Un réél progrès ne se perçoit pas seulement, il se mesure.

Résumé : la question du ROI de l’entreprise 2.0 n’a pas fini de faire débat. D’un coté il n’est pas facile de s’attaquer à  la mesure d’un ROI classique, systématique et prévisible, de l’autre se contenter de dire « les gens l’utilisent donc c’est bien » ne suffit pas dès lors que l’entreprise est en droit d’exiger de savoir ce qu’il advient des sommes investies. Au milieu de ce « tout ou rien » manichéen, il doit exister une troisième voie. Si tout n’est pas que bénéfice financier, s’il existe une dimension qualitative il n’en reste pas moins qu’il existe des manières de montrer que des choses se sont améliorées concrètement sans se livrer à  des calculs de ROI cabalistiques. Pour aller plus loin sur l’existant et convaincre les autres il est impératif que le « on voit que » laisse sa place au « nous pouvons prouver que ». Largement possible mais trop rarement fait.

Il vient toujours un moment où l’on doit rendre compte de ce qu’on a fait, ou plus précisément de ce qu’on a fait de choses qui ne nous appartiennent pas et qu’on nous a confié. Comme l’argent et le temps des autres par exemple. Imaginez un « chef de projet entreprise 2.0 » se présentant devant ses supérieurs.

– Alors…comment va notre projet ?

– Très bien monsieur le directeur….

– Dites m’en plus. Tout le monde en parle dans l’entreprise et je suis impatient de faire le point là  dessus. Vu les excellents échos que j’ai pu avoir, je suis content de savoir que je n’ai pas jeté 750 000 euros par les fenêtres. (Je ne sors pas ces chiffres de mon chapeau…ils sont en cohérence avec le rapport du 2.0 adoption Council sur l’état de l’entreprise 2.0 à  fin 2009. 60% des entreprises interrogées admettent investir plus de $500 000 dans leur projet donc je suis même dans la fourchette basse, sans parler des 4% qui investissent plus de 20 millions).

– Et bien nous avons déjà  40 000 membres, des centaines de blogs et de communautés, dont la plupart sont actives. Sans compter des centaines de messages de type « micro blogging » chaque jour. Un vrai succès.

– Fantastique ! Mais concrètement, cela donne quoi ?

– Et bien regardez : ils partagent de l’information, certains posent des questions, d’autres trouvent les réponses. Ils apprennent les uns des autres, solutionnent des problèmes…nous sommes vraiment bien partis.

– Humm…

– Et puis cela recrée du lien dans l’entreprise ! Les gens se lient, se découvrent. Et en plus de ça ils sont fiers de leur entreprise parce qu’on leur met des outils modernes à  disposition. C’est fantastique pour nos jeunes diplômés qui ont l’impression de faire partir d’une entreprise en phase avec son temps.

– Je vois, je vois. Mais bon… 750 000 euros c’est une somme….On a gagné quoi au quotidien…parce que quand même l’objectif au travers de tout cela c’est de rendre le collaborateur plus efficace, et l’entreprise également.

– Les gens sont plus heureux, on innove, on a des idées, on résoud des problèmes….

– Et cela change quoi au quotidien ?

– Heu…je viens de vous le dire…

– Je veux dire…qu’est ce qui vient prouver ce que vous me dites ? Moi aussi je dois rendre des comptes vous savez…

– …

– Comprenez bien, je suis conscient de ce que vous me dites. Et je vous en félicite. Mais donnez moi du tangible. Pas nécessairement des euros mais quelque chose de clair sur des indicateurs qui tiennent la route afin de prouver tout cela…

Cette scène vous semble amusante, voire incongrue ? Il m’est d’avis qu’elle risque d’arriver de plus en plus. La question n’est pas de savoir si on fait « mieux » ou pas, comme le dit notre chef de projet « ça se voit ». Mais il arrive un moment où on veut voir des chiffres. Ne serait-ce que pour piloter, mesurer les écarts, améliorer l’accompagnement, le community management pour faire encore mieux.

La liste des bénéfices potentiels tout le monde la connait. Mais il faut se rendre à  l’évidence : on a beau éplucher les cas, arpenter les conférences, il n’y a que deux options possibles :

– soit il s’agit d’indicateurs business de nature trop confidentiels pour être partagés

– soit on ne mesure absolument rien d’autre que la vitalité de l’outil et on se contente d’observer le reste.

Retournons vers notre chef de projet…

– Mais monsieur le directeur…vous avez vous même reconnu au début du projet que le ROI de ce type de projet est tout de même compliqué…

– Je ne parle pas de ROI sinon j’aurai placé les 750 000 euros sur un livret A ! Je veux simplement savoir ce que ces 750 000 euros ont amélioré ! Et pas du « on voit » ou une mesure avec le doigt mouillé dans le vent !

– Heu…

– Laissez moi vous expliquer quelque chose : si ces 750 000 euros ont changé quelque chose et on doit bien trouver des preuves de cela dans l’entreprise. Si on ne trouve rien c’est qu’il ne se passe rien ! Dites moi que c’est encore faible car il faut du temps pour que tout s’aligne, que l’entreprise tire le meilleur de tout cela, j’en suis conscient, ça ne me pose pas de problème. Mais trouvez moi au moins un petit quelque chose.

– Humm…Les salariés sont heureux.

– Ah ? Comment le savez vous ?

– Ils le disent !

– Vous avez fait un sondage ? Des entretiens ?

-…..

– On innove !

– Combien d’idées notre vieille boite à  idée avait fourni l’an dernier ? Et combien cette année ? Peut être également que suite à  la soumission d’un problème on trouve la solution, on innove plus vite ?

