Que signifie réussir sa transformation digitale ?

C’est la question à la mode dans les diners en ville. Quels sont les exemples d’entreprises ayant réussi leur transformation digitale ? Quelles sont les plus avancées ? Chacun y va de son exemple, forcément avec le prisme déformant de sa propre activité : certains vont se focaliser sur la sacro-sainte expérience client et ne rien prendre en compte d’autre, d’autres sur la transformation culturelle, d’autres sur la transformation des process etc. Les études pullulent sur le sujet, avec les mêmes travers. Critères plus ou moins exhaustifs, pondération de ces critères qui prête à discussion etc. Au final beaucoup de discussions sur sur le niveau d’avancée réel de chaque entreprise mentionnée.

Donc retour à la case départ.

Il y a transformation digitale et transformation digitale

Pour commencer peut être faudrait il s’entendre sur ce que l’on veut dire par transformation digitale. Il y a deux optiques : digitalisation et transformation.

Par digitalisation j’entends la digitalisation de l’existant. Passer du brick and mortar au web. Passer son service client en ligne. Développer une app pour diffuser son média ou vendre des produits. Transformer un process « papier » en process en ligne. Rien ne change fondamentalement, on ajoute juste un nouveau canal.

Et il y a la transformation qui comme son nom le suggère…est une transformation de l’existant. Je reprendrai ici la définition du Gartner : « l’utilisation de technologies digitales pour changer un business model et amener des revenus nouveaux et de nouvelles opportunités porteuses de valeur » (“the use of digital technologies to change a business model and provide new revenue and value-producing opportunities”). Même si comme toute définition elle n’est pas parfaite elle a le mérite de bien montrer la différence avec celle qui précède.

Alors en effet un retailer qui ouvre un site ecommerce c’est « juste » de la digitalisation, malgré les efforts qu’il a fallu consentir pour y parvenir. Passer à une logique « full omnicanal » c’est davantage transformationnel car cela a un vrai impact sur l’organisation et le business, changer son modèle de vente pour passer à un modèle d’abonnement ou mobiliser des actifs différenciants pour attaquer un secteur d’activité adjacent ou totalement différent au travers de la technologie là c’est vraiment de la transformation.

Toutes les entreprises ne sont pas comparables face au digital

Une fois qu’on s’entend sur ce qu’on entend par transformation versus digitalisation reste à savoir ce qu’on veut mesurer. Il existe une infinité de modèle que vous trouverez sur les sites des grands cabinets de conseil ou des spécialistes de la chose et je n’ai aucune prétention de révolutionner le sujet.

Par contre il y a des choses à bien avoir en tête. Une entreprise qui cherche à se benchmarker va regarder les autres en fonction de ses propres besoins et donc surpondérer certains critères. Un retailer ne sera que peu intéressé par une entreprise qui excelle dans l’industrie 4.0 et trouvera même sa transformation « ratée » alors que ça lui procuré des bénéfices plus que significatifs. Simplement parce qu’ils n’ont pas les mêmes enjeux et que leur métier est différent. Et puis il y a des entreprises qui n’avaient rien à faire sur certains sujets car elles étaient déjà au niveau donc n’ont rien eu à transformer. Définir les critères à évaluer de manière exhaustive est une chose mais ce qui compte c’est de pondérer en fonction de ses propres enjeux.

Pour autant il y a une autre erreur à ne pas commettre : ne regarder que ceux qui nous ressemblent car ils ont les mêmes enjeux marché/métier. Et cela pour deux raisons. La première est qu’il y a toujours des idées à « voler » à des secteurs qui n’ont rien à voir avec le sien. C’est sûrement une des manières les plus efficaces de faire un coup sur son marché. La seconde est qu’il y a des sujets que l’on croyait sectoriels alors qu’ils s’appliquent à tous. Je connais beaucoup d’entreprises qui citent Amazon comme le benchmark absolu alors que leur secteur d’activité est à des années lumières du sien. Mais dans la tête du client Amazon est la référence et il veut une expérience Amazon avec sa banque, sa compagnie aérienne ou les services publics. De la même manière l’expérience client dans le B2B a été sacrifiée pendant des années alors qu’aujourd’hui on commence à comprendre que le client B2B est un consommateur qui passe la porte d’un bureau et qu’il commence à attendre dans ce type de relation commerciale le même type de pratiques, outils et expériences que ce qu’il vit comme consommateur.

