Je vous ai promis il y a quelques temps d’illustrer mon billet sur le community management et les processus d’un petit cas fictif mais crédible. Et bien nous y voici.
Pierre et Paul sont community managers (ou en tout cas en charge de se débrouiller sur les médias sociaux pour leur compte de leur employeur). Tous les deux travaillent pour une compagnie aérienne (sujet à la mode il y a peu). Pierre chez AirShy et Paul chez AirSocial.
AirShy a bien conscience qu’il faut faire des choses sur Twitter, Facebook et tous ces médias mais n’est pas trop à l’aise avec ça. Il faut dire qu’ici on a l’habitude du contrôle et des choses bien maitrisées. Chez AirSocial par contre on se dit que si on ne plonge pas dans la piscine on ne risque pas d’apprendre à nager.
AirShy décide d’occuper le terrain. Ils demandent à quelqu’un que le sujet intéresse de s’occuper de tout ça. Sans plus. C’est Pierre qui hérite de cette tche. Il est rattaché à la dircom’ mais finalement il aurait pu dépendre de n’importe quelle direction qui aurait voulu prendre le sujet en main.
Chez AirSocial on se demande à quoi tout cela peut servir. Et la réponse est dans la question. Servir. Alors on pousse le raisonnement plus loin : servir comment ? Donner des informations à tous. Mais également aux individus qui auront des demandes individuelles. Cela signifie donc qu’il faut engager des discussions…à quel sujet, sur quel ton, jusqu’où aller ? Et de quoi ne pas parler ? Des sujets confidentiels bien sur ! Mais aussi de ce que les internautes n’ont pas envie de voir sur un tel canal. Ici aussi c’est la dircom’ qui a pris le sujet en main mais elle se rend bien vite qu’elle a entre les mains un tuyau qui peut servir à tout le monde dans l’entreprise. C’est encore un peu vague tout cela mais peu importe. Démarrons…on apprendra bien par la suite, avec l’expérience. Et on demande à Paul de s’occuper du coté opérationnel de la chose.
A priori l’ami Pierre subit moins d’encadrement et de contraintes que Paul. Il n’y a donc pas de doute qu’il arrive à de meilleurs résultats. Pas si sur…
Paul sait ce qu’on attend de lui, sait quel est l’objectif de son activité et comment elle doit s’exercer. Il piste ce qui se dit sur AirSocial, apporte des réponses quand il le peut, essaye d’être amical, serviable. Il se sort pas du domaine qu’on lui a donné mais au moins sait jusqu’où il peut aller et ne s’en prive pas. Pierre, lui, est dans une situation paradoxalement plus inconfortable. Il a un champ des possibles a priori plus large mais n’ayant pas de limite explicite il a peur de franchir des limites implicites. Il sait que sa parole engage l’entreprise, qu’il contribue à son image en ligne et faute d’objectif et de guideline il préfère ne pas faire plutôt que mal faire.
Alors que Paul se lance dans le jeu des conversations, Pierre se contente d’occuper le terrain sans prendre de risques. C’est de toute manière ce qu’on lui demande. L’un donne des avis, des réponses, valorise ceux qui parlent de l’entreprise, l’autre fait une réplique de la newletter et des promotions du site en 140 caractères. Et ne prend pas l’initiative de répondre aux demandes ou de prendre la parole dans une conversation car il n’a pas les moyens de répondre à tout. Il n’est même certain que cela rentre dans ses attributions
Avec le temps AirSocial se rend compte que Paul a besoin de soutien. Il est donc désormais habilité à « déranger » des gens pour avoir les réponses à ce dont parles les clients. Et d’ailleurs on le met sur twitter et Facebook « à temps plein ». Pierre quant à lui continue à occuper le terrain sans trop s’impliquer. De toute manière il n’a pas le temps, il y a « vrai » job dans l’entreprise et ne veut pas se mettre en danger pour une occupation annexe pas vraiment stratégique. pour l’entreprise.
Pendant ce temps, chez AirSocial on a une idée plus précise de ce qu’on veut arriver à faire. On s’est rendu compte que twitter était un outil de communication, de service mais également de sourcing pour de l’innovation produit/service. On apprend donc aux personnes en charge de ces activités à utiliser les services de Paul dans le cadre de leurs processus. Il devient « un canal de plus » au service de leur efficacité et ils réfléchissent à comment travailler ensemble, à créer des synergies. Il a des objectifs, des modes opératoires qui s’affinent, cela donne du sens à son travail ainsi qu’un cadre qui le rassure (il sait ce qu’il doit faire, comment le faire…et ce qu’il ne doit pas faire) tout autant qu’il rassure l’entreprise qui sait que Paul ne fera pas n’importe quoi. Il travaille ainsi en bonne intelligence avec le marketing, l’innovation, le service client… il a des objectifs, des indicateurs et démontre chaque jour sa contribution à la performance opérationnelle de plusieurs fonctions de l’entreprise.
