Médias sociaux et relation client : comment ne pas être victime de son succès

Résumé : alors que certaines entreprises sont perplexes devant le manque de succès de leurs nouvelles initiatives dans le domaine de la relation client, d’autres au contraire se demandent comment faire face à  cet afflux de demandes et d’intéractions. D’où la conclusion hative que les médias sociaux, finalement, ne sont pas scalables. C’est une erreur : le fait même que le point de contact soit saturé montre que le média est scalable. Par contre il y a une contrainte qui limite la bande passante du dispositif, l’empéchant de suivre la demande. On n’est donc pas ici en face d’une limite propre au média mais au processus qu’il supporte, une limite qui ne peut être levée que par une action portant sur l’organisation. Le point de contact, qu’on l’appelle community manager ou autrement, peut voir sa capacité de traitement améliorée par ajout de ressource, redéfinition des attributions, amélioration du dispositif organisationnel interne et, surtout, focalisation de son action sur la seule gestion des cas d’exception.

J’ai coutume de dire qu’il y a deux types d’entreprises qui utilisent les médias sociaux dans le cadre de leur relation client : celles qui n’en tireront rien et celles qui seront dépassées par leur succès. Dans les deux cas une situation à  laquelle il faut immédiatement remédier.

Celles qui n’en tirent rien : mauvaise compréhension des attentes, refus de l’intéraction, refus d’intégrer une logique de service dans la communication…

Celles qui sont dépassées par le succès : elles ont compris quel positionnement adopter, quelle proposition de valeur pour les clients….et elles ont tellement de succès qu’elles ne tiennent pas la charge…Cela les empêche avant tout de tenir leur promesse puis, dans un second temps, crée un sentiment déceptif chez les clients, sentiment qui se propage et finit par entacher leur image.

C’est sur ce second cas de figure que je désire me pencher aujourd’hui.

Pour se retrouver sans une telle situation que d’aucuns qualifieront de « problème de riche » , ces entreprises ont d’abord bien compris que derrière leur problématique de community management se cachait une question de processus. En proposant donc un « vrai service » elles ont donc trouvé un public. Mais à  un moment ou à  un autre, peut être en raison d’un fait exceptionnel ou en raison d’une montée en charge linéaire, elles n’arrivent plus à  tenir leurs engagements.

Cela fait quelques temps que je constate un chose : nombre d’entreprises qui rencontrent le succès dans leurs initiatives externes se rendent compte qu’il faut aligner l’interne. Le ou les community managers ont en effet besoin de s’adresser à  des ressources internes pour trouver des solutions aux problèmes des clients ce qui implique de pouvoir identifier et mobiliser ces dernières. On se retrouve donc avec une problématique d’identification d’expertise, de réseau et d’organisation interne. Si les outils et l’organisation ne permettent pas ces deux actions vitales, le community management devient un entonnoir où viennent s’empiler les requêtes dans être pour autant en capacité de les satisfaire. On a donc recréé sur un canal que l’on prétend « scalable » le même type de goulot d’étranglement que sur les canaux de service traditionnels qu’ils sont supposés suppléer.

Qu’il soit exécuté selon une organisation « linéaire » ou en réseau, un processus a une contrainte : sa « bande passante », déterminée par l’étape qui a la capacité de traitement la plus faible. Dans notre exemple, le community management devient donc la contrainte du processus. Autrement dit, on pourra apporter toutes les améliorations possibles et imaginables en divers points et à  divers acteurs du processus de service client, cela n’améliorera en rien le service en client puisqu’il est limité au niveau du ou des community managers.

British Airways, comme de nombreuses compagnies, se sert de Twitter pour résoudre les problèmes de ses clients. Tout fonctionne plutôt bien en temps normal mais il suffit qu’une vague de froid paralyse le traffic pour que le « standard » explose, comme le montre ce tweet de R. Ray Wang :

En fait je pense qu’il y a ici une erreur d’interprétation : ce n’est pas l’outil qui n’est pas scalable…mais il y a un goulot d’étranglement à  un niveau du processus qui limite sa scalabilité. Le simple fait qu’on en arrive à  ce constat est le media est scalable car il arrive à  acheminer une masse de messages qui explose. C’est le processus de traitement qui, lui, ne l’est pas.

Il importe donc d’augmenter la bande passante du community management (ou du nom que vous désirez donner à  l’activité en question), ce qui peut se faire par différents moyens.

Supprimer le problème par les indicateurs : il suffit de dire que face à  un problème exceptionnel, le délais de traitement habituel ne peut être maintenu et ont fait disparaitre le problème. Cela n’est bien sur pas possible s’il s’agit d’une progression linéaire qui montre qu’on est face à  un niveau de demande normal et non pas une exception. Reste à  ce que le client le comprenne, ce qui est une autre affaire.

Augmenter la bande passante par ajout de ressource : si deux personnes sont affectées au traitement des demandes, peut être qu’il en faut quelques unes en plus. Là  encore : si on est dans le cadre d’une croissance « normale », on peut penser à  recruter, sinon il faut avoir des ressources formées et mobilisables ponctuellement.

Augmenter la bande passante par l’organisation. Peut être qu’on est capable d’accuser réception et étudier les demandes, mais que, derrière, c’est le reste de l’entreprise qui n’apporte pas les solutions dans les délais. C’est souvent le cas lorsque l’équipe en charge n’est pas légitime pour aller mobiliser des ressources métier voire n’est pas outillée pour les identifier. Il est donc essentiel de spécifier clairement les rôles et l’autorité de chacun pour fluidifier la situation voire réfléchir à  une logique de community management ou de travail en réseau du coté des équipes internes pour être aussi flexibles à  l’intérieur qu’on veut l’être vis à  vis de l’extérieur.

