Les temps changent. Après avoir passé des années à évoquer le « quoi » et le « pourquoi », le petit monde de l’entreprise 2.0 s’intéresse désormais beaucoup au « comment », ce qui est plutôt une bonne chose. On parle donc beaucoup des « stratégies d’adoption », un terme avec lequel je ne suis pas spécialement à l’aise, mais que nous allons garder ici faute de mieux.
L’enjeu est à la fois simple et complexe. Il s’agit d’intégrer de nouvelles manières de collaborer au quotidien, de les positionner et les articuler par rapport à l’existant, tout en prenant en considération la dimension « outils » qui va avec. On sait en général d’où on part (quoique faire un état de lieux permet d’éviter les biais dus à la fausse représentation qu’on peut avoir de la manière dont sa propre entreprise fonctionne), avec une bonne méthodologie et des personnes avisées on peut sans trop de problème déterminer où l’on va. Reste donc le chemin qui n’est pas la plus mince affaire de l’histoire.
On peut être tenté d’amener directement le collaborateur du point A au point B en lui « vendant » la démarche dans un joli paquet cadeau. On a la preuve que cela ne fonctionne que rarement et on fustige donc son attitude défensive face au changement. C’est, à mon avis, un raccourcis trop facile car il part du principe qu’on passe d’une situation A à une situation B comme en basculant un interrupteur alors qu’il s’agit d’un chemin à parcourir, un chemin sur lequel nous ne sommes pas tous égaux.
Lorsque nous parlons de point de départ nous ne parlons pas seulement des pratiques en entreprise où, même là , l’uniformité est loin d’être acquise mais où un certain nivellement (parfois par le bas) existe, mais également de pratiques personnelles. Et ce d’autant plus qu’une partie de la problématique est liée aux médias sociaux dont on dit que tout le monde les utilise dans sa vie privée et dont on sait, par contre, qu’ils sont le premier exemple notable d’arrivée dans l’entreprise d’outils issus du monde grand public.
On sait bien que ça n’est pas parce que quelqu’un utilise tel outil de telle manière pour son usage personnel qu’il en fera de même si le même outil était mis à disposition sur son poste de travail. Mais on sait également que le collaborateur ne développera pas dans l’entreprise des pratiques qu’il n’a pas dans sa vie privée (sur ce point en tout cas). Il importe doncde savoir où il en est sur ce point afin d’aller plus avant. Utilisent ils telle ou telle plateforme ? Quel est leur niveau d’activité ? Tout cela compte même si au final on sait qu’il faudra travailler à professionnaliser ces pratiques. Une situation à appréhender d’ailleurs au niveau collectif car c’est d’usages communs que nous parlons. Si 2% de l’entreprise est utilisatrice assidue et que 98% n’a jamais voulu ouvrir de compte Facebook, quand bien même les 2% seraient une opportunité, les 98% sont bel et bien le facteur limitant. Encourager les uns ne sera d’aucune utilisé si on ne fait pas progresser les autres.
Pour faire progresser cette seconde population on peut attendre que les autres les entrainent. Cela risque de prendre du temps, les leaders risquent de vite s’essouffler. C’est donc une bonne piste mais il importe de faciliter un peu les choses. Et pour aider le collaborateur il faut aller plus loin que sa seule connaissance des outils et sa maitrise de comportements nouveaux : il faut penser à son confort !
On raisonne souvent en termes de savoir faire, vouloir faire, pouvoir faire et on travaille sur ces axes. Mais on oublie souvent la relation invisible qui lie et conditionne ces trois axes : le confort. Notion vague et très personnelle mais qui dit bien ce qu’elle veut dire : on parle du ressenti d’un individu face à une situation donnée. S’il se sent dans sa « zone de confort », là où il est bien, n’a pas peur de ce qui va lui arriver, n’a pas peut du faux pas, comprend la manière dont les choses fonctionnent et intéragissent les unes sur les autres, où il sait que faire, quand le faire et comment le faire, où il anticipe les effets des actions des autres, alors tout ira bien. Attention : je parle de confort et non pas de domination ou de maitrise : on peut être « confortable » dans une situation maitrisée et dominée par d’autres : c’est une question de confiance.
Que savoir sur la zone de confort ?
– elle est déterminée à la fois par la confiance en soi – dans les autres – dans les outils utilisés et sa capacité à les maitriser
– un individu ne s’engage que lorsqu’il est dans sa zone de confort et se désengage si on le pousse à en sortir
– on agrandit son périmètre par petit pas en amenant quelqu’un à la limite de sa zone, en lui demandant de faire un pas de plus et en analysant la situation avec lui. S’il est à l’aise on peut aller encore un pas plus loin et ainsi de suite au fur et à mesure qu’il s’enhardit. S’il ne se sent pas bien on travaille sur les dimensions de la confiance. Bien sur le fait de voir les autres avancer aide à avancer soi-même, parce qu’on est rassuré ou pour ne pas être celui qui reste en retrait.
– la capacité à faire des petits pas est largement conditionnée par le sens et l’alignement.
Bien sur c’est une démarche complexe et longue qui demande beaucoup d’investissement humain. Mais elle est indispensable. On ne manage pas le changement uniquement avec de la communication, du « buzz », et des exhortations. En attendant gardons aussi en tête que les axes de travail relativement rationnels que nous avons identifié sont transparents pour le collaborateur qui lui réagit inconsciemment en termes de confort (qui en passant ne se résume pas à la sécurité).
Une dernière chose pour finir : si l’ampleur, la consistance et la « profondeur » des usages dépend de quelques leaders, la rapidité de propagation et la capacité de l’entreprise à aller au bout de son projet sans s’essouffler avant d’avoir atteint son but dépend de la zone de confort collective qui peut se définir comme le plus petit dénominateur commun entre l’ensemble des collaborateurs concernés (ou au moins la grande majorité d’entre eux). Heureusement qu’avec un peu de travail on peut faire évoluer ce plus petit dénominateur…