L’entreprise entre sentiment d’appartenance et besoin de posséder

Résumé : on parle beaucoup du besoin de renforcer le sentiment d’appartenance du collaborateur. Une notion comprise de tous mais à  la mise en œuvre complexe : l’appartenance (et est-ce le mot adéquat) est le fruit d’une adhésion partagée des uns et des autres à  un projet alors que l’entreprise, dans sa volonté de sécuriser les choses a souvent tendance à  essayer de posséder le salarié. Avec les effets totalement inverses sur la motivation et l’implication des uns et des autres. Que l’on parle d’appartenance, d’engagement ou de quoi que ce soit d’autre, une politique RH 2.0 allant dans le bon sens se doit d’essayer de rapprocher plutôt qu’isoler, enfermer et posséder. Pas si évident.

On dit nombre de salariés en manque de repères, à  la fois dans leur vie professionnelle et personnelle mais également dans l’articulation entre les deux. Ils cherchent du sens aux chosent, quelque chose à  quoi se raccrocher. On appelle souvent cela le sentiment d’appartenance. Appartenance à  un groupe, à  un projet, à  un groupe mobilisé autour du projet. Pour une entreprise, développer le sentiment d’appartenance chez ses collaborateurs est quelque chose de très complexe.

Parce que parler d’appartenance est une chose, mais savoir à  quoi on appartient en est une autre.

Appartenir à  l’entreprise ? Pourquoi pas mais dans certaines cultures où la défiance face à  cette dernière est la règle il ne faut pas y penser.

Appartenir à  un groupe ? Egalement. Mais là  encore…cela ne doit pas signifier que l’espace privé est phagocité par l’espace professionnel, que la différence entre un collègue et un ami s’estompera, même si on a des choses à  réaliser ensemble.

Serait-ce alors le community-ship cher à  Mintzberg ? Pourquoi pas car il ménage les susceptibilités et les diverses attitudes possibles face à  la notion d’engagement. C’est l’adhésion à  un projet d’entreprise qui fait qu’on appartient à  une dynamique, et par là  même qu’on s’engage aux cotés de l’entreprise qui la porte et aux Hommes qui la font vivre. C’est donc un projet et des valeurs qui sont la base de tout et non pas un lien direct individu/entreprise ou individu/individu.

De son coté l’entreprise  a compris qu’elle doit trouver de nouveaux leviers de motivation et d’implication. Travailler sur ce sentiment d’appartenance ? Oui, dans une certaine mesure; Au delà  des modes et buzzwords, toute la dynamique « 2.0 » qui vise à  considérer employés (et même clients) comme des parties prenantes, qui va dans le sens de davantage de co-construction, de dialogue, d’instauration de nouveaux rapports entre l’entité entreprise et chacun de ses membres pris individuellement participe de cette logique.

Mais il y aura toujours une limite : on n’est pas dans une science exacte mais dans la proposition. L’entreprise propose, idéalement après avoir écouté, mais au final c’est le collaborateur qui accepte (ou non) et reste maitre du degré, de l’intensité et de l’expression de cette acceptation. Reparlons du community-ship et des communautés en général : l’entreprise ne crée rien de tout cela mais capitalise sur des valeurs, envies et attentes existantes.

C’est là  qu’apparait un biais. Au besoin d’appartenance l’entreprise répond par l’envie de posséder. A priori rien que de plus complémentaire…mais en fait non. Car au vu des lignes précédentes, le terme « appartenance » est peut être fort mal choisi pour décrire le besoin du salarié. Puisqu’elle n’est pas sure à  100% de ce que le collaborateur va lui donner, elle s’efforce de prendre et d’enfermer.

  • Le collaborateur doit donner tout son temps à  l’entreprise car il lui appartient. D’où la tentation d’éliminer toute source de distraction ou de temps de pensée « extra professionnel ».
  • Le collaborateur n’existe pas hors de l’entreprise. Sur l’annuaire riche de l’entreprise il ne doit pas mentionner ses hobbies et centres d’intérêt. Il ne doit pas faire mention non plus de ses expérience professionnelles antérieures. Il est né le jour où il a signé et mourra certainement le jour de sa démission. En attendant il n’est pas supposé avoir de vie avant, après et pendant la durée de son engagement avec l’entreprise.
  • Le collaborateur n’a pas à  exister, même personnellement, sur aucun média et ou réseau social. Avoir des collaborateurs membres du groupe des fans de pêche à  la ligne ou des nostalogiques de Goldorak n’est surement pas bon pour l’entreprise qui ne se préoccupe pas de son impact à  elle sur la réputation et la vie de ses salariés.

Avec exactement l’effet inverse de ce qui est recherché en termes de productivité, d’implication etc…

Tout cela pour en arriver où au fait ?

On m’a récemment demandé mon avis sur les « RH » 2.0, notamment sur la dimension « valeurs ». Qu’on ne se méprenne pas, je suis ici à  l’opposé de la tendance « bisounours » : la raison d’être du salarié dans l’entreprise est sa participation à  une activité de production et pas le simple plaisir de réunir des gens au sein d’une entreprise. Ce qui implique d’accepter que beaucoup de chose sont liées au rapport coût/valeur ajoutée de chacun. Par contre, une fois qu’on a dit ceci il reste à  trouver les leviers pour que chacun donne le meilleur en s’épanouissant le plus possible ce qui correspond à  la fonction vitale de l’entreprise : gagner de l’argent aujourd’hui et demain. (On oublie souvent le « demain »). Dans cette optique tout ce qui ressemble de près ou de loin à  une tentative de posséder est contre productif.

N’étant pas toujours à  l’aise avec des notions comme l’engagement, trop souvent dévoyée et utilisée à  tort et à  travers, je dirais que la base des valeurs « RH 2.0 » est davantage une logique de rapprochement (des Hommes, organisation et projets) que d’enfermement. Et, surtout, que la tentative de possession n’est pas la réponse au besoin d’appartenance.

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Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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