Société générale : l’erreur n’est pas dans le controle mais dans l’injonction…petite approche systémique

C’est un des sujets à  la mode cette semaine et le fait que l’on mette en cause les logiques de contrôle n’a pas manqué d’attirer mon attention. Alors trop ou pas de contrôle, s’agit il de développer une logique permettant un suivi plus informel ou qualitatif ? Je ne pense pas que la question soit là , preuve que l’entreprise 2.0 n’a pas réponse à  tout. Mais en creusant davantage on peut tout de même se demander si on cherche les coupables au bon endroit et si la logique qui a amené à  ce cataclysme n’est pas exclusive au monde de la finance, mais relève d’une approche plus globale. Ce qui nous rapprocherait davantage d’une approche management 2.0.

Je m’explique.

Avant toute chose

L’affaire étant tout sauf virtuel, des noms vont être cités dans cet article. On parlera de la Société Générale, de Daniel Boutton, de Jérôme Kerviel, pour la simple et bonne raison qu’ils sont les protagonistes d’une affaire qui a bien eu lieu. Une instruction étant en cours je me garderai bien d’évoquer une quelconque culpabilité de chacun d’entre eu, mon avis étant par ailleurs qu’ils n’y sont pour rien. J’ajouterai pour finir que, selon l’analyse que je vais développer ci-après, si l’ « affaire Kerviel – Sogé » est belle est bien réelle, ce n’est que parce que c’est la première a avoir un tel retentissement. On pourrait avoir eu la même chose dans d’autres banques, avec d’autres personnes. Le même phénomène pourrait même se produire hors du milieur bancaire. Peut être même s’est il même déjà  produit ou se produit il au quotidien dans nombre d’entreprises, mais l’ampleur des chiffres comparée au cas qui nous intéresse fait qu’ils passent inaperçus.

Il faut des coupables

On peut trouver cela malheureux mais c’est le cas. Alors qu’au pire il y a quelques vagues responsables : c’est un peu comme aux assises, il faut un nom, ça rassure, même si ça n’est pas le bon, comme si cela permettait de dire que le mal est soigné. Une chose est certaine : le PDG n’est pas en salle des marchés et ça n’est pas lui qui a mal agi. Peut on lui reprocher de ne pas avoir mis les moyens en œuvre ? Non. Le système simplement dysfonctionné mais est il tenu à  une obligation de moyens ou de résultats ? Cette obligation est elle différente vis à  vis de la loi et de ses actionnaires ?Auquel cas ça n’est pas à  la justice de le sanctionner pour une obligation qui ne regarde que son Conseil d’Administration. Kerviel est il un escroc ? Si les 5 millards avaient eu vocation à  finir dans sa poche oui. Mais qu’avait il à  gagner ici ?

Le contrôle en cause

Le contrôle mis en place n’a pas fonctionné. C’est un fait acquis. Cela veut il dire qu’il ne sert à  rien ? En aucun cas, quand je dis qu’il faut préserver les systèmes formels et structurants de l’entreprise c’est un cas d’école : le contrôle est ici indispensable et nécessaire. Faut il dès lors le renforcer : peut être. Peut être en effet que ce type de dysfonctionnement pourra être prévenu à  l’avenir. Mais les personnes qui arrivent à  contourner le contrôle, que ce soit dans l’entreprise ou la vie de tous les jours auront toujours un coup d’avance sur ceux qui posent les règles. Donc si on peut améliorer les choses, le fond du problème n’est à  mon avis pas là .

On peut se demander, d’ailleurs, pourquoi contourner le contrôle. Par cupidité, malhonnêteté, soit. Mais ça n’était pas le cas ici. Alors pourquoi ? Quel intérêt, quel besoin, fait qu’on s’affranchisse ici d’un mécanisme pourtant salutaire à  la vie de l’organisation ? Il doit s’agit d’un intérêt légitime, et quel autre intérêt légitime dans une activité professionnel que les ordres hiérarchiques. Ne me faites pas dire le contraire de ma pensée : bien sur Kerviel n’a pas agi sur ordre. Ou plutôt pas agi sur ordre explicite.

Quels étaient les objectis de Kerviel ?

Kerviel , comme tout un chacun, poursuit des objectifs dans son travail. Faire gagner de l’argent à  son employeur, d’une part, faire toujours mieux qu’avant (comprendre toujours plus) d’autre part, et être meilleur que les autres enfin. Trois objectifs classiques d’un individu dans l’entreprise (bien qu’on puisse réguler le troisième…c’est la limite des primes individuelles, voir Sutton sur ce point).

Vous connaissez les injonctions paradoxales ?

Et bien en voici un excellent exemple. Un individu, pour atteindre des objectifs sans cesse plus élevés, doit, surtout dans ce type d’activité, prendre de plus en plus en plus de risques. Sinon, même s’il rapporte de l’argent on lui reproche de ne pas en apporter assez et sa situation professionnelle se fragilise. Quelle est la raison d’être des mécanismes de contrôles : faire en sorte que le risque pris demeure acceptable. Voici donc l’ami Kerviel devant une double contrainte : je dois respecter un mécanisme qui m’empêche de me donner les moyens de remplir mes objectifs. A ce niveau soit il ne décide pas, ses performances baissent, et cela impacte par ailleurs sa santé (même si tout le monde s’en moque). Soit il respecte la règle et n’en fait pas assez (et sait qu’avec quelques arrangements il aurait pu faire mieux…sentiment de regret…) soit il contourne le contôle. Dans cette dernière situation, se disant que de toute manière il va gagner, peu importe ce qu’il fait, personne ne s’en rendra compte si les chiffres sont là . Et un jour les chiffres ne sont pas là . Point final. Remarquez que quelque soit la manière de répondre à  cette injonction paradoxale l’individu en souffre : mal à  l’aise dans un cas, brisé dans l’autre. Avec 5 milliards dans la nature en cadeau bonus dans le second cas.

