Le Pew Research Center nous propose une fort intéressante étude intitulée Networked Workers et qui dresse un état des lieux des travailleurs du web aux Etats-Unis. Par travailleurs du web entendons tous ceux qui utilsent internet dans leur travail quotidien (pour information cela comprend également l’email).
Pour ce qui est des conclusions je vous renvoie à la note de Christophe Deschamps qui analyse avec lucidité les chiffres suivants :
- 27% des travailleurs américains disent utiliser internet constamment au travail (« always on ») et 22% plusieurs fois par jour.
- 80% considèrent que les technologies du web améliorent leurs capacités à bien faire leur travail.
- 73% qu’elles les aident à partager des idées avec leurs collègues
- 58% qu’elles leur offrent plus de flexibilité dans le travail quotidien
- 56% disent travailler à la maison en plus du bureau
- 50% lisent leurs emails professionnels le week-end
- 49% disent aussi que ces technologies ont accru leur niveau de stress
- et 49% (les mêmes?) qu’elles compliquent la possibilité de « déconnecter » lorsqu’ils sont à la maison ou en vacance.
- l’email et les possibilités qu’il offre dans le cadre professionnel
Bilan :
- nous sommes de plus en plus connectés au web et c’est une aide évidente dans notre travail quotidien.
- la confusion professionnel/privé est de plus en plus forte et peut avoir des conséquences négatives sur la santé des individus (mais aussi, plus globalement, sur la cellule familialle et encore plus globalement sur la société au sens large : la Société).
Précisons que les technologies envisagées dans cette étude sont de deux types :
la connexion au web, c’est à dire le moyen d’accéder, via des requêtes ou ses favoris, à l’information utile,
Ce qui se résume en quelques mots par : « c’est pratique mais ça commence à devenir diablement envahissant ».
Atteint on la limite du web comme plateforme de travail où la limite d’une utilisation dépassée ? Partant du principe qui m’est cher que l’outil n’est bon ou mauvais, efficace ou pas, qu’en fonction de l’usage qu’on en fait, je suis plus enclin à pencher pour la seconde solution, et voici pourquoi.
Quitte à provoquer (car il faut bien secouer le cocotier pour qu’il en sorte quelque chose) je serais tenté de dire que nous nous sommes en face d’une utilisation personnelle adéquate d’outils dans un contexte managérial et organisationnel inadapté. Car les personnes interrogées ne nous disent par le biais des chiffres pas autre chose que « nous savons tirer bénéfice des outils à titre personnel mais nous souffrons de l’usage que la collectivité en fait ». Par collectivité entendons l’entreprise au travers de sa culture et de son management.
Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de s’étendre sur l’utilisation d’un outil par un collaborateur dans le cadre de son travail. Il est par contre intéressant de revenir sur les effets négatifs perçus qui peuvent s’analyser sous deux axes: la perte de contrôle sur les flux d’information dès lors qu’on en est le récepteur et la nécessaire évolution des pratiques managériales.
Le collaborateur doit apprendre à organiser sa « personal supply chain »
Le collaborateur se sent efficace dès lors qu’il emet, et en difficulté dès lors qu’il reçoit. Cela ne veut ni plus ni moins dire que s’il a la main sur les opérations qu’il mène lui-même il ne sait pas encore la prendre lorsque le flux, car c’est bien de flux d’information que nous parlons, n’émane pas de lui. Le collaborateur ne sait donc pas encore, techniquement, maitriser et canaliser ses flux. Cela relève à la fois d’une attitude par rapport à l’information qui est de tout traiter quand ça arrive et au fait culpabiliser lorsque l’information s’accumule, même en dehors des heures de travail.
Pour le premier point on est dans la logique de la plomberie que j’évoquais ici. Il y a quatre types d’informations à un moment donné :
– 1°) Celle qu’on veut me donner et dont j’ai besoin : pas de soucis, je traite.
– 2°) Celle qu’on veut me donner et dont je n’ai pas besoin : elle peut servir à un autre moment mais à cette heure-ci elle relève du spam, fait augmenter le stress, fait perdre du temps et déconcentre.
