Un mouvement intéressant et, surtout, salutaire, est enfin en train de s’amorcer dans le petit monde de l’entreprise 2.0. Il correspond à ce que j’appellerais une dé-technologisation du phénomène et, à mon sens, va permettre de passer un cap en ramenant l’entreprise 2.0 vers un terrain qu’elle n’aurait jamais du quitter : l’entreprise en tant qu’entité productive devant obeir à un ensemble de règles et contraintes internes.
Cela transparaissait dans ma « vieille » définition de l’entreprise 2.0 de 2007 et plus encore dans mes prédictions 2009. Maintenant nous y sommes.Quoi qu’il en soit c’est l’amorce d’un virage entre la vision qui faisait de l’utilisation d’outils un objectif en soi et celle qui en fait un élément d’un système.
J’en veux pour preuve deux exemples récents qui ne sont à mon avis que l’amorce d’une tendance forte.
Dans cette note, l’éminent Robert Scobble se rend compte que, si brillantes soient la dimension technologique du web 2.0 et l’analyse qui en est faite par les « tech bloggers », la réalité de l’entreprise et de son contexte ne sont pas pris en compte. Si l’objectif et les besoins sont clairs pour tous, manque la compréhension du contexte qui seule permet d’expliquer le « comment faire ». Or, il s’avère que trop souvent l’accent est mis sur un point d’arrivée idéal en méconnaissant totalement le point le départ et les contraintes avec lesquelles composer pour arriver à destination. Voire de se dire que cette destination n’est peut être pas la meilleure ou n’est peut être pas utile à tous. Voilà pour le coté web 2.0.
Coté entreprise 2.0, j’ai noté cette note de Martin Koser au sujet de la préparaton du prochain Enterprise 2.0 Summit de Francfort, et dont les préoccupations me semblent aller dans le bon sens. Il écrit :
For the “trusted” circle of experts feedback we can say that the biggest topic of the behind the scenes discussions was the dichotomy between orderly processes (read BPM) and the fuzzy world of Social Software (read Enterprise 2.0), how to deal with it, and basically how to tackle the topic at the conference. So while we all shared understanding a nice thread evolved that covered things like:
- How do we prevent that social software works out to be just another “silo” (”build a wiki, and they will come”)?
- How can we integrate social software into existing domains, usage arenas and task specific systems?
- What are the best ways to start with social software in the enterprise?
- How do we ensure that social software implementations turn out to be “complementary and integrative”? Is it a good idea to marry up SNS functionality with BPM software
Voilà ce que j’appelle un retour aux fondamentaux fort à propos.
Mon idée sur la question est que l’entreprise doit apprendre à gérer à la fois :
Son business process management : c’est la manière dont les choses se font et imaginer ne serait-ce qu’une seconde qu’on s’en passe un jour est totalement illusoire. C’est l’aspect traditionnel de son activité.
Son « Adhoc Process Capability » : sa capacité à s’organier en structures adhoc, provisoires et reconfigurables, afin de faire face à une situation donnée. Des process initiés par le collaborateur afin de concentrer la compétence là où un besoin que le BPM n’a pu éviter apparait. Une sorte d’organisation orientée service. C’est un aspect qui n’est pas nouveau mais que le « 2.0 » permet de traiter plus efficacement. Mais il reste très centré « besoin – résolution – exécution ».
Sa « Serendipity Capability » qui est l’aspect fondamentalement « 2.0 » et nouveau : une meilleure utilisation des capacités de ses collaborateurs afin de réaliser des choses « formidables et inattendues » tout en créant un nouveau modèle d’engagement par le développement de nouveaux rapports humains, d’un nouveau community-ship. C’est à la fois un grand plus mais quelque chose qui ne doit en aucun cas occulter les deux points précédents qui concernent 95% de la vie de l’entreprise.
Si une technologie doit globalement supporter le fonctionnement de l’entreprise elle doit être capable d’adresser ces trois besoins. Sinon il s’agira d’assurer des passerelles entre chaque. Et sans présumer du mode de fonctionnement à adopter par les collaborateurs que le déploiement d’un outil ne permet pas de préjuger.
On se rend bien compte que l’excellence dans la compréhension et la réalisation technologique ne sont qu’un aspect de la chose. Le reste amène à se replonger à la fois dans les process et les pratiques managériales. Ce qui m’amène à dire que le chainon manquant est celui de l’intégration des pratiques 2.0, puis des outils avec l’existant. Ce qui impose d’analyser et comprendre l’existant, de mettre les mains dans le cambouis 1.0 et de voir ce qui est nécessaire, ce qui est faisable, et comment. Et non pas de fixer un objectif ambitieux dont personne ne sait trop comment l’atteindre. Bref, tout commencera avec le Business Process Management. En tout cas si on vise un déploiement à grande échelle : une petite équipe motivée et bien formée pouvant très bien faire évoluer, elle, ses pratiques seule, au fil de l’eau.
Les outils 2.0 doivent ils intégrer le BPM ? A mon avis dans une certaine mesure oui…mais pas trop. Il faut qu’ils restent suffisamment flexibles pour adresser les autres points et permettre cette fameuse « freeform collaboration ». Il faut des passerelles avec les outils de BPM sans qu’ils deviennent intrusifs.
Cela suffira t’il ? Bien sur que non. Une grande partie du travail ne se situera pas sur l’intégration technologique mais sur l’intégration humaine. Il faudra que l’entreprise traduise une partie de ses process en pratiques et apprenne à ses collaborateurs à les décliner dans des environnements nouveaux. C’est peut être là qu’on se rendra compte que certains process ancestraux gagneraient à être relachés. L’occasion de ne pas méconnaitre l’existant à l’heure où l’on définit les objectifs.
Il semblerait donc que l’entreprise 2.0 revienne enfin sur l’entreprise et son essence : s’organiser pour produire plus efficacement. Bonne nouvelle.