Ca ne vous a certainement pas échappé, cet émoi qui a traversé la blogosphère mais également les très respectables médias institutionnels. Le web 2.0 est mort ! Tout n’est pas parti de ce billet de Michael Arrington mais vu qu’il dispose d’un plus gros porte voix que les autres il a eu son petit effet. Un peu plus de retenue chez Ouriel qui garde les yeux suffisamment ouverts pour faire la différence entre un phénomène de fond et les guirlandes forcément plus éphèmères qu’on lui a accroché histoire de faire joli. Hervé Kabla et ceux qui ont commenté sa note y voient, plus encore, des raisons d’y croire.
Je ne vois pas ce qu’il y a d’exceptionnel à affirmer que lorsque l’économie traverse une mauvaise passe les plus fragiles risquent d’y laisser des plumes. Et par conséquent les entreprises positionnées sur des marchés émergents, ce qui est le cas des entreprises estampillées « web 2.0″…mais pas seulement. Pour le coté « madame Irma » on a déjà vu plus clairvoyant ou en tout cas plus visionnaire, étant donné qu’il est plus facile de sonner le tocsin lorsque l’incendie est déclaré que de le prévenir alors qu’on sait depuis plus d’un an que les pyromanes étaient à l’oeuvre. Et ceux qui poussaient le 2.0 à tour de bras, essayant de trouver un coté 2.0 forcément fantastique à tout et n’import quoi quitte à susciter des vocation d’entrepreneurs oubliant le « business model » au profit de « buzzyness models » peuvent légitimement s’interroger sur la pertinence de leurs analyses passées. Ils ont eux-même tué « leur » web 2.0 en en faisant un immonde fourre-tout dans lequel on fini par mettre tout et surtout n’importe quoi. Quoi qu’il en soit, comme le suggèrent Ouriel, ou encore
Bref, je classerai volontiers l’article d’Arrigton dans la catégorie du « qui vit par le bruit ne survit qu’en faisant d’avantage de bruit ».
Bon, et l’entreprise 2.0 dans tout cela ?
En fait on peut regarder la chose sous deux angles : l’angle de l’entreprise qui se transforme (ou pas) et l’angle de ceux dont le métier est de participer à cette transformation. Mais les deux sont liés : dès lors qu’il existe un besoin vital pour les entreprises clientes il existe un marché, plus ou moins difficile selon le contexte ambiant, je le concède, pour leurs fournisseurs.
Ne raisonnons pas en termes de solutions, ce qui amène une fois de plus à confondre fins et moyens et prendre le marché par le mauvais bout mais en termes de besoins car c’est finalement cela qui compte.
Bien sur, en période de crise, il y a une contraction des budgets. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de budgets : tout est question d’affectation. Et l’affectation va en général à ce qui permet soit de survivre soit de s’en sortir sachant que c’est souvent en travaillant sérieusement dans les phases où le marché se contracte (travailler…pas se renfermer) qu’on construit la capacité à faire la différence lorsque des temps meilleurs arrivent. Regardons donc ce qui compte.
Innover. Je ne parle pas forcément de trouver « the next big thing » mais surtout de pleins d’améliorations au quotidien qui peuvent, justement, aider les entreprises à passer une mauvaise passe.
Faire « plus » avec « moins » : restrictions obligent l’entreprise va devoir gagner en agilité. Il est trop tôt pour prévoir ou non des dégraissages massifs mais la tendance que je vois se dessiner est double : réduction de la matière grasse et insourcing.
- Insourcing : rappatrier en interne les expertises autrefois laissées à l’extérieur (loi de Coase oblige) partant du principe que lorsque les temps sont durs il coute moins cher d’avoir certaines expertises à l’intérieur que payer à la journée des extérieurs. Cela concerne essentiellement des expertises rares et pointues.
- Réduction de matière grasse : l’organisation 1.0 a développé une masse non productive impressionante avec au bout du compte des postes visant à controler celui qui reporte à celui qui vérifie que celui qui contrôle celui qui change le papier toilettes fait bien son boulot. Un peu de désintermédiarisation ne fera surement pas de mal à la performance organisationnelle. Le plus souvent ça n’est pas l’individu qui est en cause mais le poste même qu’on lui fait occuper qui n’a pas de sens. On me parlait il y a peu d’une entreprise à 32 niveaux de hiérarchie. No comment. Mon goût pour la préservation de l’emploi me fait simplement espérer qu’on redéploie ces personnes là où elles aideront l’entreprise à courrir plus vite plutôt que de les rendre injustement responsables du poids excessif des structures actuelles.
