Les entreprises peuvent elles s’organiser comme des marchés ?

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Qu’est ce qu’un marché ? Un endroit où une offre rencontre une demande.

L’entreprise aime le marché qui est le moyen le plus efficace de trouver des débouchés à  ses produits et identifier ses fournisseurs. Il est un facteur de compétitivité par les débouchés qu’il offre  et d’optimisation des coûts par la mise en concurrence qu’il permet.

L’internet dit « social » est en quelque sorte un marché. Des contenus trouvent une audience, des idées des débouchées, des projets des réalisateurs, des personnes des partenaires, des questions des réponses… C’est grâce à  ce marché que des événements aussi anecdotiques que des flashmobs ont pu avoir lieu, que des personnes ont pu connaitre des évolutions de carrière significatives, que des projets voire des entreprises sont nés. Cet espace immense, auto-organisé et dénué de barrière  l’entrée à  rendu possible des choses qui n’auraient pas eu de sens dans un schéma classique de marché régulé et organisé, les couts de fonctionnement rendant économiquement irrationnels l’organisation de micro-marchés de niche. C’est parce qu’il ne connait pas de barrière physique ni économique que le net rend tout cela possible : le prix de l’intermédiation et de la transaction est quasi nul que ce soit financièrement ou en termes d’effort.

Il est un autre endroit qui regorge d’idées, de projets, de besoins, de compétences, d’envies, de questions et qui aurait tout à  gagner à  ce que les uns et les autres se rencontrent en son sein : l’entreprise.

L’expérience m’améne même à  dire qu’il s’agit de l’endroit où il existe définitivement le plus de questions avec leurs réponses, et surtout de l’endroit où on est aboslument certain que jamais elles ne se rencontreront. L’entreprise est en général le lieu des opportunités manquées. Cela peut sembler surprenant au regard de ce qu’elle fait, mais quand on regarde ce qu’elle ne fait pas ou à  grand peine et qui aurait du sens pour elle on peut avoir un certain vertige qui doit être à  peu près proportionnel à  la taille de l’entreprise concernée. Une des raisons à  celà  ? Des couts de transaction et d’intermédation élevés d’une part et le fait qu’on ne veuille se départir de cette intermédiation.

L’entreprise a en effet formalisé les transactions et échanges qui doivent avoir lieu en son sein. Non seulement en les déterminant de manière limitative mais également en les organisant strictement ce qui induit des intermédiaires, des procédures de suivi, de coordination et donc logiquement des coûts. Voilà  pour la partie financière car pour ce qui est de la volonté de ne pas faire autrement le problème est ailleurs.

Ne nous trompons pas :une entreprise qui tenterait de fonctionner comme un marché totalement libre ne survivrait que  quelques semaines. La liste des raisons en est longue mais nous pouvons en survoler l’essentiel :

Adhoc Vs Standardisation : Le monde des utilisateurs du net fonctionne en mode « adhoc » en proposant des solutions et des réponses à  une question donnée alors que l’entreprise doit délivrer un produit / service standard.

Push Vs Pull : l’entreprise fonctionne en mode « poussé » : une offre est conçue, sa production modélisée et le tout « poussé » à  travers l’entreprise, en descend la ligne hiérarchique, jusqu’au marché qu’il s’agit de convaincre puis de satisfaire. Les utilisateurs du web partent d’un besoin, d’une question, et s’il n’existe pas de réponse existante ils s’efforcent de la construire ensemble, quitte à  batir un système d’intéractions (mot que je préfère ici à  processus) à  usage unique. Ici c’est le marché, le besoin, qui tire l’organisation alors que dans le cas précédent c’est le produit qui pousse le marché via l’organisation.