– Certainement monsieur

– Mais alors pourquoi n’essayez vous pas de mesurer ça ? Et sortez moi les chiffres du turnover tant que vous y êtes. Et pour les échanges de pratiques ? On a supprimé des formations nécessitant des déplacements ? On a arrêté d’imprimer des docs papiers jamais à  jour et que personne ne lisait ? On remarque que les nouvelles recrues deviennent autonomes plus vite ? C’est du concret ça, c’est tout de même pas compliqué de mesurer tout ça !

– Oui…je m’y attelle de ce pas !

– Faites vite ! Vous avez peut être trouvé une mine d’or et parce que vous n’êtes pas capable de ramasser une pépite pour me la montrer on va peut être me demander de fermer la mine ! Incapable de me dire ce que 750 000 euros ont changé dans notre quotidien ! Mais c’est incroyable ça !

J’avais déjà  abordé le sujet il y a un bout de temps et IBM vient d’ailleurs de sortir un excellent livre blanc sur le sujet [lien vers le téléchargement direct]. Je suis tout à  fait d’accord avec le fait qu’il y a trois niveaux d’indicateurs :

– activité : est ce que l’outil est utilisé

– alignement : est il utilisé pour servir des buts business identifiés

– business : au final cela produit il un impact réel sur le fonctionnement et la performance de l’entreprise. On ne parle pas ici de ROI mais plutot d’indicateurs simples, de type balanced scorecard (voir les exemples dans le framework à  la fin du livre blanc IBM).

Maintenant si on regarde les choses en face, rares sont les exemples d’entreprises qui poussent la logique jusqu’aux indicateurs de valeur business. Ou en tout cas qui les partagent. Pour avoir beaucoup discuté ces derniers temps de la chose avec des « experts » voici ce qu’il a résulté de nos échanges :

– « les indicateurs c’est comme les parachutes en avion : on veut être surs qu’ils sont là  avant d’embarquer mais on ne veut pas avoir à  s’en servir. » (Reste à  savoir pourquoi)

– « cela implique de mettre la main dans la « tuyauterie » de l’entreprise…et elle n’aime pas ça. »

– « cela implique de mesurer la situation actuelle et les résultats ne feraient pas plaisir à  tout le monde… »

« vu que l’entreprise 2.0 fuit dès qu’on parle d’organisation structurée du travail (process, workflow, simple méthodologie) et que l’actuel de l’entreprise repose essentiellement là  dessus, pas étonnant qu’ils ne trouvent rien à  mesurer. Ca n’est pas en tournant le dos à  l’actuelle structuration de la création de valeur (même si elle doit être challengée) qu’on va améliorer les indicateurs de ce coté là . Attends qu’ils se servent du 2.0 pour améliorer certains process, en challenger d’autres pour les remplacer par des modes de fonctionnement plus adaptés et tu auras du mesurable. »

– « aujourd’hui on a des cas d’entreprises qui perçoivent intuitivement la valeur et sont à  l’aise avec ça. Mais on ira pas convaincre les autres sans preuves tangibles. »

– « ils se font plaisir…même s’il y a du positif coté performance le simple fait que les gens « jouent » avec des médias sociaux suffit à  leur bonheur ».

Qu’il soit bien clair que je ne parle pas ici de ROI dans l’acception traditionnelle du terme : faute de pouvoir mettre la valeur en équation dans un système qui traite par définition l’imprévisible et l’exception il s’agit d’une notion qui ne s’appliquera que difficilement ici ou donnera au mieux des résultats qui ne reflètent pas la réalité quand bien même ils seraient flatteurs. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faut jeter l’argent par les fenêtres sans s’occuper du résultat. Pas de ROi traditionnel ne veut pas dire qu’on ne peut pas observer de la manière la plus objective et quantifiable possible si quelque chose a changé (et dans quel sens).

A titre d’exemple j’ai vu une entreprise adopter un réseau social pour ses collaborateurs chargés du support client. A priori le simple fait de constater qu’ils s’en servent pour partager les problèmes auxquels ils sont confrontés, être plus réactifs face aux clients, mettre en commun leurs expériences pourrait suffire valider le coté positif de l’opération. Mais, suite aux enquêtes qualité traditionnellement pratiqués auprès des clients ayant eu recours au service il s’est avéré que le Net Promoter Score (c’est à  dire leur capacité à  recommander l’entreprise en question en fonction de niveau de satisfaction) avait progressé dans des proportions significatives. Mais peut être cela était il du à  autre chose, donc il fallait une comparaison « toutes choses égales par ailleurs ». Pour cela, dans les premiers mois, elle n’a donné accès au réseau qu’à  la moitié des équipes, laissant l’autre travailler plus traditionnellement avec les circuits d’information classiques. Et bien il s’est là  aussi avéré que les clients servis par les membres du réseau sociétal était plus satisfaits que ceux servis par les autres, de l’ordre de 20%.

Maintenant j’ai une question pour tous ceux qui participent à  de tels projets ou les ont mis en place, voire essaient de faire bouger les choses dans leur entreprise (pseudos acceptés, réponse par le formulaire de contact du blog acceptée si vous désirez préserver votre anonymat sur le sujet).:

– avez vous mis en place des indicateurs de troisième niveau (c’est à  dire business)

– si non qu’est ce qui vous en a dispensé ? Empêché ?

– pensez vous qu’on puisse durablement continuer avec de la valeur perçue sans valider l’impact opérationnel réél ?

– autres réflexions…

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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