Une réflexion pas si éloignée que ça de mes thématiques habituelles car on y parle finalement d’optimisation de la performance sous contrainte des ressources. Des ressources humaines notamment.
Tout le monde le sait et l’a compris, tout du moins je l’espère, le but d’une entreprise est de gagner de l’argent pour dégager de la valeur pour ses actionnaires, actionnaires dont on oublie souvent que sans eux l’entreprise n’existerait tout simplement pas.
Avec le temps on a transformé la nécessité de dégager du profit en nécessité de le maximiser. Une vision qui, il ne faut pas l’oublier non plus, nous a permis de connaitre à la fois la croissance la plus forte et la plus longue il y a quelques temps de cela. Mais il s’avère que la mécanique tend à se gripper de plus en plus fréquemment avec les conséquences que l’on sait et qu’on peut désormais observer dans notre quotidien.
Cela se traduit au sein même de l’entreprise par la volonté de faire toujours plus et de maintenir des rythmes de croissance incompatibles avec la logique la plus élémentaire. Une logique qui devient à terme contre productive lorsqu’elle conduit à adpter une demi-stratégie et promettre une performance linéaire là où celle des ressources, et notamment humaines, finit par plafonner ce qui entraine des « crises » internes cycliques.
En externe cela amène à une période où pour la première la croissance crée de la pauvreté, cette même pauvreté mettant en péril la croissance de demain en détruisant les marchés actuels et empèchant l’émergence de marchés futurs.
En un mot, nous avons la preuve que pour continuer à s’enrichir demain il convient de ne pas demander l’impossible aujourd’hui. Plus prosaà¯quement, disons qu’on ne coure pas le marathon en enchainant des sprints et que l’objectif c’est bel et le bien le marathon et non les 100 premiers mètres. La situation actuelle nous prouve d’ailleurs, quand bien même cela nous dérangerait, que la logique du « après moi les mouches » a vécu.
L’évènement dernièrement co-organisé par Danone et HEC sur le social business m’a amené à aller rechercher dans ma bibliothèque une collection de discours et interview d’Antoine Riboud (Antoine Riboud : Un patron dans la cité), fondateur du groupe Danone, dont je pense qu’au même titre que « Le but » (mais pour d’autres raisons) et « La Fin du management » mériterait d’être lu par tout manager voire collaborateur désireux de ne pas rester enfermé dans ses certitudes à l’heure où il convient de réinventer beaucoup de choses.
Selon Riboud « Les buts économiques et humains sont indissociables ». Une vision claire déclinée de discours en discours mais également pratiquement en tant qu’entrepreneur : que l’on parle des collaborateurs, des clients ou de l’environnement humain de l’entreprise au sens large, leur vie ne se fera pas sans entreprises en bonne santé mais aucune entreprise ne peut être en bonne santé durablement tant que son ecosystème humain ne l’est pas. L’entreprise n’a pas vocation à entretenir des ressources surnuméraires ou donner de l’emploi pour donner de l’emploi car on ne peut avoir de politique sociétale sans les moyens de financer, mais elle doit être responsable de ses décisions, même les plus dures, et les accompagner.
Du célébre discours de Marseille à la passation de témoin à son fils Franck c’est toute la pensée Riboud qui est exprimée ici. Et le recul nous amène à reconnaitre que le « double projet » économique et sociétal formalisé dans les années 70 n’a jamais obéré la capacité de l’entreprise à être rentable et se maintenir dans le peloton de tête mondial. Il n’est pas question de compenser d’un coté le mal fait de l’autre mais de se montrer responsable et clairvoyant dans l’impact futur de ses décisions. Comme le disait son fils et successeur Franck en préambule de la conférence sur le social business, les deux ne sont pas incompatibles, c’est une question de réglage. Et son Emmanuel Faber, son Directeur Général Délégué de compléter plus tard : « pas de réglage sans changement de vision… ».
Je terminerai par un retour sur la partie du livre consacrée à un rapport que le même Antoine Riboud a rédigé à la demande de Jacques Chirac sur les conséquences sociales de l’introduction des nouvelles technologies dans l’entreprise en 1987. Une période qui peut nous sembler lointaine mais des constats qui visiblement n’ont pas pris une ride.
« Il faut prendre conscience du caractère permanent de l’évolution technologique dans les entreprises. Il n’y aura pas d’avant ni d’après. La modernisation ne sera jamais achevée. Dès lors l’organisation de l’entreprise gagne à devenir assez flexible pour pouvoir évoluer ».
« Nous pensons encore que nous pouvons acheter du temps, investir dans des jours meilleurs puis repenser le travail. Ne prenons pas les problèmes à rebours. C’est le refus de la technologie -ou pire, la technologie non maitrisée – qui nous maintient dans la crise »
« L’acte de produire des hommes n’est efficace et rentable que s’il tire parti de tout le potentiel du capital productif. Pour cela on a besoin de leur rigueur, leur imagination, leur motivation, leur autonomie. La capacité d’obéissance, de force, de répétition, tout ce qui va dans le sens d’une routine bien maitrisée tombe en désuétude.«
« On ne peut donc plus pratiquer le même style de commandement et d’animation ni avoir la même division du travail ou la même définition des qualifications. Tout notre apport est construit sur cette expérience concrète : les entreprises les plus performantes sont celles qui pensent solidairement le changement technologique, le contenu du travail et le changement des rapports sociaux internes à l’entreprise ».
Alors ? Antoine Riboud un visionnaire ? En tout cas un homme sage et lucide. Après cela on s’étonne que tout le monde trouve que Danone est une entreprise « spéciale ».