Dans 90% des cas quand je parle de réseaux sociaux pour d’autres personnes que les collaborateurs d’une entreprise on me répond « ah bon, je croyais que tu ne croyais pas à histoires de buzz et de marketing ». Cela ne reflète ni plus ni moins que l’idée encore largement répandue dans les entreprises et le grand public que l’entreprise ne s’adresse à l’extérieur que pour communiquer, vendre, et ce selon un flux monodirectionnel et qu’autrement dit « à l’extérieur on parle, à l’intérieur on travaille et les deux n’ont rien à voir ». Vu avec un peu de distance cela traduit également l’idée selon laquelle c’est l’entreprise qui conditionne son environnement et non l’inverse.
Des idées préconçues qui furent vraies en leur temps mais montrent qu’on rentre peu à peu dans une nouvelle ère.
Dans les premiers temps, l’utilisation des technologies et des pratiques du web 2.0 au service des entreprises a été vu sous deux angles bien distincts. En externe pour communiquer, fédérer, créer une affinité à une marque ou un produit et ce dans l’optique de vendre. En interne pour favoriser les intéractions entre collaborateurs, motoriser la collaboration, le tout dans l’optique de produire plus efficacement. Hors de ces deux points de salut. Notons aussi que tout cela était traité de manière très hermétique : combien de fois a-t-on entendu que telle entreprise était beaucoup plus ouverte (ou essayait de le faire croire) en externe qu’en interne et qu’elle n’appliquait pas à ses propres collaborateurs ce qu’elle prétendait mettre en œuvre avec ses clients actuels ou potentiels.
Une des raisons en est également un certain conservatisme qui veut que l’entreprise soit beaucoup plus ouverte à des nouvelles valeurs, à des nouvelles manières de faire tant que cela se passe en dehors de ses murs et qu’on trouve plus facilement des budgets pour tenter d’améliorer les rentrées à court terme (ventes) que pour améliorer le fonctionnement interne, démarche beaucoup plus longue, profonde, pointue et non dénuée de considérations politiques.
Puis vint le temps des ideagoras, incarnées notamment par I-Prize et Human Network chez Cisco (voir mes notes ici et ici) ou Ideastorm chez Dell. L’idée était non plus de créer de la proximité entre l’entreprise et l’extérieur mais de s’en servir pour améliorer les produits, voire sortir des produits nouveaux, en se servant de la capacité d’innovation du grand public qui se trouve, qui plus est, associé à la conception des produits dont il est le client. Un net progrès donc mais on reste dans l’externe dans la mesure où on ne touche toujours pas à la production qui ne doit laisser aucune part à la « non planification ».
Dans le même temps la question de l’optimisation des intéractions en interne commençait à faire de plus en plus son chemin et à trouver sa (petite) place dans le débat même si la plupart des tenants du web 2.0 se désintéressent complètement du fonctionnement des entreprises. C’est notamment une des raisons de l’émergence du créneau entreprise 2.0 qui prend de plus en plus ses distances avec le web avec lequel il ne partage finalement que peu de points communs.
En un mot, il y a l’entreprise et l’extérieur, les deux séparées d’une membrane que l’on désire toujours aussi imperméable et étanche même si c’est bien loin de la réalité des faits. Mais cette vision a-t-elle encore de l’avenir à l’heure où on demande aux entreprises de gagner de plus en plus en productivité ou, terme que je trouve plus pertinent, en efficacité opérationelle ?