Resserer les rangs : rien de pire, alors que les entreprises ont besoin de l’énergie de tous pour faire face, d’avoir des collaborateurs qui doutent, s’inquiètent par rapport à l’avenir, se sentent perdus dans leur organisation. Etant prouvé que l’implication des collaborateur est directement liée aux liens qu’ils peuvent tisser en interne, la logique de réseau sociaux peut être facteur de cohésion. Cela s’applique d’ailleurs vers l’extérieur, les clients, l’opinion publique. Les gens sont demandeurs de transparence, de confiance, de proximité et plus encore après avoir eu l’impression d’être trompés dans les grandes largeurs. L’avenir appartiendra à ceux qui auront le courage de ne pas se recroqueviller sur eux mêmes mais de s’ouvrir. Je crois d’ailleurs encore plus à la puissance de ces logiques en cas de crise que dans un contexte de croissance.
Faire face au défi de la génération y qui quoi qu’on en dise reste actuel car il y a toujours pénurie de talents sur les postes « juniors ».
Diminuer le temps de latence : impliquer au maximum les nouvelles recrues (car il y en aura mathématiquement) afin qu’elles soient opérationnellement performantes le plus vite possible. Il faut 6 mois à un collaborateur pour « connaitre » son entreprise et commencer à être efficace et créer de la valeur, un système de tutorat, des partages d’expertises qui permettent de gagner un mois sont plus que vitaux.
L’expansion des réseaux externes. Pour faire rentrer l’argent en des temps difficiles, rien de tel que le système D et un peu d’huile de coude. Le directeur commercial se met à fouiller dans son carnet d’adresse pour épauler au mieux ses équipes, trouver les opportunités, les partager avec ses contacts dans une logique donnant donnant. Bref c’est souvent dans la crise qu’on est content de savoir utiliser son réseau. De manière générale les contacts de chacun vont valoir plus que jamais de l’or à condition que l’entreprise sache les exploiter. Il va aussi falloir apprendre à travailler plus étroitement avec ses partenaires, identifier les opportunités plus vite et y répondre plus vite, ensemble. En plus d’être bons ils va falloir apprendre à être agiles et malins. Là encore c’est davantage de l’organisation en réseau que du process.
Préparer la sortie de crise : imaginez, ce qui va surement arriver dans nombre d’entreprises, qu’on adopte la posture du « zéro initiative », « zéro investissement », « on serre les dents et c’est tout », « que les collaborateurs soient déjà heureux qu’on leur offre un boulot ». Un jour l’économie repart. Que se passe-t-il ? Les collaborateurs marqués par l’image d’une entreprise « frugale » et recroquevillée sur elle-même, ne tardent pas à avoir envie de profiter d’un marché à nouveau porteur. Par ailleurs, alors que certains concurrents prennent l’embellie du bon pied et accélèrent, l’entreprise se rend compte qu’à avoir démotivé ses collaborateurs et ignoré tout ce qui pouvait l’aider à se projeter vers l’avenir elle n’a plus le carburant nécessaire pour accélérer. Dommage de passer l’hiver pour se faire avaler tout cru une fois le printemps venu mais c’est le propre des sorties de crise :il y a ceux qui accélèrent et ceux qui inexplicablement s’effondrent. Tout en précisant que la sortie de crise…ça se provoque.
Bref autant de logiques qui gagneraient à être explorées pour passer l’hiver au chaud. A chacune d’entre elles correspond un système d’organisation voire à certains outils. Et peu importe le nom utilisé, on reste bien dans le champ de ce qu’on a appelé l’entreprise 2.0. Bref devant un besoin toujours aussi vital, la demande en « solutions », en « réponses » risque de ne pas faiblir, bien au contraire, vu qu’on ne se sera jamais posé autant de questions.
Au passage, on remarque que si l’entreprise 2.0 a été longtemps présentée comme une solution de croissance, on voit là qu’elle donne également les gages de solidité et de renforcement de la structure humaine (sécurité « sociale » ? ce serait amusant non ?) qui permettent de traverser les moments difficiles.
Gary Hamel et McKinsey disaient que le changement était tellement peu dans l’ADN des entreprises qu’il faudrait une crise majeure pour qu’elles explorent de nouvelles voies, se rendant compte qu’elles ne pourraient plus jamais faire comme avant. On l’a notre crise non ? Autant qu’elle serve à quelque chose.
J’ajouterai que je n’aurais peut être pas tenu un tel discours il y a un an, où l’entreprise 2.0 comme le web du même nom était souvent un vaste fourre tout sans réel projet créateur de valeur. Les dernières études et ce que je vois sur le terrain le prouvent : les entreprises commencent (enfin) à comprendre comment se servir de ces dynamiques pour améliorer leur business. Ce dont elles ont finalement plus que jamais besoin aujourd’hui.
Il ne reste plus qu’à travailler. Au calme. Avec juste un peu de courage 1.0. Et ca, malheureusement (ou heureusement pour ceux qui l’ont), c’est un produit qu’on génère mais qu’on achète pas.
De toute manière pour utiliser la machine contenue dans le carton il vaut toujours mieux enlever le papier d’emballage non ?
PS: Jacques Froissant se livre actuellement à une serie d’interviews d’entrepreneurs et d’investisseurs pour avoir leur avis sur la crise actuelle. Je vous conseille de les lire avec attention.