Chomage des jeunes diplomés: expériences vécues

Si vous n’étiez pas sur Mars en ce début d’année 2005 et si vous vous intéressez un tant soit peu à  l’économie et à  l’emploi vous avez certainement entendu parler de Sophie Talneau. Cette demoiselle a cela de particulier qu’elle a écrit un livre racontant sa vie de chomeuse de longue durée. Vous me direz que des chomeurs de longue durée la France en compte des millions et qu’heureusement que tous ne se mettent pas à  écrire sinon les libraires auraient des problèmes de stockage.

Sophie a ceci de particulier qu’elle est issue d’une des meilleures écoles de management françaises et qu’elle est restée sur le carreau à  l’automne 2001. L’intérêt de son ouvrage est qu’il a mis sur la place publique le problème du chomage des jeunes diplomés de « haut niveau », sujet tabou s’il en est. Ce qui m’a frappé ce sont les multiples réactions qui ont suivi: à  la radio, à  la télé, dans la presse et surtout dans les forums sur Internet. Des centaines de miliers de personnes, qui juriste, qui ingénieur, qui diplomé d’école de management, futures élites de la nation il y a quelques années et terrés dans l’oubli voire la honte aujourd’hui. Ils sont ainsi ressortis de leur cache, de l’indifférence dans laquelle ils vivaient depuis des années en se disant « Tiens je ne suis pas seul ». Moi aussi je me suis ainsi trouvé des compagnons d’infortune.
Comment en arrive-t-on là ? Et surtout, comment s’en sortir? Car c’est le seule chose qui compte plutot que de pleurer sur son sort.

Que nous dit Sophie Talneau? Jeune diplomée de l’ESC Nantes, elle se retrouve au chomage à  l’automne 2001 alors que tout la prédisposait à  trouver un emploi au plus vite. Ce n’est qu’un dur moment à  passer mais très vite ça va repartir.  »On vous rappellera »…mais on ne l’a jamais rappelée. De l’ANPE qui ne peut rien pour elle et la fait culpabiliser, des associations d’aide à  l’emploi où l’on finit par…ne pas en sortir, elle aura tout connu.

Premier constat: les structures ne sont pas adaptées pour les difficultés de ce type de profil. On le luit fait comprendre et j’ai connu la même chose. D’un autre coté on vous fait amplement culpabiliser, comme si on faisait exprès de ne pas trouver. Quand vous avez un profil pointu dans un domaine et que le secteur s’effondre (j’ai connu ça avec le conseil en systèmes d’information), vous regardez le chateau de cartes s’effondrer sans trop pouvoir vous recaser ailleurs.

Heureusement elle fait partie de ceux qui n’ont jamais baissé les bras. J’en ai tant connu qui ont disparu de la circulation, incapables de supporter le regard des autres et l’incompréhension du monde autour d’eux. On évite les copains qui s’en sont sortis, si ce n’est pas eux qui vous évitent, fréquenter des loosers ça n’est jamais valorisant. On est pas préparés à  ça et on le vit mal.

On est soit trop diplomés soit on manque d’expérience. Je croyais que le propre d’un débutant c’était de débuter. On a inventé le débutant qui avait trois ans d’expérience. C’est amusant, deux mois avant on me faisait des ponts en or et en plus on m’offrait des formations et des certifications supplémentaires. Et impossible de se sous-qualifier, n’importe quel bon RH vous dira qu’embaucher quelqu’un en dessous de sa qualification et de ses capacités c’est mettre en péril l’équilibre d’un service. Et c’est vrai. De toute manière je n’en veux pas aux entreprises qui ont cessé de recruter: elles avaient des sureffectifs, tablant sur une croissance stable et ne voulant pas laisser les « potentiels » aller à  la concurrence. Il s’en est agi de leur survie et à  leur place j’aurai agi de même. Les entreprises ont leur problème, nous avons les notres, reste à  trouver une solution qui satisfasse tout le monde plutot que de rester dans son coin à  en vouloir à  des gens qui n’y sont pour rien: dans l’histoire on est tous victimes à  notre niveau.

Une fois que la crise s’estompe on est resté inactifs trop longtemps, on est trop vieux pour des jeunes…en résumé on est cuits. Alors? Condamnés à  l’échec?

Surtout pas. Il y a des moyens de s’en sortir. Certains ont tenté de créer leur entreprise, d’autres sont partis sous ces cieux plus cléments, d’autres sont restés en essayant de s’accrocher à  une branche en attendant l’acalmie. Il faut reconnaitre que c’est au mental que ça se joue.

Sophie Talneau a écrit un livre pour faire part de cette expérience. En ce qui me concerne je me suis fixé un planning: 2 ans sur le même secteur (durée « logique » en temps de crise, eu égard aux statistiques des crises passées) puis ensuite plan B. Le plan B c’est se réadapter, prouver qu’on est opérationnel et qu’on a envie. Souvent cela passe par la case formation et surtout par des stages. Une fois le plan B arrêté reste à  trouver le bon compromis filière/localisation géographique/coût et…se lancer. Pas facile de retourner en cours en expliquant le pourquoi des choses. Mais ne pas le faire c’est se condamner. Il faut simplement être clair avec soi-même. Visiblement mon plan B marche bien et cette fameuse crise de 2001 ne sera bientùt plus qu’un lointain souvenir.

Un lointain souvenir? Pas tant que ça. Car en fait j’ai beaucoup appris: s’accrocher, se remettre en cause, essayer de voir à  long terme alors qu’on est en pleine tempête au quotidien. Aujourd’hui si je suis si à  l’aise pour « remettre en route » des amis qui perdent pied et si je me sors très bien de missions de reclassement de cadres de haut niveau que la crise vient de laisser au bord de la route et qu’il faut « remettre en état » avant de les remettre au travail c’est peu être parce que ce travail je l’ai fait sur moi avant et sans l’aide de personne.

Finalement ce dur passage est devenu un atout que je peux valoriser auprès d’un recruteur en termes de personnalité, de savoir être et de confiance.

C’est peut être le message que j’adresserai à  ceux qui comme Sophie ou moi ont connu ce genre de situation. Même si tout à  l’air d’aller contre vous, même si le système ne peut rien pour vous, il faut se fixer des objectifs réalistes et s’y tenir. La volonté déployée pour y arriver, le bilan humain que vous en dresserez après seront autant d’atouts qu’aucune école ne vous apprendra jamais. Un junior, certes, mais avec la maturité en plus.

En tout cas merci à  Sophie de la part de tout ceux qui gr€šce à  elle se sont sentis moins seuls et on trouvé des raisons de s’accrocher.

En conclusion le chômage de ce type de population est une spécificité unique, nous sommes le seul pays développé à  connaître pareille situation. Système inadapté? Frilosité? Quoi qu’il en soit je reste fidèle à  mes principes: rien ne sert de se lamenter il faut toujours y croire et retrousser ses manches. Cela peut paraitre simpliste à  l’heure des grandes théories sur l’employabilité et la solidarité mais l’action reste toujours plus efficaces que de jolis concepts.

A lire: Sophie Talneau, « On vous rappellera »

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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