– 3°) Celles dont j’ai besoin et qu’on ne me donne pas : il faut alors que j’aille moi-même la trouver. D’autant plus frustrant et difficile que je subis le flux n°2
– 4°) Celle dont je n’ai pas besoin et qu’on ne me donne pas : pas de problème sur le moment, pourvu que je puisse la trouver si un jour j’en ai besoin.
Moralité : tout doit être disponible si un jour je le cherche, mais seul le flux n°1 doit me parvenir. Pour le reste il s’agit juste de le rendre disponible pour que j’en dispose un jour en cas de besoin sans avoir à le demander.
C’est le fait de recevoir des informations inadéquates et devoir chercher celles dont j’ai besoin qui est facteur de stress.
C’est donc une problématique d’attitude de la part du collaborateur (je ne traite pas, je ne lise pas, je ferai ça plus tard sont des choix qu’il doit apprendre à faire sans culpabiliser) et d’outillage avec comme pivot la généralisation d’espaces de publication d’information qui supplanteront l’email et deviendront des marketplaces depuis lesqelles chacun construira sa supply chain perosnnelle grâce au RSS par exemple.
Le second point relève davantage de la culture, voire des postures managériales.
Le management doit lui aussi évoluer
Deux choses rendent l’outil informatique intrusif dans la vie privée : le manque de recul du collaborateur et un management inadapté.
Sur le premier point il arrive qu’un collaborateur n’arrive pas à déconnecter non parce qu’on lui impose de travailler chez lui ou de lire ses emails pendant les vacances mais parce qu’ayant les outils pour le faire il culpabilise s’il ne le fait pas. Le remède n’est pas à trouver dans les outils ou les règles de travail mais davantage vers un accompagnement, un coaching vers davantage de lacher prise. Ca n’est pas parce que les outils de travail sont à disposition qu’on est au travail.
Le second point relève d’un management qui n’a pas saisi ce que les outils bouleversent et qui considère que dès lors qu’on reçoit une information on doit la traiter, fut-ce en plein réveillon de Noà«l, et rejette la faute sur le collaborateur par deux moyens : « tu pouvais être à jour en travaillant de chez toi » et « rien ne t’obligeais à le faire… ». La solution se résoudra par l’atteinte d’une certaine maturité collective sur la question et n’est pas dissociable du point précécent même si le management devrait être moteur dans la régulation des flux pour montrer l’exemple dans un premier temps.
Reste que la question de la séparation vie privée / professionnelle va demander que chacun travaille sur soi car c’est intimement lié aux personnes. Je connais des personnes qui érigent un mur entre leurs deux vies ce qui entraine à chaque fois une transition brutale mais c’est le mode de fonctionnement qu’elles désirent. En ce qui me concerne je « lisse ». Prendre un peu de temps un week end et jeter un oeil sur ce qui se passe quand je suis en congés évite les mauvaises surprises au retour et me permet d’être plus détendu la semaine. Je préfère un minimum de tension en permanence qu’alterner enrtre grand calme et grand stress en me privant de la visibilité qui me permet d’anticiper, me rassure, me détend. Ca me permet d’arriver chaque matin (et en particulier le lundi ou aux retours de congés) sans aucune appréhension sur que je vais trouver et c’est un luxe indéniable. Mais je ne crois pas qu’aucune de ces solutions ne soit idéale et parfaite : c’est à chacun de trouver la sienne et à l’entreprise de prendre en compte cet état de fait qui s’impose à elle.
J’ajouterai deux choses par rapport à cet équilibre :
tout le monde trouve normal que le collaborateur amène des dossiers chez lui mais pas qu’il prenne trois pauses café où perde du temps sur internet au bureau.
tout le monde reconnait que la veille, l’auto-apprentissage permanent sont essentiels à la performance d’un collaborateur, mais on aimerait que ça se fasse sur le temps personnel (voir aussi là et là )
ll y a là quelques idées à faire évoluer quand même.
Bref, il y a un autre avenir pour les collaborateurs que d’être pris entre l’enclume de l’efficacité personnelle et le marteau d’une culture peu adaptée à l’omniconnexion. Et, en passant, la preuve par l’exemple que dans un contexte de forte interdépendance des individus, l’utilisation d’un quelconque outil ne peut plus s’envisager uniquement au niveau individuel mais doit également prendre en compte des comportements collectifs plus inconscients.