Chez AirShy Pierre poursuit son bonhomme de chemin. Il ne fait rien d’étincelant, ne commet pas d’erreur…bref il est assez « neutre » à tel point qu’on le laisse tranquile et le projet « social media » de l’entreprise ronronne sans passer à la vitesse supérieure. Il ne sert ni ne dessert d’entreprise donc pourquoi remettre en cause un fonctionnement qui évite…les remises en causes.
AirSocial a également peur d’une chose : avec les pics d’activité liés aux vacances et le succès du travail de Paul le risque de se trouver débordé est important. On forme donc des gens pour seconder Paul en cas de besoin. De toute manière dans un monde où on n’empechera jamais les clients de s’exprimer et où le collaborateur est confronté à ces prises de parole, que ce soit son travail ou non, autant s’assurer qu’un maximum de personnes maitrisent les fondamentaux. Cela passe également par une sensibilisation de la ligne managériale afin qu’elle s’approprie ces nouvelles opportunités.
Et un jour un volcan entre en éruption au milieu de l’Atlantique.
Chez AirShy c’est « business as usual ». Les outils du web social n’étant intégré dans aucun processus personne ne songe à le mettre à profit dans le cadre de la gestion de cette crise. De toute manière c’est trop tard : un tel dispositif se conçoit en amont et l’improvisation n’y a pas sa place donc autant s’abstenir même si certains ont des fourmilles dans les jambes. A la limite, face à une situation aussi critique, personne ne pense que ces gadgets de jeunes peuvent servir à quoi que soit faute de sensibilisation et de réflexion amont, faute d’approche business/processus, faute de logique d’exécution prenant en compte ces nouveaux outils.
Chez AirSocial pas de surprise : tout a été pensé donc on sait comment utiliser ces outils pour communiquer, gérer les cas individuels et décharger le call center. La task force est prête, les processus établis, il n’y a plus qu’à s’y mettre. Vu de loin on se dit qu’ils sont culottés, qu’ils prennent des risques en utilisant ces canaux et ces modes opératoires a priori destructurés pour gérer quelque chose d’aussi critique. Vu de l’interne le mode opératoire est on ne peut plus clair et structuré, pas d’improvisation ici, seulement de la réactivité.
La crise s’éternise. AirSocial affine son processus, écoute les suggestions de ces clients, améliore son service. Le temps semble long chez AirShy qui commence à être montré du doigt pour son manque de proactivité:/réactivité comparé à la concurrence. Le pauvre Pierre est de plus interpelé par la foule des internautes lui demandant des choses qu’il ne peut faire, des questions auxquelles il ne peut répondre, aucun processus d' »enablement » n’ayant été mis en place pour le soutenir. En plus cela ne fait pas partie de ses objectifs. Jusqu’au jour où tout change sous l’impact de deux éléments :
– il faut améliorer la bande passante du customer care
– l’image de AirShy patit de son absence sur ces médias alors même que le service client délivré par les canaux classiques est au moins au même niveau que ces concurrents.
Alors AirShy se met à faire comme AirSocial. Sous les applaudissements des internautes et de ses « fans » qui sont fiers de voir leur compagnie préférée suivre les pas des meilleurs. Une attitude objectivement risquée dans la mesure où elle n’avait pas été prévue en amont mais par chance (et sans doute à cause du talent et des compétences de Pierre) tout se passe bien.
Un jour le volcan finit par se calmer et les choses reprirent peu à peu leur cours normal.
AirSocial reçoit un satisfecit unanime de la part des observateurs, des clients, de la profession. Ils ont, de plus, validé la justesse de leur stratégie et ont déjà identifié des axes d’amélioration pour l’avenir. Bilan en demi teinte chez AirShy : démarrage poussif mais sortie sous les applaudissements en raison des progrès effectués. Mais ce qui était un plan d’action « normal » chez l’un était « exceptionnel » chez l’autre. Conséquence : au lieu de surfer sur cette dynamique et cet engouement autour de la marque en ligne, AirShy démantèle le dispositif et Pierre retourne faire vivoter son compte twitter à coup de promotions d’été. Petite déception des fans et des observateurs qui se disent qu’on était pas loin du « tipping point », que ça sera pour la prochaine fois. Pierre l’espère aussi car cette expérience lui a donné de quoi construire un vrai projet, il a des idées pour faire évoluer son poste, pour prendre les choses en main…pour peu qu’on arrête de penser que ces nouveaux médias ne sont qu’un gadget déconnecté de la réalité opérationnelle de l’entreprise.
Nous terminerons cette petite histoire avec une pensée pour Josiane et Henri. Henri c’est le directeur marketing d’AirShy, toujours en quête de nouveaux talents. Josiane c’est la directrice du recrutement qui doit les lui fournir. Les talents en question ont suivi avec attention tout cela et la manière dont les « experts » l’ont commenté sur le net. Devinez à qui ils envoient leurs CVs ? Une marque employeur se construit également en montrant son excellence opérationnelle au grand jour lors de tels événements mais également au quotidien. Josiane et Henri en font l’amère expérience…mais ça c’est une autre histoire…