De l’entreprise 2.0 à  l’entreprise tout court

Comme vous le savez j’aime beaucoup comparer la nécessité pour l’entreprise de se servir à  la fois du structuré / formel et l’informel à  la nécessité pour un individu de se servir à  la fois de son cerveau droit et de son cerveau gauche. Avec, en guise de conclusion, le fait que ce qui compte n’est pas d’avoir deux cerveaux surdimensionnés mais bel et bien de savoir bien les faire intéragir ensemble. Ce qui signifierait par ailleurs que l’entreprise dite 1.0 basée uniquement sur la hiérarchie, le contrôle, l’autorité et la réduction des écarts a peu de chance de rester performante, de la même manière que l’entreprise 2.0 fondée sur les intéractions tacites n’a guère plus de chance de devenir performante un jour.

Ce qui compte donc est de savoir jongler entre les deux, un peu comme je l’évoquais précédemment en disant que le débat n’était pas horizontal vs vertical mais comment (et quand) savoir passer fréquemment de l’un à  l’autre.

Dans cet ordre d’idées j’ai regardé avec une grande attention le schéma qui suit, trouvé chez Teemu Arina, via e-learning de Bretagne et Connaissances en mouvement (ou la preuve que le viral et l’informel sont des moyens très pertinents pour trouver l’information pertinente…je ne connais pas Teemu Arina et sans ces relais je n’aurais jamais eu connaissance de cette note…à  méditer pour le transfert de savoirs en entreprise…).

organisation 2.0

Même si comme à  mon habitude je ne suis pas d’accord pour tout, je trouve que ce type de représentation amène dans la réflection une maturité encore absente chez de nombreux observateurs, même les plus autorisé (je ne parle pas ici des blogs, ou pas seulement, mais de ceux qui font vraiment autorité et dont c’est le métier) qui se focalisent sur l’aspect 2.0 sans prendre à  aucun moment en compte l’intégration de ces outils dans un schéma global d’entreprise.

Commençons donc par le positif : si l’on considère que nous nous attachons à  des flux informels générés non de manière centrale mais à  la périphérie des centres de décision de l’organisation, je trouve que ce schéma frise la perfection. Je pense n’avoir rien à  ajouter et je vous renvoie à  ce qu’en dit son auteur.

Ce que j’ajouterais / modifierais…

J’applaudis le fait que l’auteur ait intégré la dimension « squelette » qui inclut tous nos ERP, process, workflows qui bien que parfois contraignants font qu’on sait où l’on va et qu’on ne produit pas un ULM lorsqu’on demande un A380, et qu’on le produit dans les temps avec les bonnes ressources (humm…) et à  qualité constante. Car, au bout du compte, l’intérêt de nos fameux flux informels est d’améliorer ce qui amène au but final (ici fabriquer un avion). De manière un peu simpliste et à  l’emporte pièce, ce sont à  ces flux que l’on demande de faire remonter les demandes d’amélioration, la veille concurentielle, ce qu’on entend ça et là  sur les salons (et partout ailleurs), que l’on détecte celui qui peut mener à  bien une réflexion ou un sous-projet dans le cadre du projet final, de diffuser les bonnes informations aux bonnes personnes sans submerger ceux à  qui elles ne servent pas, de permettre à  x individus de mener ensemble une réflexion spontanément…

C’est justement parce que le squelette concerne la mise en œuvre du projet « productif » (car l’entreprise n’a de sens qu’en tant qu’organisation poductive) que nos flux informels n’ont guère de sens s’ils ne sont rattachés d’une manière ou d’une autre à  ce squelette. On pourrait donc penser dans un premier temps à  envisager ce que représente le squelette davantage comme une colonne vertébrale. Cela donnerait déjà  davantage de sens à  nos « outils 2.0 » dans le cadre global d’une entreprise.

Mais il se trouve que qui se trouve dans le squelette n’est pas non plus ce qui décide de tout…il dépend lui même d’une chose : le plan stratégique, qui lui décide de qu’on va produire, des priorités, des objectifs, de certains arbitrages.

Alors finalement je laissera bien le squelette à  sa place, j’inclurai le plan stratégique en colonne vertébrale et laissera nos « outils 2.0 » à  la périphérie de ces deux entités, reliés et à  l’un et à  l’autre, quoi que pour le plan stratégique je ne dispose d’aucune certitude.

Interactions entre plan stratégique (colonne vertébrale) et flux tacites

Je parle bien ici du plan stratégique, pas de la stratégie elle même en tant que déclinaison de la vision. Le plan est ce qu’on met en œuvre pour décliner la stratégie. On peut imaginer que pour les nombreux feedbacks et propositions circulant sur les réseaux informels puissent être pris en compte pour valider l’éxecution du plan, apporter quelques correctifs ou même l’enrichir. Mais la jeunesse des choses dont nous parlons nous empêchent, à  mon sens, d’avoir une idée vraiment précise de la manière dont cela peut être réalisé. C’est bien en entendu possible et certainement souhaitable mais de la « bonne idée » à  la pratique il reste une barrière très souvent culturelle que nous ne pouvons méconnaitre. Dans la mesure ou ces concepts permettent de faciliter les échanges asynchrones au sein d’un groupe de travail dispersé afin de faire murir la réflexion il y a tout de même quelque chose à  explorer…

