité est elle l’avenir ou la mort des médias digitaux ?

Il fut un temps où le lecteur était roi et les médias se devaient de leur apporter de la valeur ajoutée pour se vendre. Cette valeur ajoutée c’était à minima de l’information et idéalement de la réflexion et de la mise en perspective. Plus on allait loin dans cette dimension plus on gagnait en audience et en revenu. C’était vrai à une époque très lointaine où le média n’était que papier. Puis la radio et la télé sont arrivées, offrant plus d’immédiateté et concurrençant la « vieille » presse en investissant un champ nouveau. La multiplication des offres média a offert plus de choix mais a également commencé à saturer l’offre à tel point que l’objectif de ces médias est devenu de capter l’attention avant même de délivrer de la valeur ajoutée.

Internet n’a fait que porter la situation à un niveau infiniment plus élevé. Voire insoutenable. Ca n’est plus un ou des canaux mais un océan de courants dans lequel on nage. Ou se noie. A ce moment c’est devenu définitif : c’est l’attention qui compte. La forme l’emporte alors sur le fond : à quoi cela sert il de donner de la valeur si personne ne vient la chercher.

Les contenus gratuits sont un mythe

Internet a changé une seconde chose en imposant le mythe de la gratuité des contenus. Je dis bien mythe car rien n’est gratuit : si vous ne payez pas pour des contenus c’est que d’autres payent. Ils payent en affichant de la publicité ou on se paie sur vos données. Et là d’un seul coup l’intérêt du contenu devient secondaire : peu importe que vous lisiez ou non, regardiez ou non, ce qu’il faut c’est que vous voyiez une publicité et idéalement cliquiez dessus. Ou que vous donniez quelques précieuses données d’une manière ou d’une autre.

Guerre de l’attention et importance décroissante de la valeur du contenu : le ver est dans la pomme.

D’ailleurs vous remarquez bien qu’au début de cet article je parle d’information et maintenant de contenu. Ca n’est pas sans raison et en passant j’en profite pour signaler à quel point le mot contenu m’exaspère, justement parce qu’il est la conséquence d’une évolution qui quoiqu’inéluctable me semble déplorable.

Le métier du média change : d’informateur à rabatteur

Une informations nous apprend quelque chose. Une mise en perspective nous enrichit. Un contenu ne se définit que par rapport à un contenant : il est là pour remplir de l’espace peu importe sa valeur ajoutée pour le lecteur. Et l’objectif n’est plus d’apporter de la valeur au lecteur, on s’en moque il ne paie pas. L’objectif c’est d’amener le lecteur à l’annonceur qui, lui, paie. Le contenu n’a pas de valeur propre et pas d’autre objectif que de servir d’hameçon. Les médias ne sont plus des diffuseurs d’informations mais des appâteurs de proies. Alors bien sur ça n’est pas nouveau (souvenez vous l’histoire du temps de cerveau disponible) mais là on atteint des sommets difficilement tolérables.

A la limite on peut envisager l’expression la plus radicale de ce modèle : titre aguicheur et contenu inexistant ou débilitant. Oh. Attendez….  Je crois en fait qu’on y est déjà.

Buzzfeed. Upworthy. Le Démotivateur. Topito. Pour n’en citer que quelques uns. Je suis certain que vous avez déjà cliqué sur un de leurs liens pour vous rendre compte qu’en matière de valeur on frisait le néant absolu. C’aurait été dommageable à l’époque où derrière un média il y avait des journalistes dont le métier était de donner de la valeur. Là ça n’est pas le même métier : usines à contenu sans valeur ni intérêt car le modèle, rappelons le, n’est plus de vendre de la valeur au lecteur mais du trafic à l’annonceur.

Médias et journalisme ne vont plus de pair et c’est grave

Internet, le digital, sont des sources de progrès dans nombre de domaines, inventant de nouvelles offres, challengeant le status quo, poussant des secteurs d’activités à se réinventer et s’améliorer. Mais en matière de média j’ai peur qu’on soit plutôt sur une pente régressiste. Car si la presse et médias traditionnels souffrent, c’est surement dans une certaine mesure de leur propre fait et en raison de leur lenteur à se réinventer mais c’est aussi parce que ces usines à médiocrité monopolisent l’attention. Pire : au fil du temps ils se pourrait même qu’ils formatent les goûts et attentes en matières de contenu de ceux qui n’ont connu que ça. Imaginez ce qu’est une bon contenu pour une génération née avec Buzzfeed…

Cette monétisation de la médiocrité est elle l’avenir des médias digitaux ? Le modèle est il pérenne ? Si oui c’est bel et bien la fin de quelque chose. La fin d’une ère où les médias étaient tenus par de vrais professionnels qui essayaient d’apporter quelque chose à leurs lecteurs. Une ère ou l’information et le journalisme l’emportaient sur le buzz et le contenu.

Une autre voie existe et certains osent l’emprunter quitte à se compliquer la vie. C’est visiblement le choix d’un Melty qui aurait pu facilement tomber du coté obscur du buzz mais à décidé de se repositionner sur du qualitatif. Observons et prions.

Si l’avenir du media digital c’est buzzfeed alors on peut s’inquiéter pour l’avenir de notre société

« Quand ça en a l’odeur, l’aspect, la couleur et la consistance c’est que que ça en est » comme dirait l’autre.

Alors si l’avenir des médias c’est buzzfeed et ses clones laissez moi dire qu’une partie de la révolution digitale s’arrêtera à ma porte. Rendez moi ma presse papier, ma PQR, mes vrais journalistes qui de l’article de fonds du grand quotidien national à la rubrique chiens écrasés essayaient, chacun à leur niveau, de m’apporter quelque chose. Parce que si le seul moyen de gagner de l’argent pour un média en ligne c’est d’adopter le modèle buzzfeed alors je suis inquiet, très inquiet pour l’avenir de notre société.

 

Crédit Image : Mediocrity by Andy Dean Photography via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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