Partons du principe que l’entreprise 2.0 arrive, par le biais de logiques mêlant community management et management socio-collaboratif, a rendre l’information et les individus plus accessibles et identifiables dans le but d’accélérer et faciliter l’exécution au quotidien, résoudre des problèmes et collecter les idées qui permettront de construire les produits et les modes opératoires de demain. Même si cela semble séduisant, y a une faiblesse dans le raisonnement.
Toutes ces dynamiques, ces informations ne génèrent aucune valeur en soi. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles mêmes si la valeur de ces procédés est intuitivement admise, il reste un brin de logique dans l’esprit des décideurs qui fait qu’ils peinent à voir la valeur tangible derrière.
Toutes ces choses, ce capital informel, humain, organisationnel etc… ne créent en fait qu’un potentiel. Un immense potentiel, soit, mais uniquement un potentiel. On en revient à ce que je disais par rapport aux cartes de stratégie. Tout cela ne sert que si réutilisé dans le cadre du business structuré et formalisé. Pour cela, il y a plusieurs moyens.
La routine sociale : qui incorpore la réutilisation des données générées par les utilisateurs dans le workflow quotidien.
La décision : qui fait que quelque chose de nouveau sera utilisé ou commencé.
C’est ce second point qui nous intéresse aujourd’hui.
Le niveau de décision change selon l’entreprise, sa culture et le niveau d’autonomie accordé aux utilisateurs. Parfois on peut de soi même utiliser une nouvelle solution suggérée par un collègue, parfois il faut l’imprimatur du chef. Et tout dépend, bien sur, de l’ampleur de la modification que celà fait subir à la règle, à la l’importance de l’écart.
Et pour la mise en œuvre ? Une « discussion » peut avoir lieu et tout le monde peut tomber d’accord sur le fait qu’il faille faire telle ou telle chose. Améliorer un produit, en lancer un nouveau, changer la manière dont on travaille. Y compris des personnes au plus haut niveau de l’entreprise. Mais si la personne que l’organisation rend responsable du fait de donner le « go », condition sine qua non au changement, ne réagit pas, rien ne se passe. Cela peut être du à plusieurs raisons :
– la personne n’est pas présente sur la discussion.
– la personne n’est pas membre de la plateforme ou du groupe. Arrive souvent lorsqu’on a voulu mettre les initiatives social-media en zone de confinement sanitaire pour être certains qu’elles ne troublent pas l’existant.
– la personne n’a que faire de cela. Arrive lorsqu’on a pas pensé à aligner les process et qu’elle ne comprend pas qu’elle doit désormais prendre cela en compte.
– la personne pense que le consensus suffit et que tout va s’enchainer seul. Arrive lorsque l’entreprise surestime l’autonomie qu’elle laisse aux collaborateurs par rapport à ce que eux ressentent.
Or l’entreprise n’agit pas sans décision. Là encore une différence avec le web, qui repose essentiellement sur la responsabilité que porte la chaine hiéarchique : discuter n’est pas décider, et arriver à un consensus quasi unanime n’est pas décider non plus dès lors que la personne qui doit décider ne décide pas ou ne sait pas qu’elle a une décision à prendre et à faire connaitre.
Il ne faudrait pas croire que tout se passe de manière quasi-automatique sans avoir à s’en préoccuper. Si l’entreprise n’est pas prête à intégrer ces nouvelles pratiques dans le quotidien (et n’a donc pas été plus loin que la stricte « adoption »), on continuera à dire « c’est bonne idée, partage la », « tu poses une bonne question, poses la dans l’outil » etc…on continuera à partager et utiliser des outils…et rien n’arrivera.
Cette dimension me semble largement sous-adressée dans le paradigme actuel de l’entreprise 2.0. Et ce à deux niveaux :
– au niveau des pratiques qui sont orientées le plus souvent vers la stimulation des échanges se se poser la question de la déperdition possible entre les intentions qui s’accumulent et l’exécution qui ne suit pas. On ne se préoccupe pas assez de savoir comment cette masse de conversations et d’information va pouvoir être transformée en valeur, ce qui impose une connexion entre les deux sphères dont la décision est une composante importante.
– au niveau des outils qui négligent souvent la possibilité d’un « call to action », de l’assignation et du suivi d’une tche dans le flux de la discussion afin de faire le lien entre l’échange informel et l’exécution formelle. A ce propos il n’est pas inutile de noter que certains outils sociaux intègrent cette dimension : ce sont ceux qui conçoivent dès le départ le social non comme une activité à part entière mais comme l’enrichissement d’un workflow, d’un process, et ont donc intégré les contraintes liées à l’exécution d’un process dans leur conception. Le plus souvent ce sont ceux orientés innovation et de manière plus générale ceux que Hutch Carpenter nomme « social software 2.0 », et qui selon moi devraient rentrer dans la catégorie « Activity-Specific Social Applications » récemment introduite par le Gartner. On le trouvera également logiquement dans les applications métier traditionnelles qui intégreront tous à terme une dimension sociale car, battant le rythme du process, ils incluent les étapes de prise de décision en leur sein. On pense bien sur à Salesforce qui vient d’annoncer Chatter, mais ça n’est à mon avis qu’un début.
Pour ceux qui se poseraient encore la question du bien fondé de la question, il apparait qu’Intellipedia, la tant applaudie plateforme interne de la CIA connaisse actuellement des moments difficiles (crise d’adolescence…) parce que cette dimension avait été justement méconnue.
De là à dire que la valeur de la conversation n’a pour limite que la capacité de décision…