Il est temps de synthétiser les quelques réflexions que j’ai pu avoir ces derniers mois. J’ai essayé de partir des préoccupations maintes fois entendues et exprimées à la fois par des responsables demandant une vision globale du sujet et par des managers de terrain qui n’ont pas le loisir d’avoir ce niveau de préoccupation, occupés qu’ils sont par les enjeux quotidiens et pour qui ce cadeau souvent « tombé du ciel » (et tombé sur leur tête) est souvent une source d’incompréhension, donc d’inconfort.
Ces préoccupations n’ont rien de surprenant : qu’est ce que c’est, qu’est ce que ça apporte, comment cela fonctionne, comment positionner cela et l’intégrer dans l’entreprise telle qu’elle est aujourd’hui… S’agissant d’un domaine nouveau, on a beaucoup appris de l’expérience des « early adopters » qui fonctionnant sur un mode « essai / echec / amélioration » ont contribué à dégager un corpus de savoir faire intéressant. Ce corpus s’est en effet constitué sur la bases d’implémentations réussies ou ratées qui ont permis d’affiner les présupposés qui ont prévalu à leur mise en place. Ce qui permet aux « suiveurs » de bénéficier de ces expériences accumulées.
Ne croyons pas toutefois que c’est en disant « c’est, ça n’est pas, il faut, il ne faut pas » que les choses avanceront. L’entreprise a besoin de comprendre le cheminement qui a amené à ces conclusions pour les faire siennes, et on sait ce qu’il advient lorsqu’on se contente de copier un résultat sans rien comprendre du raisonnement qui y a amené : on manque d’assurance, l’imprévu fait peur, on est sur la défensive et au final on échoue.
Et plutôt que proposer un futur alléchant au bout d’une route floue, partons donc de l’existant pour construire le futur. En passant cela nous permettra d’expliquer le « pourquoi » en capitalisant sur ce que le passé nous a appris.
Ce bilet est en quelques sortes la suite de mes réflexions suite à cette ancienne note qui prenait le partie de prendre le problème sous l’angle de la production attendue. (Hé oui dans le monde de l’entreprise tout est question d’outcomes)
Postulat de départ : l’entreprise 2.0 permet de mieux échanger, partager, créer des synergies entre les collaborateurs peu importe leur place et le rôle dans l’entreprise (voire hors de l’entreprise).
Point de départ : dans l’entreprise, tout est organisé sous la forme d’un enchainement de tches, que ce soit au niveau d’une équipe ou de l’individu. Cet enchainement est à la fois formel (business process) et informel (business routine). C’est le quotidien du collaborateur, ce qui rythme son activité, en constitue le fil rouge, la colonne vertébrale. C’est au regard des éléments de cet enchainement et du résultat final produit que le collaborateur et le groupe sont évalués. Ce peut se schématiser de cette manière.
A priori c’est sur cet axe qu’aurait du porter l’implémentation de tout projet de type entreprise 2.0. Malheureusement ça ne fut que rarement le cas. Les raisons furent multiples mais la plus intéressante d’entre elles fut le refus, voire la peur, de se pencher sur la manière dont les équipes travaillaient au quotidien pour ce qui pouvait n’être qu’une expérimentations sur laquelle on pouvait revenir à tout moment. Lorsque le projet faisait partie d’un choix stratégique fait en haut lieu et mal vendu (voire pas vendu du tout) aux managers de terrain on s’est également heurté à un refus de leur part, ce qui dans les deux cas a amené à chercher d’autres positionnements.
Plutot que de « socialiser » quelque chose de concrêt, de réel, on a donc essayé de mettre en place des projets hors de ce quotidien afin d’amener les collaborateurs à faire évoluer leurs pratiques. On a donc créé des projets « dans les nuages », entendons par là éloignés du quotidien mentionné plus haut (rien à voir avec le cloud computing) afin de créer le terrain de développement de nouvelles pratiques sans affecter le quotidien, en déconnexion totale avec le travail des collaborateurs, leur fiche de poste, leurs évaluations et ce que leur demandait leur manager. Ce qui a donné ceci.
On a donc vu fleurir des commuautés à tire larigot, et tout à été fait pour les faire vivre à grand renfort de community management, fut-ce sous perfusion, elles étaient devenu le projet en lui-même au lieu d’être un moyen. Tout cela a été source de grande confusion. Tout d’abord parce rien ne garantissait l’implication des collaborateurs dans ce qui n’était que la participation à une activité déconnectée de leur travail. En fait lorsque le sujet faisait sens et que la culture managériale permettait l’implication il y avait des chances de succès. Sinon c’était l’échec assuré. Ensuite parce qu’on s’est fourvoyé en faisant de l’activité des dites communautés un indicateur de succès alors que cela ne présage en rien d’un quelconque impact opérationnel.Recycler en termes de business l’activité d’une communauté ne relève pas du hasard mais là encore d’un processus à mettre en place.Enfin parce que créer de la « socialisation » hors des processus créateurs de valeur était certainement le meilleur moyen de montrer que les logiques « sociales » n’étaient qu’un agréable passe-temps (lorsqu’elles réussissaient) mais en aucun cas quelque chose de pertinent en entreprise. Bien sur, puisque ce périmètre d’utilisation empêchait de démontrer une quelconque valeur.
