Il y avait foule au théatre Marigny vendredi soir. Il me semble même que du monde n’a pas trouvé de place. Il ne s’agissait pas de la dernière pièce à la mode. Ou plutôt oui, à bien y regarder. Peut être le premier opus d’un nouveau genre de pièce, sur un thème qui pourrait être « comment faire du business sans casser la machine » ou encore « que nos affaires d’aujourd’hui ne se fassent pas au détriment des affaires de demain » voire « entreprise et individus, tous dans le même bateau ».
Présents sur scène : Martin Hirsch (Haut commissaire du gouvernement aux Solidarités actives), Georges Pauget (Président de la Fédération Bancaire Française et DG du Crédit Agricole) et Emmanuel Faber (Directeur Général Délégué du Groupe Danone) entourant Muhammad Yunus (Prix Nobel de la Paix et Fondateur de la Grameen Bank). Déjà un économiste et entrepreneur, banquier qui est plus est, à qui on donne le Nobel de la Paix cela surprend autant que cela interpelle sur les enjeux du développement économique. Le tout à l’initiative de Danone et HEC que je remercie au passage pour l’invitation.
Qu’est ce que le social business ? Selon Yunus « Un « social business » est une entreprise comme une autre. Sauf qu’une entreprise normale n’a qu’un but : gagner de l’argent, et en gagner encore plus. Comme toute entreprise elle devra réfléchir à la manière de gagner de l’argent et d’équilibrer ses comptes, afin d’être financièrement viable. Mais ce n’est pas son objectif premier et elle ne cherchera pas à maximiser ses profits au détriment de l’objectif « social » qu’elle s’est fixé ». Le tout partant d’un principe : le système actuel ne permet pas de soutenir le développement d’initiatives qui permettent de réduire les écarts, d’éviter qu’une partie de la population ne décroche complétement. Rôle qui revient donc in fine aux états. L’idée de Yunus (que vous pouvez découvrir plus largement dans son livre Vers un nouveau capitalisme) est de permettre d’investir dans de telles structures afin que le monde économique puisse lui-même tenir son rôle social.
A titre d’exemple Danone vient d’investir dans un tel projet en montant un tel projet à Bogra au Bengladesh aux cotés de Grameen Bank. Comme le disait Yunus : « coté business vous voyez un marché vierge, coté social des gens qui ont faim et ne peuvent s’offrir des yahourts, le social business c’est d’essayer de fournir non pas une élite mais produire un produit que les plus pauvres peuvent acheter ». Et un challenge pour Danone qui a du concevoir un produit unique, adapté aux carences de la population locale. L’industriel a donc également appris de cette expérience. De son coté le Crédit Agricole investit aux cotés de la Grameen Fundation.
Anecdotique ? La Grameen Bank prête aux plus pauvres à hauteur de 7 milliards de dollars si mes chiffres sont bons. Avec un taux de défaillance de 1%. Qui dit mieux pour aider ces populations à s’en sortir par eux-même sans dépendre de l’aide sociale ? Rire amusé de Yunus quand il évoque l’ouverture d’un bureau Grameen à New York. « On a fait comme au Bengladesh et ça marche ! [Les autres banques] ne s’intéressent pas à nous car on vise une clientèle dont elles ne veulent entendre parler ».
Mais pourquoi est-ce donc si important ? Franck Riboud annonçait en préambule la couleur clairement : « si les gens s’appauvrissent et ne peuvent consommer c’est mon entreprise qui est en danger. Stop aux visions court termistes ». Si on reconnait bien là le fils de son père, l’entrepreneur est lui fort lucide : la croissance est essentielle et il est indispendable de gagner de l’argent pour une entreprise. La croissance est d’ailleurs le seul moyen de lutter contre la pauvreté. Mais dès lors que la croissance crée de la pauvreté par ailleurs, que les résultats financiers deviennent une fin pour peu de personnes plutôt qu’un moyen pour tous c’est l’existence même de nos entreprises et de nos emplois qui est menacée à terme. Un peu la même logique qui m’amenait à écrire, il y a peu, que la logique sans bon sens menait à la catastrophe, ce qui n’est pas sans amener à penser qu’en interne comme en externe l’entreprise doit faire attention à la compatibilité de la préservation de ses ressources avec ses promesses à ses investisseurs.
Bien sur les idées sont nobles mais n’importe quel manager vous dira qu’elles sont bien loin de son quotidien où on lui demande l’impossible chaque jour. J’ai toujours pensé que pour qu’un collaborateur adopte un comportement il suffisait de l’évaluer de manière adéquate afin tout simplement de transformer l’injonction paradoxale en une logique qui fait sens. Chez Danone le bonus des directeurs est calculé en trois tiers égaux : un en fonction des résultats, un en fonction de leur management, et le troisième en fonction de l’aspect sociétal de leur activité. CQFD.
Quelques points du discours de chaque intervenan.
Martin Hirsch
Le discours des écoles a changé vis à vis de leurs élèves. [Je confirme que celui du directeur d’HEC en introduction n’a rien à voir avec ce que ses prédécesseurs devaient dire il y a 20 ans. J’ai eu l’occasion de vérifier que ça n’est pas un cas isolé]
Beaucoup d’entreprises ont conscience de leur rôle social. Malheureusement leurs initiatives dans le domaine sont à l’inverse de la manière dont elles travaillent au quotidien : anecdotiques ou gérées avec amateurisme. Ce qu’il faut c’est des projets structurés et répliquables.
Georges Pauget :
On a mis trop de freins à la microfinance pour protéger notre système bancaire. Avec les effets pervers que l’on voit.
Pour faire du social business on a du passer par le Luxembourg. Contrainte reconnue par Emmanuel Faber même si Danone Communities a pu être fait depuis la France. Promesse de Martin Hirsch : « on va arranger ça rapidement ».
Emmanuel Faber
Au delà de la crise financière il y a une crise humaine.
Tout est question de réglage entre le profit à dégager et l’investissement sociétal [Il reprenait en cela les propos de Franck Riboud]. Mais on ne changera pas les réglages sans nouvelle vision. [Tiens ça me rappelle également des questions d’organisation interne qui sont mon pain quotidien]
Croire que le marché et les processus étaient des forces supérieures et qui existaient en tant que tels indépendamment des Hommes a été une erreur grave. On a déresponsabilisé les acteurs qui ont cru que tout cela les dépassait alors qu’ils ont leur part de résponsabilité. [Encore une sage parole qui gagnerait à être reprise dans d’autres contextes].
Mettre l’Humain au coeur de l’entreprise n’est ni une question de valeur ni d’humanisme, c’est l’homme au sens « personne vivante » du terme.
Une bonne nouvelle n’arrivant pas seule, HEC lance sa chair « social business », un beau projet auquel sa traduction française « entreprise et pauvreté » ne rend pas forcément hommage. Son titulaire en est Frédéric Dalsace. Pour ceux que les anecdotes intéressent et se demandent d’où vient ma passion pour Goldratt et la Théorie des contraintes dont j’ai déjà parlé à quelques reprises, sachez que cela vient de monsieur avec qui je suivais un module de management industriel et qui à la sortie d’un amphi m’a glissé que je devrais m’intéresser à la chose. Vu la qualité du seul et malheureusement unique module suivi avec lui je ne suis pas surpris qu’il ait été élu meilleur enseignant du Groupe HEC par les étudiants. (On ne plaint assez de nos profs alors quand on en trouve un passionnant autant le dire).