Interactions entre processus productifs structurés (squelette) et flux tacites

Ici c’est clair et évident que dès lors que notre travail quotidien nous amène à  manipuler de l’information non plus pour être informés mais en tant que matière première de ce que nous produisons, la liaison est ici évidente. Concrètement : au sein même d’un process, d’un workflow, monsieur X intervient à  une étape où on lui demande de réaliser une certaine tche. De plus en plus cette tche est de « donner une réponse ». Et cette réponse il l’a de moins en moins souvent seul. Alors il sollicite son premier cercle de collaborateurs / collègues afin d’y réfléchir ensemble : MM. A,B,C et D. Mais le plus souvent ces individus font de même avec leur premier cercle, en impliquant dans le processus des personnes que M. X ne connait pas ou ne penserait pas à  solliciter. Ces personnes agissant ensuite de même il peut arriver que lorsque M. X obtient sa « réponse » finale, certains éléments la composant viennent du 3e, 4e….xe cercle concentrique et a impliqué des individus pertinents auxquels il n’aurait pas pensé au départ, que la chaine est sortie de son service, peut être même de sa business unit sans même qu’il le sache. En attendant toutes formes d’expertises ont été mobilisées sur le fondement des réseaux informels, avec un critère qui est le besoin de solliciter une compétence précise où qu’elle se trouve. M. X a ainsi pu apporter une solution de meilleure qualité et de manière très rapide. Mettre en place des outils qui permettent d’améliorer le transit d’informations au sein de ces chaines informelles, faire qu’elles agissent en permanence sans avoir à  être réactivées et remobilisées sans cesse, apporte une réelle valeur au process productif structuré.

Nous pourrons passer en revue dans un prochain billet, afin d’illustrer ceci, différents exemples de questions appelant un process de traitement informel et qui sont essentielles dans la mise en œuvre d’un workflow ou d’un process formel.

L’entreprise est un tout indivisible dans sa structure et dans le temps

C’est, je pense quelque chose de fondamental qui émerge à  la fois de ce billet et d’une certaine pratique en la matière sur ce domaine des plus neufs. Qu’est ce que j’entends par là  ?

Que si on ne garde que les process structurés sans développer la partie informelle l’entreprise va perdre de la réactivité et, de fait, de la performance dans un contexte économique où c’est la capacité à  utiliser et produire de l’information de manière collective qui sera essentielle sur la chaine de valeur.

Que si on joue la carte du « tout informel » on va avoir une entreprise qui ressemble au web d’aujourd’hui. Vous me direz que c’est fantastique dans la mesure où le web à  permis de créer et faire fonctionner des communautés informelles avec une rare efficacité et que ce serait formidable qu’il en soit ainsi dans l’entreprise. Le seul hic est que personne ne savait ce qu’il allait se passer sur le web et qu’encore aujourd’hui, des dynamiques naissent à  chaque moment dont on ne sait à  quoi elles aboutiront. Nous nous extasions devant un résultat en oubliant que nous ne faisons que le constater : au départ nul ne pouvait le prévoir et quand bien même on aurait voulu l’organiser rien ne se serait passé. Et quelle entreprise peut laisser quelque chose démarrer sans savoir ce que ça va amener ? L’informel n’a donc de sens que si on lui assigne un objectif (c’est à  dire ne pas lui laisser s’assigner son propre but). Ca n’est pas parce que la dynamique de travail de ces réseaux informels n’est pas controlable par essence qu’on ne peut lui assigner un but. Cela me semble par ailleurs logique au vu de l’évolution de nos entreprises et du mode de fonctionnement de la fameuse génération Y : le résultat prime, pour le comment « laissez nous nous débrouiller ». Et le but (ou les buts) sont simples à  déterminer : il s’agit de la satisfaction de milliers de besoins opérationnels quasi quotidiens, les « questions » dont je parlais plus haut.

L’entreprise ne sera donc pas 1.0 ou 2.0. Elle est indivisible et le schéma organique qui ouvrait ce billet le montre bien : elle se compose d’organes de nature différente mais qui doivent agir ensemble et son donc indivisibles. Il en va de même de l’aspect temporel : il n’y a pas d’entreprises d’hier, d’aujourd’hui ni de demain : il n’y a que des corps sociaux en constante évolution. On ne peut dire « demain ce sera ça », mais « que faire aujourd’hui pour se préparer aux enjeux de demain qui eux sont connus ». Et la réponse s’applique donc dès aujourd’hui.

On s’est bien amusés avec l’entreprise 2.0 et cela a été fort utile pour mobiliser les réflexions et mettre une étiquette sur quelque chose. Et je pense qu’on continuera à  l’utiliser, ne serait-ce que par défaut, pour parler de la composante 2.0 de l’entreprise. Mais une fois la phase de sensibilisation achevée, il est désormais essentiel de recommencer à  penser l’entreprise en tant qu’entité globale. Et que les spécialistes d’un de ses organes n’oublient jamais que chaque organe n’a du sens que par rapport aux autres.

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Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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