Je terminerai avec le clou du spectacle : lorsqu’on a essayé de faire fonctionner les équipes impliquées dans les processus figurant en bas du schéma selon les principes du nuage qui le surplombe. En applicant des logiques de « community management » là où le « management socio-collaboratif » aurait du prévaloir, on a inquiété le dit management en monopolisant ses équipes pour des activités ne contribuant en rien au but qui est le leur et en mettant un community manager dans les pattes du vrai manager.
Heureusement beaucoup ont tiré les conclusions qui s’imposaient :
– les activités « dans les nuages » ont du sens pour certains sujets à condition de prendre en compte le fait qu’il faille savoir réintégrer le fruit de leur production dans l’activité de l’entreprise et que la participation restera optionnelle pour ses membres.
– le vrai axe de gain opérationnel se situe sur la partie basse du schéma à condition de mettre en place une routine sociale et d’oublier ici le community management au profit du management socio-collaboratif.
– il faut enfin mettre en place des ponts entre les deux : les activités structurées peuvent avoir besoin de solliciter une communauté pour innover, trouver des réponses introuvables dans leur propre périmètre… De la même manière lorsque quelque chose de pertinent apparait dans une communauté il faut savoir le faire redescendre dans les process pour en tirer parti.
Ce qui nous donne cela :
On y retrouve la complémentarité entre community et management socio-collaboratif en fonction des objectifs poursuivis, le besoin de mettre en place une routine sociale pour les activités quotidiennes et d’assurer la transmission des informations entre les deux mondes (séparés leur mode de fonctionnement et leur nature, ce qui n’empêche pas qu’une personne fasse partie des deux, suivant ce dans quoi elle s’implique).
Concrêtement :
Je suis un salarié, je fais mon travail comme avant sauf que je partage des informations factuelles sur mon activité, les problèmes rencontrés et comment ils ont été résolus. Lorsque je rencontre un problème je vois quelqu’un l’a déjà résolu, si non je demande et on le résoud éventuellement ensemble. Une fois ceci fait, j’applique la solution et partage si nécessaire mon feedback. Ce sont des activités qui ont déjà lieu mais qui manquent d’efficacité faute d’outils adéquats. Rien d’engageant de ma part : on reste dans le factuel et le « business as usual ». Il peut arriver que mon équipe ait besoin de l’avis de clients, de personnes hors de l’équipe etc… dans ce cas on s’adresse aux communautés. Je renseigne donc de manière légère au quotidien et m’ouvre aux autres dès lors que je rencontre un problème, qu’une information me manque, qu’il y a un risque pour que seul je n’arrive pas à exécuter une tche ou à le faire dans un délais raisonnable.
Je suis salarié, je peux avoir envie de participer à une communauté sur l’innovation ou tout autre sujet, quand j’ai le temps, si j’ai envie et dans la mesure où cela ne s’oppose pas à mon travail quotidien.
En tant que client je peux faire partie de communautés produit, support…avec les mêmes limites. Sur le net je peux devenir « fan » d’un produit, rejoindre plateformes de crowdsourcing comme IdeaStorm ou Innocentive. Je sais que les entreprises concernées récupèrent mes idées pour alimenter le travail des équipes internes. Je suis même parfois récompensé lorsqu’ils tirent profit de ma participation.
Les deux « mondes » nécessitent ils des outils différents ? Une nouvelle génération d’outil va t-elle apparaitre ? On en parlera dans de prochains billets mais en attendant je vous conseille ce brillant billet de Hutch Carpenter. Comme lui je suis persuadé que pour créer efficacement de la valeur, toutes ces activités « sociales » ne doivent pas être des activités en tant que telles (et souvent surnuméraires) mais doivent prendre place « on the flow » (ce qui est le fondement de la routine sociale). Il y a quelques temps Hutch nous rappelait que le Gartner avait créé une nouvelle catégorie de social software , nommée « Activity-Specific Social Applications » et ainsi définie :
As social software implementations mature, application patterns are evolving, and the software industry is responding with activity-centric social application offerings rather than with generic social software capability suites. Delivering a targeted social solution with a general purpose social tool (such as wikis and blogs) can involve significant development, configuration, and templating effort.”
S’il y a de la valeur à créer partout, je pense que cette forme de proposition de valeur est la plus claire pour les entreprises.
Tout cela nous amène, l’air de rien, à assister à une nouvelle définition de l’entreprise 2.0 pour ceux que ce petit challenge permanent intéresse.
L’entreprise 2.0 est un ensemble d’outils et pratiques destinées à augmenter le périmètre du capital humain et informationnel accessible et utilisable afin d’exécuter les process et workflows quotidiens et délivrer les résultats attendus dans les délais impartis. Elle ne se construit pas hors ou à la place des process business mais autour d’eux.
Maintenant tout cela ouvre la voie à une série de « hows to » tirant parti de ce schéma d’ensemble. A venir dans de prochaines notes car je crois avoir été assez long comme ceci…