Si l’on y réfléchit bien la valeur ne se crée pas dans l’entreprise mais au contact du client. Rien ne sert d’avoir une production optimisée, des rendements exceptionnels, s’ils ne servent à satisfaire le marché. La valeur se crée par conséquent au contact du client, le reste n’étant qu’une condition nécessaire mais pas suffisante. Si l’interface entreprise / client défaille c’est tout le processus de création de valeur qui est en situation de risque. Pour ceux qui ont lu mes billets sur les limites (ici et là ) nous sommes en face d’une limite réelle à la performance de l’entreprise : la capacité à délivrer un produit, un service, en un mot de la valeur chez le client. Rien ne sert d’améliorer le service, le produit, les processus internes, la gestion, les indicateurs, les processus RH etc… si le dernier maillon de la chaine n’arrive à délivrer son plein potentiel. Toute amélioration interne n’aura aucun impact sur la création de valeur tant qu’existera une telle limite ou goulot en aval. On jouera à la marge sur les coûts mais en aucun cas sur la valeur créée (relisez cette phrase autant de fois que nécessaire…c’est d’une logique accablante qui fait s’effondrer de nombreuses certitudes. Imaginez une chaine, si vous réduisez les coûts vous pouvez agir sur le poids de chaque maillon…mais pour créer de la valeur ça n’est pas le poids mais la resistance globale de la chaine qui compte). Les professionnels de la qualité savent bien depuis longtemps que le système de production ne s’arrête pas aux frontières de l’entreprise mais englobe également les acteurs chez le client, voire l’utilisateur final. C’est ce qui fait la différence entre une entreprise qui se donne pour objectif de livrer et celles qui se donnent pour objectf la satisfaction d’un besoin chez le client. L’impact sur la performance et la chiffre d’affaire est tout sauf trivial.
Or la réalité de l’activité de nombres d’entreprise n’est pas le client qui vient au magasin et en repart avec un produit fini, surtout en B2B. Ce sont des équipes qui mènent des projets non pas chez mais avec les équipes du client. Ce sont eux qui créent la valeur ensemble. Mais alors qu’on fait tout pour optimiser les intéractions entre collègues on maintient de trop nombreuses barrières avec clients et partenaires. Manque de réactivité du au formalisme des échanges, logique exclusive de hubs au détriment du pair à pair, modes opératoires à l’opposé de l’agilité et j’en passe. Résultat : incompréhensions, perte de temps, non conformité des livrables, dialogues de sourds, incompatibilité des modes de fonctionnement des uns et des autres… Je suis toujours effrayé lorsque j’entend, dans le cadre d’une relation client, des personnes dire « nous » en parlant de leur entreprise et « eux » en parlant des clients : la valeur se crée au contact des deux, au sein de ces équipes mixtes et pas ailleurs. Tout frein aux échanges, à la collaboration et aux intéractions entre les équipes fournisseur et client se paie cher. Ce ne sont pas deux équipes qui doivent travailler ensemble mais une seule équipe qui doit réussir.
Il est une chose qui montre l’importance de trouver une solution à cette limite : on dépense tellement d’efforts et d’énergie à composer avec les barrières organisationnelles qui freinent la relation avec clients et partenaires qu’il reste finalement peu de temps et de ressources pour atteindre l’objectif réel : réussir le projet. Avez vous chiffré le volume de ressources dédié à la facilitation et à la coordination sur un projet ? Quelle part est essentielle et quelle part est consacrée à compenser les dysfonctionnements ? Et quelle est la part de temps masqué jamais comptabilisé mais qui finit par peser d’une manière ou d’une autre ? Vous avez dit agile ?
J’en reviens à ce que disait Louis Schweitzer sur le sujet :au delà des échanges techniques, il faut développer l’aspect communautaire.
A mon avis ce sera une des grandes tendances pour 2009 : des réseaux sociaux ouverts sur l’extérieur à des fins de production. Ces « business networks » mis en évidence par PWC, supportant des logiques d’alliances interentreprises qui sont amenés à devenir les relais de croissance des années à venir.
J’y vois de plus de nombreux intérêts :
des bénéfices immédiatement quantifiables avec des indicateurs clairs : ceux de la réussite du projet.
des bénéfices chiffrables : dans un projet avec un client il y a une transaction financière, donc la traduction des bénéfices en espèces sonnantes et trébuchantes est plus simple et directement compréhensible.
moins de risques pour l’entreprise : en commençant par des équipes projet mixtes les entreprises apprendront sans exposer leur cœur…
une réponse organisationnelle adaptée à ces temps difficiles.
Après il ne restera plus qu’à comprendre qu’en interne les collaborateurs sont également clients et fournisseurs entre eux et que chacun est une ressource, un service, qui a vocation a être partagé.
Après ça pensez vous toujours qu’une logique de réseau social externe ne peut servir qu’à communiquer pour générer des ventes ? Où est le ROI le plus facilement predictible et planifiable ?
Après le réseau interne pour les collaborateurs et le réseau externe pour fédérer une clientèle potentielle (nom pragmatique de la communauté), voici le réseau mixte pour produire plus efficacement.