Le partage d’information : besoin visceral ou bonne pratique involontaire ?

Suite de mes discussions Milanaises avec Mark Masterson. A force de digresser sur les Y nous en sommes venus à  aborder la question de la prétendue sociabilité du collaborateur. L’idée était de sortir du lieu commun idéaliste et idéalisant selon lequel « tout le monde veut partager, tout le monde veut s’ouvrir, se connecter et ceux qui ne vont pas dans ce sens sont des vilains » pour essayer d’objectiver la chose dans un contexte d’entreprise.

Première réponse facile : « ça dépend ». On le voit bien, du surpartage d’information des uns au repli sur soi des autres il y a toute une gamme de comportements dont les causes sont certainement liées à  un enchevêtrement de facteurs relativement complexe.

Ensuite : « c’est (comme d’habitude) une affaire de culture ». C’est désormais un fait acquis que dans certains pays on fait une séparation stricte entre vie privée et vie professionnelle sachant que ce qui est du ressort de l’un n’a pas à  être partagé ni connu dans l’autre.

Enfin : « mais qu’est ce qui nous fait dire que les gens partagent de l’information sur le net après tout » ? Ils partagent des « statuts », des émotions non ? Ils répondent à  leurs contacts, leurs donnent des réponses, des coups de main. Cela signifie-t-il être « social », « serviable » et nous amène-t-il à  conclure que, de manière naturelle, l’individu recherche le contact avec le groupe et désire apporter quelque chose à  ses semblables ? Non.

Si l’on regarde ce qui se passe sur le net, l’acte de diffuser de l’information est davantage du « moi je » que du « je te donne ». « Je suis à  tel endroit (et pas vous) », « j’ai eu telle expérience et je peux en parler », « j’ai quelque chose à  dire (je veux surtout être entendu) ». Finalement le partage semble davantage relever d’un acte d’autopromotion que d’une réelle volonté d’aider, de partager, qui ne sont finalement que des moyens au service d’une stratégie personnelle. Un peu comme les personnes, politiciens par exemple, que l’on voit subitement s’affairer sur le terrain pendant 10 minutes et reprendre de la distance une fois les caméras de la télé parties. Doit on le regretter ? A mon avis non, si la satisfaction des égos contribue au bien commun alors Adam Smith n’avait peut être pas tort. Mais nous devons admettre que c’est davantage du « show off », de l’automopromotion que du partage délibéré.

Pour reprendre l’expression d’un bon ami : c’est de l’égo-altruisme.

Ce qui nous amène à  la question de l’importation de ces comportements dans l’univers de l’entreprise.

On se satisferait largement de comportements similaires dans ce contexte. Peu importe le moteur, finalement c’est le résultat qui compte et, dans la mesure où on trouve naturel de motiver les collaborateurs avec de l’argent, une gratification non monétaire comme la satisfaction de l’égo n’est certainement pas moins acceptable. C’est là  où la Main Invisible cesse de faire son œuvre. La notion de partage d’information volontaire dans le monde de l’entreprise peut être vue sous deux angles :

– je donne pour aider. On est dans une situation d’égo-altruisme pur et cela devrait fonctionner. Mais un problème se pose : donner prend du temps et je ne suis pas maitre de mon temps dans l’entreprise comme je le suis dans ma vie. Comprenez : il y a quelqu’un qui me paie pour travailler et peut considérer qu’aider un collègue, a fortiori s’il n’est pas dans mon équipe est du temps perdu. Et puis se faire remarquer, même pour de nobles raisons peut être mal vu. Autant rester discret.

– je partage pour être aidé. Alors que l’essentiel de notre travail consiste à  trouver des réponses et résoudre des problèmes, une telle attitude est indispensable. D’autant plus qu’elle stimule en partie la production de réponses « égo-altruistes ». Mais dans le monde du travail et dans des cultures qui ne pardonnent pas l’erreur, c’est avouer son incapacité à  réaliser quelque chose. Mieux vaut aller à  l’échec ou trouver seul une solution de fortune que bien faire les choses en partageant son problème.

Ajoutons à  ceci, mais peut être les deux éléments sont ils d’ailleurs liés, la logique personnelle du collaborateur que j’ai expliquée ici et dont la pertinence me semble chaque jour vérifiée d’avantage : le collaborateur pense d’abord à  faire son travail seul, s’il n’y arrive pas il s’expose un peu plus et demande à  son équipe, si cela ne fonctionne pas il va s’adresser à  ses « liens faibles » et, en désespoir de causes, il ira s’adresser à  tous, dans une communauté ouverte à  toute l’entreprise. En conséquence de quoi personne n’échange, ne partage ni ne collabore dès lors qu’on a l’impression de pouvoir y arriver seul ou que le contexte fait que demander aux autres est risqué.

Alors, pas si « social » que ça le collaborateur ? En tout cas moins que l’internaute. La vérité est que le collaborateur est un internaute évoluant dans un domaine rationalisé dans lequel il n’est plus seul juge de ses actes mais soumis au jugement de ses pairs et de ses supérieurs.

Ce qui amène à  la question suivante : que faut il pour que le collaborateur retrouve l’esprit de l’internaute ? Avoir une approche tout aussi rationalisée de son implication certainement.

Quoi qu’il en soit faire reposer toute une stratégie sur le fait que le partage et la volonté de s’inscrire dans des dynamiques collectives font partie de la nature profonde de chacun risque d’amener à  de graves déconvenues. Sens et raison sont des piliers plus efficaces que les bons sentiments.

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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