J’ai commencé à évoquer ici et là l’intérêt de changer le sens des flux dans l’entreprise : passer d’un mode de production en flux « poussés » à un mode de production en flux « tirés ». Il s’agit de laisser le collaborateur déterminer son action par rapport à un but plutôt que par rapport à un ordre reçu.
Pourquoi est-ce si important ?
Parce que cela correspond davantage à la réalité du travail des individus aujourd’hui. On l’a dit et répété mais l’époque où les employés devaient reproduire à l’infini une même tache voire un même geste est révolue. Son activité, ses tches du jour, ne sont donc pas définies par un plan de production mais par une demande, un besoin, sans cesse changeant. En général il n’a pas besoin qu’on lui dise quoi faire mais plutôt qu’on l’aide à le faire. Il a davantage besoin de support que d’instructions et, paradoxalement, c’est du haut que ce support doit venir. Aujourd’hui l’ordre vient du haut et on espère le support du bas alors que la réalité des choses est exactement l’inverse.
Pourquoi privilégie-t-on toujours le push ?
Par habitude d’abord. Il faut bien avoir conscience que cette réalité est relativement nouvelle. Le modèle industriel du début de siècle dernier concernait souvent du personnel peu formé, ayant besoin de supervision. De plus la logique de production industrielle ne laisse aucune place à la capacité de jugement des uns et des autres et, au contraire, demande la plus grande normalisation. Nous sommes donc en partie devant la survivance d’un modèle qui a fait ses preuves en son temps mais qui ne peut plus s’appliquer partout aujourd’hui.
Ensuite en raison de la vision même du rôle du manager. Le « command and control » qui était justifié à une époque est plus satisfaisant pour beaucoup que de s’imaginer être au service de leurs équipes. N’oublions pas qu’historiquement le terme « management » a d’abord été traduit et enseigné en France sous le nom de commandement. Si l’on met les choses en perspectives avec le paragraphe précédent il s’avère qu’une partie de la fonction d’encadrement, telle qu’elle a été conçue, est davantage l’héritière du rôle du contremaitre « qui dirige et contrôle » que de celui qui fait réussir les autres. Comme le reconnait par ailleurs Deming dans « Hors de la crise« , nombre de personnes dans cette situation n’ont simplement pas la connaissance du terrain nécessaire pour aider les autres…donc autant ne pas s’aventurer sur ce créneau. Et l’idée selon laquelle le rôle du manager pourrait être de connecter celui qui a besoin a celui qui sait faire commence à peine à poindre dans les organisation.
Enfin en raison d’un problème récurrent d’évaluation qui fait que l’objectif réel d’un collaborateur est davantage la satisfaction de son supérieur que la contribution réelle à la satisfaction du besoin client donc à la création de valeur.
On évoquera aussi la volonté de prévoir et planifier à long terme et d’être certains que 100% du temps de chacun sera utilisé, peu importe pour quoi, alors même qu’on sait que l’horizon de prévisibilité des tches et besoins de chacun est de plus en plus court. On n’oubliera pas non plus qu’une telle manière de fonctionner est difficilement concevable en l’absence de moyens de collaboration adéquats.
Liste bien sur non exhaustive.
Quelles sont les conséquences négatives du mode de fonctionnement actuel ?
Intuitivement le collaborateur sait ce qu’il devrait faire, ce qui serait vraiment utile. Par contre il se plaint souvent de ne pas avoir les moyens, l’aide nécessaire voire de recevoir des ordres contradictoires qui l’éloignent de ces objectifs. Que celui qui n’a jamais eu l’impression que son entreprise l’empêchait de servir ses clients lève le doigt. Bref, une raison du désormais célèbre « c’est n’importe quoi » ou « ça n’a pas de sens » qui doit être une des phrases les plus entendues dans l’entreprise d’aujourd’hui.
En deux mots le collaborateur est pris entre un flux « tiré » naturel et un flux « poussé » qui l’éloigne de l’essentiel. La rencontre de deux flux inverses crée des frictions et qui dit frictions dit perte d’énergie. Donc d’argent. Quand on voit le temps et l’énergie perdus à tenter de concilier des deux il n’y a pas besoin de chercher loin où trouver d’éventuels gains de productivité.
On peut également regarder ce qu’il advient lorsqu’on essaie de pousser chaque logique à son paroxysme, ce qui est le cas dans des périodes économiques difficiles comme celle que nous connaissons et où il s’agit de toujours faire plus.
– en cas de push accroissement de la pression individuelle jusqu’à étouffement. Sachant par ailleurs que cette logique ne garantit en rien que ce qui est fait soit utile ou créateur de valeur.Par exemple si on augmente la productivité d’une personne mais que le reste de la « chaine », en aval, ne suit pas, ce gain est inutile (productivité individuelle en hausse mais pas davantage de valeur créée).
– en cas de pull : le seul moyen de faire plus est d’enlever de la contrainte, de rendre les choses plus simples. Cette logique amène donc à un modèle d’organisation plus simple, plus adaptable, et dans lequel on est sur que le temps passé contribue à créer de la valeur vu qu’en bout de chaine c’est le client qui tire donc on peut en déduire que toute action est forcément liée à quelque chose de facturable. Les apôtres du contrôle à tout prix seront également satisfaits puisque par définition ils pourront ainsi savoir plus que jamais ce que font leurs équipes.
On se rend bien compte qu’une de ces logiques est viable à terme et pas l’autre.
Conclusion et mise en œuvre
A l’heure où de nouveaux moyen d’améliorer la productivité sont recherchés il s’agit d’un mode opératoire qui présente d’indéniables intérêts. En effet il garantit que l’effort se concentre là où cela paie, permet au manager de se focaliser davantage sur ce qui va être efficace et résoud le problème de la productivité individuelle par le support et la suppression des contraintes plutôt que par l’accroissement de la pression dont on sait qu’il ne s’agit pas d’une méthode pérenne à long terme, voire qu’elle fait payer cher un jour ce qu’elle a fait gagner la veille. Il s’agit donc une excellente réponse au « lazy management » dont Olivier Amprimo fait mention ici.
On s’attaquera à la question de la mise en œuvre dans un post à venir.
PS : n’allez rien chercher de spécialement innovant dans cette méthode. On y retrouve ce que Drucker disait en mettant le PDG en bas de l’organigramme, on y retrouve les fondements des méthodes agiles ainsi que certaines pratiques du LEAN. Il y a donc des équipes qui fonctionnent ainsi, des processus qui ont été conçus ainsi.