Cout Vs Revenu : l’entreprise mesure ses efforts et l’utilisation de ses ressources car elle compte ses coûts. Pour les acteurs du web (je parle des acteurs individus, pas des entreprises offreuses de service…) l’important est le résultat. Avez vous remarqué que si on monte souvent en épingle les « success stories » nées des intéractions de pair à  pair sur le web, il n’est jamais fait mention des efforts consentis pour y arriver ? Et que, d’ailleurs, ce qui n’a pas abouti ne remonte pas jusqu’à  nos oreilles. Cela tient au fait que les utilisateurs ne sont un coût pour personne d’autres qu’eux-mêmes. Quoiqu’il en soit l’entreprise ne peut engager de ressources sans visibilité sur l’impact de leur activité par rapport au temps consacré.

Cout Vs revenu (bis) : ce point est peut être un peu plus alambiqué ou philosophique mais il me frappe tout de même. L’entreprise est pilotée par les coûts, toute action d’un collaborateur a un coût ne serait-ce que parce qu’il engage du temps, donc il faut pouvoir planifier à  l’avance le retour sur investissement de chaque action entreprise. Le web est orienté résultat et peu importe l’effort nécessaire pour arriver au dit résultat en raison de la multiplicité des ressources (potentiellement des millions de personnes) et du fait que chaque ressource n’est finalement un coût que pour elle même. L’air de rien cette distinction entre pilotage par les coûts et par le revenu lorsqu’il est appliqué à  l’entreprise implique deux philosophies diamétralement opposées du management (ceux que le sujet intéresse liront Critical Chain : La Chaîne critique où le sujet est bien abordé).

Ces trois seuls points prouvent qu’une entreprise ne peut fonctionner en marché ouvert, ou plus concrêtement qe les dynamiques du web grand public ne peuvent y être importées telles qu’elles. On peut bien sur discuter du bien fondé de ces règles, de leur objectivité ou du fait qu’elles ne sont que le reflet d’un parti pris) mais il faut composer avec la réalité du moment et admettre que dans l’état actuel des choses ça bloque.

Faut il pour autant tenir pour acquis que l’entreprise est vouée à  ne pas utiliser son plein potentiel interne où à  faire face à  des coûts d’intermédiation et de coordination incroyablement élevés dès lors qu’elle voudra le faire de manière ponctuelle ? Où que pour y arriver en permanence elle doit accepter soit une non visibilité sur son activité soit de s‘en remettre à  l’extérieur dès lors que son mode d’organisation traditionnel montrera ses limites quitte à  ce que des couts de transaction trop élevés l’amènent à  ne coordonner qu’un ecosystème externe ?

Je ne pense pas que les deux soient antinomiques, bien au contraire. Tout est davantage question d’articulation que d’exclusion : on a toujours raisonné comme si deux options s’excluaient forcément l’une l’autre, or il est dès cas où avec un peu d’inventivité organisationnelle on peut passer d’un monde du « ou » à  un monde du « et ».

On pourrait ainsi concevoir que :

la production doit, dans l’économie de la connaissance, être tirée mais s’exercer dans le cadre de procédure définies.

une place de marché des compétences et des ressources internes doit exister afin de permettre de passer en mode « marché » quand le mode « planifié » montre ses limites. C’est certainement là  que le social software importé du net grand public aura un apport significatif.

un mode de management donnant davantage d’autonomie afin de permettre de basculer sans rendre le collaborateur schizophrène (et en se rappelant que le fonctionnement en « réseau » n’est pas opposé au mode hiérarchique).

Quelque chose qui s’approcherait donc de la wirearchie de l’ami Jon ou de mon « organisation orientée service« . Une évolution rendue nécessaire par le fait que c’est là  que se situent les vrais gisements de performance, et que pour y parvenir il n’est plus possible de demander aux collaborateurs de gérer des contradictions. C’est donc à  l’organisation d’évoluer ce qui impose avant tout une vue « macro ». Mais quoi de plus normal à  partir du moment où l’entreprise n’est plus une chaine unique mais un enchevêtrement d’interdépendances.

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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