Nombre de projets en cours dans les entreprises reposent sur des croyances et des besoins connus : un meilleur partage et une meilleure circulation de l’information sont essentielles pour la performance de l’entreprise, les individus partagent beaucoup sur le web, il reste donc à leur donner les moyens de faire au travail comme dans la vie.
L’expérience montre que ça n’est pas si aisé. La vie privée est une chose, l’entreprise en est une autre. Ca n’est pas parce qu’on adopte certains comportements dans un cas qu’on les réplique naturellement dans l’autre. D’autant plus qu’on se rend vite compte qu’au bout du compte moins de 10% des utilisateurs sont de vrais créateurs de contenus sur le web, les autres se bornant à relayer ou utiliser leur production. 10% à l’échelle du web c’est une masse critique suffisante, à l’échelle de l’entreprise cela peut finalement faire peu ce qui nécessite de travailler sur des approches spécifiques au monde du travail.
Quoi qu’il en soit certaines entreprises, de plus en plus en plus nombreuses, y parviennent avec succès. Mais on peut d’ores et déjà se demander combien de temps cela va durer.Le web étant moins inerte que l’entreprise, on considère souvent qu’on y voit avec quelques années d’avance ce qui va se passer dans le monde professionnel. Il y a quelques temps Dennis Howlett, une des figures de proue de la blogosphère nord américaine spécialisée, a décidé de ne plus tout livrer gratuitement à ses lecteurs. Peu de temps après, Taylor Ellwood rappelait l’adage suivant « informez gratuitement, faites payer le savoir faire » (“Inform for free, how to for a fee.”). Dans ce dernier cas cela s’appliquait à des 1/2h de consultation gratuites qu’il donnait par le passé. Mais comme beaucoup de blogueurs « experts » l’ont remarqué à cette occasion, certains courriers souvent reçus par le biais de nos formulaires de contact ne sont ni plus ni moins que des demandes de missions gratuites, souvent considérées comme un du par leur auteur. « Vu que vous bloguez gratuitement, vous pouvez répondre à mes questions gratuitement non ? ». Un éminent blogueur français me disait l’an dernier ; « tu vas voir qu’un jour tout cela s’arrêtera et que tous ceux qui font le boulot pour les autres vont finir par se rassembler et fermer les portes. Après tout on leur demande des produits gratuits nous ? Non. Alors… ».
Peut être s’agit il d’un épiphénomène et dans ce cas l’affaire est close. Mais qu’en serait il dans le cas contraire ? Et, surtout, quelles leçons en tirer pour le monde de l’entreprise ? Une chose est sure car elle est aussi vieille que le monde est monde : la passion et l’envie servent à lancer les choses…par contre les choses durent par la raison.
Il s’agit d’un problème de valorisation du temps passé par celui qui partage son information, ses réflexions. Ayant l’impression de ne pas être « payé » en retour de son travail, le blogueur diminue son investissement pour le repositionner dans sa zone de « gratuité acceptable » et peut soit s’en tenir là , soit proposer d’en faire plus, au cas par cas, moyennant contrepartie.
Peut on transposer la tendance dans l’entreprise ?
D’un coté on peut tenir le raisonnement suivant : ceux qui vont contribuer davantage, se mettre au service des autres, les aider à réussir, aller au delà de leur stricte fiche de poste risquent de baisser le pied si au fil du temps leurs efforts ne sont pas reconnus et valorisés. Ils apprennent et cela contribue à les rendre meilleurs dans leur travail, ils peuvent également avoir la satisfaction de rendre les autres meilleurs, de contribuer à quelque chose d’un peu plus grand que leur travail quotidien. Mais ils peuvent également avoir la frustration de beaucoup donner sans recevoir, sans un merci, de voir les autres tirer parti de leur effort sans contrepartie. Remerciements et félicitations sont le strict nécessaire pour que cette dynamique perdure au moins à moyen terme. Mais au delà ? Y-a-t’il un point où l’équilibre va se rompre et où le collaborateur se mettra en retrait ? Les DRH vont elles devoir repenser les systèmes de primes ? La fiche de poste ? Les critères d’évaluation ?
D’un autre coté, justement parce que l’entreprise n’est pas le web, on peut se dire que c’est désormais un comportement logique et attendu et qu’il n’y a pas de raison d’en faire plus alors qu’ils ne font que le travail pour lequel ils sont payés. N’oublions pas, en effet, de prendre en compte le fait que dans les cas que je citais en ouverture de ce billet, il s’agissait de personnes dont le blog était un à coté de leur activité professionnelle. Il en aurait été autrement s’ils avaient été payé pour cela.
Pas de réponse donc, mais un sujet qui risque de devenir d’actualité au fur et à mesure que ces pratiques se généralisent dans l’entreprise. Peut être l’occasion pour les DRH qui auraient raté de train de revenir dans le projet lui donner une seconde vie ?