Suite de ma réflexion sur le sujet entreprise 2.0 et ERP. Il est évident que tout ne doit pas être mis en process et confié à des outils qui les exécuteraient aveuglement…pas plus qu’il ne faut tout laisser entre les mains des collaborateurs. Il y a un milieu à trouver. « Milieu » n’est pas approprié d’ailleurs car cela relèverait d’un compromis qui ne satisferait personne et, surtout, risque de poser des problèmes nouveaux sans apporter aucune solution aux anciens.
Risquons nous, pour commencer, à un comparatif juridique.
Nos amis les juristes connaissent la hiérarchie des lois. C’est une notion qui veut tout simplement dire qu’il existe différentes formes de normes, édictées par différents acteurs, avec une certaine autonomie pour peu que chacune respecte celle qui lui est immédiatement supérieure.
Et bien c’est un peu pareil dans l’entreprise qui a :
– sa constitution : tout ce a quoi elle ne peut déroger et touche au respect de la légalité, à la sécurité (juridique, humaine, matérielle)
– ses lois et leurs décrets : tout ce qui prescrit la manière dont les choses doivent se passer (loi) et en énumère précisément les modalités d’application (décrêts d’application). On retrouve bien là la rigidité des processus.
– ses réglementations locales : au sein d’un service, d’une équipe, le manager peut organiser le fonctionnement de son équipe à sa guise pour peu qu’il n’enfreigne pas les points du dessus.
– La liberté individuelle : chaque collaborateur est autonome dans la limite de ce qui est au dessus.
Ajoutons qu’on peut même pousser le bouchon plus loin :
– la coutume : tout ce qu’on fait d’une certaine manière par la force de l’habitude sans pour autant que ça soit imposé. Cela vient pour partie de la culture d’entreprise, pour partie de la transmission des savoirs et du mimétisme.
– la jurisprudence : la manière dont on interprête les normes de l’entreprise lorsqu’elles sont nébuleuses et qui fonctionne jusqu’au jour où un nouveau processus ou une nouvelle règle de fonctionnement est édité qui la rend inutile ou la contredit.
Dans l’entreprise comme dans la légalité, chacun de ces éléments est édicté et appliqué par des autorités spécifiques et est d’application plus ou moins large, n’est pas sanctionné de la même manière.
Là où l’Etat, qui peut nous sembler un peu poussiéreux par moment, a un coup d’avance c’est qu’il a compris qu’on ne réglait pas tout par la constitution et la loi. Vous me direz que cela dépend du pouvoir en place…effectivement, de la même manière que l’arrivée de pratiques nouvelles dans l’entreprise dépend aussi beaucoup parfois de l’idée que ses dirigeants ont de la manière de régler la vie en société.
L’entreprise, elle, a longtemps cru que le deux premiers niveaux suffisaient et, plutôt que de laisser le principe de subsidiarité fonctionner, a essayé de tout faire rentrer dans des systèmes lourds et rigides, d’où les dérives rencontrées sur certains projets dits structurants et les limites en termes d’agilité rencontrées aujourd’hui.
Les lignes précédentes peuvent sembler d’une grande banalité. Par contre si constater que tout ne rentre pas dans des cases est une chose, en tirer les conséquences en est une autre. Il est facile de parler de lcher prise et d’abandon du contrôle, mais le mettre en pratique dans le cadre d’une entreprise est une autre affaire.
Inutile d’être devin pour savoir que tout ne peut être laissé à la sagesse des foules. Qu’il y a des choses auxquelles on ne peut déroger, celles qui se font « comme ça et pas autrement » pour des raisons de qualité ou de sécurité. Pour les autres il peut y avoir ce qu’on appelle l’entreprise 2.0.
Facile à dire, difficile à mettre en place surtout que ceux qui se posent le plus la question sont ceux qui ont plus de mal d’abandonner l’idée de l’ultra-normalisation et que l’idée d’autonomie rebute le plus. A ce propos remarquons que l’autonomie peut également inquiéter le salarié.
Bref le « y’a qu’à , vous avez qu’à … » ne prend pas, d’autant plus que les conseilleurs sont rarement les payeurs.
Vous allez me trouver irrémédiablement dépassé et old school mais dans une organisation, l’autonomie est conséquence de la subsidiarité, et la subsidiarité s’organise. Le détenteur de l’autorité doit non seulement être convaincu mais également rassuré, comprendre ce que cet abandon signifie, implique, peut entrainer et ne doit pas entrainer. Le collaborateur saisira rarement l’autonomie qu’on lui donne s’il ne comprend pas quelles sont ses limites, à quoi elle s’applique et à quoi elle ne s’applique pas.
L’occasion d’une réflexion sur les périmètres des activités de chacun, de se demander ce que chacun peut faire ou non dans tel ou tel contexte, sur le moment ou le manager reprend la main. Cela permet d’avoir des règles claires qui rassurent les uns et les autres (en haut, en bas comme au niveau du middle management), protègent l’entreprise tout en évitant que les bonnes initiatives ne soient découragées par excès de précaution (les dits excès étant du au manque de clarté sur ce qui est possible ou non…). En plus une telle réflexion devrait permettre de prendre en compte la culture d’entreprise.
Alors bien sur on peut trouver la logique quelque peu lourde. Mais c’est pertinent pour les organisations qui ne peuvent, aujourd’hui, alléger leurs contraintes intuitivement et ont besoin d’aborder la question de manière rationnelle pour, en quelque sorte, organiser le lacher prise. Celles qui peuvent s’en passer sont d’ailleurs déjà passées à l’acte mais peuvent tout de même se poser la question pour optimiser leur démarche. C’est d’ailleurs un point que j’ai noté avec intérêt dans le rapport de Cécile Demailly : un des points clé du coté des utilisateurs (enfin un rapport qui pense à eux) est de savoir ce qu’on attend d’eux. En d’autres termes : que dois-je faire, quels outputs, jusqu’ou puis-je aller sans risquer d’en faire trop, de mal faire ou d’outrepasser mes droits ?
De toute manière, même la démocratie obéit à des règles…
NB : ce n’est qu’un parallèle imagé : dans un cas on est dans un système de hiérarchie et de conformité, dans l’autre davantage dans une relation d’interpénétration quand bien même une dose de hiérarchie se doit d’exister. Mais globalement l’idée est là …