Vient alors la question des axes de mesure

Quels axes pour mesurer la transformation digitale ?

Sans aucune surprise je dirais :

  • opérations et process interne
  • culture et maturité digitale des collaborateurs
  • agilité managériale
  • business model
  • mouvement vers des secteurs et des verticales nouveaux
  • niveau de croissance et de rentabilité pendant le processus de transformation

Qui de l’expérience client ? Des apps ? des sites web ? Si derrière on ne retrouve pas les éléments mentionnés ci-dessus on est pas dans la transformation mais dans le replâtrage cosmétique la digitalisation.

Faut il se digitaliser avant de se transformer ?

Ce qui pose une question légitime : faut il se digitaliser avant de se transformer ? Il est évident que pour certaines entreprises qui reviennent de très loin sur le sujet la marche de la transformation est trop haute. Passer par une étape intermédiaire permet d’être pragmatique et, par ailleurs, de se servir de cette étape comme d’un premier levier d’apprentissage et d’acculturation. Pour le reste, si on regarde les entreprises qui sont passées directement à la transformation c’est en général parce qu’elles avaient déjà un excellent niveau de digitalisation.

Et puis il faut regarder aussi plus loin que son nez et regarder ce qui ne se voit pas. On tombe facilement sous le charme des paillettes du web pour ne regarder que cela alors que parfois des chantiers énormes sont invisibles du grand public, notamment dans l’industrie. J’aime prendre GE comme modèle mais si on regarde ce qui se passe chez Air Liquide, Schneider Electric ou Airbus il y a des choses admirables qui se passent mais au niveau des opérations, des process, des usines et c’est forcément moins sexy pour le grand public que le nouveau Uber de quelque chose pour autant que ça soit visible.

L’état de la transformation digitale ? Bof.

Donc si l’on regarde l’état des lieux de la transformation digitale il n’y a pas de quoi sauter au plafond mais, comme je l’ai dit, c’est normal. On a beaucoup d’entreprises qui ont un bon niveau de digitalisation et doivent ensuite passer à l’étape suivante. Quant à celles qui on un bon niveau de transformation en 2017 elles sont nécessairement moins nombreuses car on parle de changer des choses éminemment structurantes dans les organisations et ce sont des entreprises qui étaient déjà au niveau ou en avance de phase au début des années 2010…autant dire qu’elles ne sont pas nombreuses.

Et être un dirigeant visionnaire qui a amené son entreprise où il fallait dans le bon tempo ne paie pas toujours. Car une transformation cela coûte cher en argent et en croissance. Si tout le monde s’entend pour citer GE comme un cas exemplaire, l’abandon de certaines activités et le développement de nouvelles autres sur des métiers et avec des business model nouveaux ont pesé sur la croissance et la rentabilité du groupe, ce qui n’a pas été du goût de certains actionnaires activistes qui viennent de débarquer Jeff Immelt qui était CEO depuis 16 ans.

Quoi qu’il ne soit aucune entreprise n’a terminé sa transformation. Certaines sont très avancées, d’autres moins, mais aucune n’est au bout du chemin. Et d’ailleurs ce chemin a-t-il un bout ? Digitale ou non la transformation est en train de devenir un process permanent et plus un programme borné dans le temps.

Cachez ce digital que je ne saurai voir

Pour finir je disais en début d’année qu’on ne parlerait bientôt plus de transformation digitale mais de transformation tout court. On y arrive. Passé la phase de digitalisation on voit bien que les enjeux portent sur des sujets tout sauf technologiques. Bien sur la technologie va jouer un grand rôle mais elle ne sera qu’un outil, pas le sujet.

Et vous ? Qui a, à votre avis, le mieux réussi sa transformation.

 

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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