Il s’agit là d’unes des principales objections érigées à priori contre l’entrée de tout ce qui rentre dans la catégorie du « social software » dans l’entreprise : cela ferait perdre du temps aux collaborateurs. Mais pour répondre à cette question il s’agit de bien identifier, au delà des mots, l’inquiétude qu’elle recouvre.
Parce que le mode de fonctionnement proposé, lui, n’appelle que peu de discussion : dans le contexte actuel on est plus efficaces en réseau qu’en silo, point. Mais alors pourquoi tant d’inquiétudes ? En fait on ne met pas en doute l’efficacité des outils mais l’usage en qu’en feraient les collaborateurs, des attitudes déviantes qui feraient d’un outil de productivité un outil d’improductivité.
Deux cas sont à traiter : celui, large, de l’accès depuis l’entreprise à internet, et celui de la mise à disposition en interne d’outils similaires à ceux qu’on trouve sur le net.
J’ai déjà longuement abordé le premier cas ici. J’ajouterai quand même que si la grande crainte des entreprises est de voir leurs collaborateurs se divertir pendant leurs heures de travail, perdre leur temps, je rappelerai simplement qu’on a déjà dit la même chose du téléphone puis de l’email. Et que dans le second cas ça n’est aujourd’hui plus le collaborateur qui s’amuse avec son email mais le mauvaise usage que l’entreprise a institutionnalisé de cet outil qui est source de pertes de productivité colossales.
Par ailleurs le collaborateur qui a envie de prendre du bon temps n’a aucunement besoin d’un accès internet sur son poste de travail pour y arriver. Il peut multiplier les pauses, simplement discuter avec ses collègues sous couvert de faire le point sur un projet, faire sur son téléphone mobile ce qu’on lui interdit de faire depuis son poste, ouvrir une feuille excel remplie de chiffres et la regarder en somnolant, aller visiter l’intranet histoire d’en comprendre enfin coins et recoins…bref on peut très facilement faire semblant d’être occupé. Un simple trombonne ou un gros dossier suffisent…Par contre attention au retour de baton pour l’entreprise qui interdira l’accès à un site vraiment important dans un contexte professionnel et qui subira à terme la frustration des collaborateurs obligés d’attendre de rentrer chez eux pour les utiliser.
Pour ce qui est de la perte de temps « interne », la question se pose ailleurs. L’entreprise étant supposé piloter les choses, c’est à elle de fixer la limite de ce qui peut ou non se faire. Essentiellement une question culturelle : certaines ne voudront que des « activités sociales » en lien avec le travail, d’autres trouveront que l’émergence de discussions sur des sujets autres est un facteur de cohésion. Chacun verra midi à sa porte.
Se pose également la question du « ça ne sert à rien ». « Ca » ne servira d’autant plus à rien que l’entreprise aura positionné les dits outils comme étant de la pure décoration en attendant qu’il se passe quelque chose. C’est donc paradoxalement lorsque l’on ne prend pas l’intégralité des enjeux organisationnels en considération et qu’on n’en fait pas des outils de travail qu’ils sont moins utiles. Mais cela relève de la responsabilité de l’entreprise là encore.
Autre cas : le collaborateur travaille mais tout le temps utilisé ne bénéfice pas à son équipe. C’est une perte de temps plus subjective qu’objective mais elle a toute son importance. C’est logique dans la mesure où on évalue l’invidivu qui est une ressource désormais partagée comme une ressource totalement locale et isolée. Perte de temps selon les indicateurs n’est pas perte de temps consolidée. Elle n’est donc que virtuelle, tout dépendant de la manière dont mesures et indicateurs sont adaptés à une entreprise en réseau.
Il reste, je le concède, toujours le cas, du collaborateur qui désire vraiment lever le pied, qui ne veut pas s’investir. Contrairement à celui, évoqué plus haut, du collaborateur qui a simplement envie de souffler, il s’agit là d’une réelle volonté de non engagement, quoique les deux cas se rapprochent à la marge, l’arbitrage entre « je souffle » et « j’y retourne » étant également, pour partie, question d’engagement. Et dans cette hypothèse c’est à l’entreprise de se demander pourquoi elle suscite un aussif faible niveau d’engagement. Erreur de casting à la marge pour certains ? C’est certain. Mais lorsque cela touche trop de monde il serait bon de s’attacher à travailler sur les causes que sur les conséquences, sauf à refuser la remise en cause et décider par défaut que tout est la faute du collaborateur.
Bref rien ne sert de casser les thermomètres, mieux vaut chercher la cause de la fièvre.