Résumé : il y a un chainon manquant dans le discours sur l’entreprise 2.0 qui ne rassure pas les entreprises. On leur demande un effort certain pour générer de l’information, créer des connexions entre collaborateurs, on leur explique les bénéfices évidents qu’elles peuvent en tirer sans expliquer pour autant la mécanique qui assurera la transformation de ce potentiel informel en résultats concrets. L’absence de cet élément dans le discours est d’ailleurs surement une raison pour laquelle il manque beaucoup de matière à la difficile argumentation sur le ROI. Cette transformation, trop souvent gardée sous silence, voire rarement prévue, relèvera certainement de la mise en place de mécanismes organisationnels, managériaux, d’un travail sur les process.
En fait si un chimiste regardait une entreprise au travers du principe attribué à Lavoisier, il se dirait qu’il est impossible de sortir quoi que ce soit d’un tel système :
Rien ne se perd : faux, l’entreprise perd tout. Elle perd ses savoirs non capitalisés au fil des départs en retraite ou des démissions. Qu’il s’agisse de la NASA ou de Boeing, certains ont l’ont déjà appris dans la douleur, mais tout le monde n’a pas encore commencé à préparer le futur. Pire encore, elle n’arrive même pas à retrouver ce qui est encore entre ses murs. « Si HP savait ce qu’HP sait on serait trois fois plus productifs » disait un PGD d’Hewlett-Packard… et bien le problème reste d’actualité.
– Rien ne se crée : c’est la différence entre l’entreprise et la chimie : l’entreprise crée, innove et crée des choses nouvelles. Voilà pour la théorie. Dans la pratique elle ne crée pas, ou plus exactement pas assez. Pas assez d’innovation, pas assez solutions à des problèmes nouveaux (ou pas assez vite) : on peine à trouver de quoi résoudre les problèmes…sans parler de la capacité de mise en œuvre et d’initiative.
Tout se transforme : effectivement…à condition qu’on le veuille. Non seulement une réaction ne se passe pas par hasard, en tout cas pas dans l’entreprise qui a consciencieusement construit des silos de manière à ce que les éléments ne se mélangent pas et qui, qu’on le veuille ou non, doit garder toute réaction sous contrôle ou en tout cas en estimer la dangerosité potentielle en cas de perte de contrôle pour savoir, justement quel degré de contrôle lui appliquer. L’héritage taylorien et la peur chronique de la nouveauté ayant la vie dure…on opte en général pour le « tout silo » et « tout contrôle »…ce qui fait qu’au final on transforme peu, si ça n’est par chance ou parce qu’un manager monte un laboratoire clandestin.
C’est là que les choses deviennent intéressantes. Nombre d’entreprises ont tout de même saisi l’ampleur de l’enjeu et se disent qu’elles devraient favoriser la transformation si elles ne veulent pas se retrouver en difficulté dans très peu de temps. Favoriser la capitalisation et le partage de l’information, briser les silos, et tout cela pour créer, innover davantage, plus vite…c’est un chantier en cours (ou prévu) dans beaucoup d’organisations et dans le jargon des initiés on parle de « passage à l’entreprise 2.0 ».
Mais, pour être honnête, un grand nombre hésite à passer le pas, se demandant si le jeu en vaut la chandelle. Et attend toujours des réponses à cette question. Certains parleront de calcul de ROI, je suis plus enclin à dire qu’elles veulent la certitude que quelque chose va se passer. Dit en d’autres mots, elles veulent des garanties quant à la transformation, ce qui est une question à double tranchant car d’un coté elle apporte la réponse à une question stratégique mais, d’un autre coté, cela impose d’envisager un changement profond dans le quotidien, ce qui fait peur. Mais c’est bien là que réside la différence entre un vrais progrès et un simple projet cosmétique.
Car si l’on regarde bien, l’essentiel des efforts portent aujourd’hui sur la constitution d’un potentiel (information, individus, connexions) mais on parle peu de sa transformation en valeur concrête. Il est évident que peu de collaborateurs savent comment tirer parti de tout cela pour le réutiliser dans leur travail quotidien. Par manque d’habitude, parce qu’on ne leur laisse pas d’initiative au quotidien, voire par peur de sortir de la norme en essayant des solutions nouvelles. Habitué à suivre des règles strictes, à appliquer les solutions qu’on a toujours appliqué, le collaborateur a besoin que soit défini clairement son périmètre d’initiative…et les pratiques nouvelles à mettre en œuvre dans ce périmètre. Il s’agit d’appliquer un mode de fonctionnement précis à chaque type de situation de travail.
Cela prendra différentes formes : déjà flexibiliser certain process et y inclure clairement la possibilité d’aller chercher des options alternatives au long de leur exécution, inculquer de nouveaux réflexes à mettre en œuvre en permanence, qui peuvent d’une certaine manière ressembler à un mini process personnel qui tournerait en tche de fond…
Quoi qu’il en soit, l’entreprise ne sera pas rassurée tant qu’elle ne comprendra pas comment l’effort porté sur la valorisation de son capital informel se traduira de manière quasi mécanique dans sa capacité à exécuter mieux. Elle a aujourd’hui l’impression qu’on lui demande de pomper fort pour remplir un réservoir sans savoir s’il sert à alimenter le moteur…ou l’auto-radio…ou rien du tout. Ce qui n’est pas la même chose au moment de décider si l’ampleur du gain justifie l’investissement.
Ca n’est que la transcription dans les modes opératoires du discours de Norton et Kaplan sur la valorisation des actifs immatériels mais la compréhension du mécanisme théorique ne vaut finalement rien si elle n’est pas traduite dans la mécanique de l’entreprise.
Ce qui au final distingue l’entreprise 2.0 de l’entreprise qui utilise des médias sociaux, c’est la mise en place de ce mécanisme de transformation.