Comme je vous l’ai déjà dit j’ai eu la chance d’assister à la présentation par Don Tapscott de la version française de son livre Wikinomics : Wikipédia, Linux, YouTube… Comment l’intelligence collaborative bouleverse l’économie. Moment fort intéressant tout autant que les conversations avec l’auteur : en effet quand on regarde ce que Tapscott a pu écrire depuis des années force est de reconnaitre qu’avant même que les sujets afférents aux réseaux sociaux, aux « digital natives » et au web 2.0 ne deviennent à la mode, il avait déjà compris et expliqué les enjeux auxquels nous devrions faire face un jour, et avec parfois dix ans d’avance.
Je vais ici m’attarder sur un concept clé mis en évidence par la réflexion de Tapscott et essayer d’en envisager les implications profondes : l’implication d’acteurs extérieurs à l’entreprise dans un processus de collaboration de masse.
Avant toute chose, quelques mots sur la wikinomie. Pour Tapscott il s’agit de cette nouvelle collaboration de masse, ce qui place le concept davantage au niveau de l’attitude ou de la manière de faire qu’au niveau de l’usage d’un outil au nom similaire. Il s’agit bien là d’une problématique de pratiques et non d’outils.
Je parle souvent de la nécessité de « distribuer » certaines activités, au premier rang desquelles l’innovation. Partant du principe que tout le monde peut avoir de bonnes idées, et que ceux qui sont aux prises avec la réalité du terrain sont souvent ceux qui voient le mieux ce qui peut être amélioré et comment, on arrive à davantage de résultats en prenant chaque semaine 1h du temps de chacun qu’en se reposant de manière exclusive sur une équipe dédiée.
Tapscott se fonde sur l’exemple d’entreprises telles des laboratoires pharmaceutiques, Boeing ou d’autres ainsi que sur l’exemple des places de marché de l’innovation telles Innocentive pour montrer que ces pratiques doivent s’étendre au delà des frontières de l’entreprise. C’est évidemment quelque chose en quoi je crois véritablement, mais quand je sais que, même pour les entreprises qui ont érigé l’innovation en objectif stratégique, impliquer ses collaborateurs au sein de réseaux informels et valoriser l’information ascendante (voire simplement laisser l’information remonter) ressemble à un attentat contre l’orthodoxie managériale, je préférais attendre avant d’attaquer la question de l’ouverture vers l’extérieur. Mais force est de reconnaitre que, de manière purement mathématique, l’intelligence disponible à l’extérieur de l’entreprise est supérieure à celle disponible à l’intérieur.
Le fait est que ceux qui ont franchi cette barrière intellectuelle en ont tiré un réel avantage concurrentiel. Pour certains en impliquant leurs partenaires traditionnels « professionnels » que sont leurs fournisseurs, d’autres leurs clients, et d’autres enfin (mes sensibles s’abstenir) des indépendant, des retraités etc.. avec qui ils partagent leur information.
Bien entendu cela demande un brin d’organisation, une gouvernance appropriée…mais cela marche.
Tapscott en profite pour remettre à l’ordre du jour ce bon vieux Coase, dont je ne vous avait pas encore parlé mais auquel je me suis beaucoup intéressé dans mes réflexions sur le fameux ROI de l’entreprise 2.0. L’ami Coase (ça n’est pas une maladie…), pour faire simple, a travaillé sur les coûts de transaction internes pour justifier la croissance des entreprises. L’entreprise recrute des individus tant qu’il est moins cher de les avoir en interne qu’en externe. Aujourd’hui internet nous permet d’accéder à de l’information et à de nombreuses expertises pour un coût quasi nul, et cela tombe bien car l’information et l’innovation sont le nerf de la guerre de l’entreprise moderne. De là à en déduire que ce phénomène va entrainer une nucléarisation de certaines parties de l’entreprise et que nos personnes brillantes et innovantes vont bientôt se retrouver partenaires de l’entreprise dans un ecosystème externe plutôt que salariés…il y a un pas que la logique tant financière qu’opérationnelle semblerait nous amener à franchir dans les temps à venir. Avec un autre avantage : en réduisant sa taille l’entreprise devient de fait plus agile, et cela ajouté à l’agilité gagnée par un accès plus rapide à une masse d’information externe…
Reste que d’un autre coté je vois mal l’entreprise se réduire comme une peau de chagrin d’un coup de baguette magique. Car la tradition perdure, une transformation si radicale peut prendre beaucoup de temps le temps les esprits s’y habituent, et, raison majeure, il y a des réalités humaines et juridiques qui font que la dimension sociale de la chose (au sens français et non anglo-saxon pour une fois) devra forcément être prise en compte. Et s’il est un domaine ou le drame se doit d’être évité…
Remarquez que le phénomène peut ne pas être impulsé par l’entreprise mais par les individus qui trouveraient qu’ils ont tout à gagner à sortir du périmètre de cette dernière.
Quoiqu’il en soit l’entreprise n’a qu’une seule solution pour inverser la tendance : égaliser les coûts de transaction. Comment faire ? Se doter en interne des mêmes outils et des mêmes pratiques que celles qui ont fait baisser les coûts externes. Sinon on sait tous ce qui arrive à une entreprise à qui cela coûte plus cher de faire en interne qu’en externe. Tiens, quelqu’un cherchait un ROI pour l’adoption d’outils web 2.0 en entreprise et le développement d’une organisation adéquate ? Explorez donc vos coûts de transaction et on en reparle… Et faites le vite tant qu’il s’agit de performance financière et pas encore de survie…
Une double « égalisation » nous attend donc : égalisation des relations entre l’interne et l’externe, égalisation des coûts de transaction entre l’interne et l’externe.
Pour terminer, ce billet concernant le choix entre développer soi même ou acheter une plateforme de réseaux sociaux pose en préambule les vrais enjeux de la collaboration pour demain
– Développer des relations entre les individus au sein de l’organisation (1)
– Développer des relations entre les individus à l’extérieur de l’organisation (2)
– Développer des relations entre (1) et (2).