Ce que je veux dire c’est que ces deux ordres contradictoires (fait plus et respecte les règles) ont la même source : l’organisation, sa hiérarchie.

La course à  la performance source de tous les maux ?

Ce serait si simple. Moins d’exigences égalent moins d’envie d’outrepasser les règles. Jetons donc le système néo-libéral aux orties et tout ira mieux. Franchement vous y croyez ? Car la question n’est pas le besoin pour l’entreprise de dégager des profits, c’est la manière dont cela impacte les individus. L’objectif est à  la fois un objectif de performance soit, mais également un critère d’évaluation RH. Une même base pour deux notions partiellement décorrelées. Ta performance détermine ton bonus, c’est logique. Ta performance détermine tout ton bonus…humm. Tu n’est évalué qu’individuellement alors que ce qui compte est la somme des gains des traders…humm humm hummm. On pourrait faire reposer l’objectif sur une équipe plus importante afin de diminuer le besoin de risque individuel par exemple…mais cela affaiblirait à  coup sur la rentabilité. Vous comprenez qu’il est fort aisé de pointer du doigt…mais beaucoup moins d’apporter des réponses.

Durable, vous avez dit durable…

Il est évident qu’embaucher plus de monde pour les mêmes objectifs permet de faire baisser le besoin de risque individuel. A condition également qu’une partie du bonus soit collectif, ce qui évite le syndrome « cow boy ». Bien sur cela fait baisser la rentabilité et cela pose nombre d’autres questions. Mais on peut toutefois s’interroger : en termes de rentabilité on voit bien l’impact d’une seule personne sur la rentabilité d’un tel groupe cette année.

Et puis sont travail c’est trader, que lui demander d’autre ? Par exemple un peu moins de gains et davantage de temps pour former ses successeurs, transmettre son expérience ? Rémunération à  la clé bien sur. Et pourquoi pas accepter de se dire « on ne peut augmenter mécaniquement les objectifs d’année en année car d’une part on dépend de facteurs externes (le marché) d’autre part on ne peut pas courir le 100m en zéro secondes). Donc il arrive un moment où faire plus expose de plus en plus au risque de faire beaucoup moins. Au casino ne reconnait on pas les bons joueurs au fait qu’ils savent quitter la table soit parce que ça ne va pas, soit parce qu’ils en ont fait assez et ne veulent pas tenter le diable ?

Bref il n’y a pas que le développement qui se doive d’être en quête de durabilité, le management également. Quel intéret de gagner 10 aujourd’hui pour perdre 10 demain ? Qui se satisferait d’un commercial qui signerait 3 nouveaux clients un jour et en perdrait 4 anciens le lendemain ? Il n’y a bien sur pas de réponse toute faite à  un sujet aussi complexe, mais je pense que les années à  venir vont nous amener à  nous la poser de plus en plus souvent.

Cela peut arriver (très) près de chez vous.

Un tel schéma est très fréquent aujourd’hui et je suis persuadé que nos entreprises sont peuplées de Kerviel qui ont déjà  dérapé ou déraperont. Simplement tout le monde n’a pas les cartes en main pour perdre 5 milliards. Dans d’autres métiers cela s’appelle des budgets occultes pour pots-de-vin. Tout est fait pour l’éviter, la direction n’y est pour rien mais cela arrive. Au niveau d’une PME on s’en moque, parfois ça ressort pour des grands groupes. Je ne pense pas ici qu’il faille se focaliser sur le monde bancaire : toute situation ou la procédure de contrôle est un frein à  l’atteinte des objectifs crée un risque similaire potentiel.

Une conclusion

En fait l’affaire Société Générale résulte, à  mon avis, de la conjonction de plusieurs facteurs qui ne sont propres si aux individus concernés, ni à  l’entreprise en question et encore moins au monde de la banque :

1 – Un mécanisme de contrôle

2- Des objectifs élevés

3 – Forte corrélation entre rémunération et maintien dans l’emploi d’une part et 2 d’autre part.

4 – L’émission de messages contradictoires par 1 et 2.

Une piste pour éviter cela ?

Et ce que les personnes qui fixent 1, 2 et 3 se parlent de leurs contraintes respectives, de l’impact de leurs décisions conjointes au niveau opérationnel. Chacun de ces points est en effet légitime au regard d’un métier (Rh, management opérationnel, contrôle), ils relèvent de la pure logique pris individuellement mais leur effet conjoint a les conséquences que l’on vient de constater. J’aimerai savoir ce que cela donnerait si on mettait le magement de M. Kerviel, la DRH et les organes en charge du contrôle autours d’une table. Ils auraient certainement beaucoup à  s’apprendre et je pense que ça n’est pas le contrôle qui en ressortirait le plus chamboulé.

Pris seuls, l’oxygène, l’essence et une étincelle n’ont rien de méchants. Par contre s’allumer une cigarette au milieu d’une rafinerie….

Là  encore ça n’est que mon analyse, mais je ne la trouve pas moins pertinente que tout ce que je peux lire ou entendre par ailleurs, alors autant la partager.

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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