Augmenter la bande passante par diminution de charge. Souvent cette nouvelle manière de gérer la relation client a débuté en confiant ce rôle à  une ou plusieurs personnes qui occupaient déjà  une fonction dans l’entreprise. Le succès aidant ils n’ont simplement plus le temps de cumuler ce rôle nouveau et leurs activités « traditionnelles ». Avant même de penser à  recruter, surtout s’il ne s’agit que d’un pic provisoire, il importe de faire le ménage dans les attributions des personnes concernées et répartir tout ou partie de leurs tches « historiques » sur leurs collègues de manière définitive ou provisoire.

Court-circuiter le goulot : si on ne peut pas ajouter de ressource et qu’on a pas le temps de changer les modes opératoires internes, le dernier levier est de filtrer le nombre de demandes qui passent par la ressource goulot. Celle-ci doit donner 100% de sa capacité à  des choses sur lesquelles elle est indispensable et ne pas perdre de temps sur des demandes qui pourraient être traitées autrement. Représentons nous la répartition des demandes clients avec une courbe de Gauss :

La zone bleue représente les requêtes habituelles, récurrentes. La zone rouge les requêtes exceptionnelles, rares. En mettant de l’humain au service de la résolution des problèmes, là  où les procédures bien huilées montrent leurs limites, votre processus supporté par les médias sociaux ne doit traiter que ce qui est dans les zones rouges, ce qui relève de la gestion des exceptions. Pour ce qui est dans la zone bleu, il importe que vos « points de contact sociaux » en soient impérativement déchargés.

Alors, vous allez me dire que dans le cas de British Airways, on est forcément dans de l’exception, donc du social média. Et bien non. Ca n’est pas parce qu’on fait face à  un événement exceptionnel que les demandes le sont. C’est simplement le volume de certaines d’entre elles qui augmente.

– doit on mobiliser un opérateur pour « rebooker » lorsque son vol a été annulé ?

Il s’agit d’une requête de masse, il suffit donc de rendre la chose possible via les outils de réservation en ligne de la compagnie.

Exemple :

Voici donc comment faire en sorte que l’interlocuteur humain ne gère que les personnes qui ne savent se servir de l’outil ou n’y ont pas accès pour une raison ou une autre. L’une des raisons pouvant être que l’outil est lui-même victime de son succès :

ou alors que les canaux habituels sont débordés :

Autre cas : le bagage égaré. C’est un problème habituel pour lequel existe une procédure adhoc. Dans une situation extrême, le nombre de demande explose ponctuellement. Pourquoi surcharger l’opérateur avec quelque chose qui peut être industrialisé (l’accès à  la procédure ?). Exemple : mon bagage ne m’a pas suivi. Le site de la compagnie me dit d’imprimer, remplir et envoyer un formulaire. Pas de temps à  perdre avec ça donc j’utilise twitter pour faire passer ma requête. Une solution efficace est de rendre le formulaire accessible et saisissable en ligne, de manière à  ce que je n’ai pas à  mobiliser le « monsieur twitter » qui, de toute manière, va devoir remplir ce même formulaire lui-même.

Puis lorsque la situation s’éclaircit, mieux vaut rendre l’information disponible pour éviter de surcharger le point de contact et lui laisser traiter les cas difficiles :

En résumé :

1°) S’assurer que le client puisse avoir accès lui-même à  tous les outils lui permettant de gérer lui-même sa situation

2°) Positionner le canal social pour les hypothèses ou le service « normal » est saturé, les personnes qui ne comprennent pas comment l’utiliser ou celles qui ne peuvent y accéder.

Et surtout, avant tout, avoir en tête que l’objectif est que le client n’ait pas à  recourir à  une procédure d’exception.

Exemple : dimanche dernier je me suis personnellement retrouvé coincé à  Amsterdam, les vols vers Paris étant tous annulés. L’an dernier, à  la même époque, dans la même situation, j’avais eu l’occasion de disserter longuement de la présence en ligne du support des compagnies aériennes sur Twitter. Cette année, à  peine descendu de mon vol précédent, je suis informé du problème et on me propose une alternative me garantissant d’être chez moi dans l’après midi. Moralité : l’anticipation d’Air France – KLM sur ce coup là  m’a permis de ne pas aller « charger » le canal social et de le laisser à  ceux qui dont de vrais problèmes nécessitant une prise en main personnalisée.

La règle numéro 1 en l’espèce est donc d’éviter que le client ait à  entrer dans une boucle de gestion d’exceptions (et ne le fasse que pour des raisons nécessitant une assistance humaine) en anticipant son problème lorsque c’est possible. Ensuite, on applique les règles ci-dessus.

Voici donc 5 moyens, à  utiliser seuls ou conjointement selon la marge de manœuvre dont on dispose sur chacun, pour rendre le processus aussi scalable que que canal. Pas de fausses joies toutefois : vous vous rendrez compte qu’une fois ce problème résolu votre goulot va se déplacer ailleurs…sur les ressources support…voire sur l’outil qui finalement a ses propres limites lorsqu’on le pousse à  bout :

Et ça, par contre, c’est un vrai problème de scabilité de l’outil. Une réponse, Monsieur Twitter ?

Et souvenez vous que la valeur ajoutée de l’humain se situe aux deux extrêmes de la courbe de distribution normale. Ce qui est au centre doit absolument être automatisé pour que les opérateurs « en face du client » puissent se concentrer sur les cas où leur valeur est irremplaçable sans perdre leur temps sur le reste. Par contre si les boucles de « gestion d’exception » que le client est supposé suivre ne sont pas pensées en amont, la quantité peut paralyser le système alors que c’est évitable.

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Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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