Ca n’est pas parce qu’on collabore mieux que l’entreprise y gagne…

Résumé : lorsqu’on présente les nouvelles dynamiques collaboratives attendues dans l’entreprise on donne souvent l’impression d’une multitude de flux et d’intéractions à  créer autours du collaborateur. Mais c’est oublier une donnée principale : le contexte. Si les intéractions tournent autours du collaborateur, ce dernier tourne autour d’un flux de production qui a pour objectif de transformer une demande de quelque ordre que ce soit en réponse ou solution. C’est la différence entre collaborer pour atteindre ses objectifs et collaborer pour créer de la valeur.C’est une donnée capitale car elle nous fait remettre en perspective des actions individuelles et mesurer leur utilité et leur valeur ajoutée non par rapport à  la personne qui les exécute mais par rapport à  leur contribution à  un flux de production, soit il informationnel et intangible. Conclusion  : la valeur d’un nouveau dispositif collaboratif pour l’entreprise ne dépend pas de dispositifs génériques mais doit cibler le maillon faible de la chaine. Lequel maillon n’est pas affaibli que par le manque d’outils mais également par des contraintes organisationnelles qui lui sont propres.

Essayons de réfléchir un peu au sens, au but de l’activité de chacun dans l’entreprise. On collabore, on échange, on résout des problèmes (plus ou moins bien d’ailleurs)…mais ça n’est que la partie « micro » d’un ensemble plus vaste. On a tendance à  regarder la chose au niveau de l’individu qui « doit » et « a besoin de » sans se préoccuper du contexte dans lequel tout cela prend place.

Au départ il y a un « input », une demande. Elle prend la forme d’une simple question, d’une demande en vue d’obtenir un livrable, d’un problème à  résoudre. Cet « input » nécessite un « output » en retour qui est une réponse, un mode opératoire, une solution, une méthodologie. Si on y regarde bien toute l’entreprise fonctionne ainsi l’input étant « est-ce que le produit fait ça », « comment répondre à  l’objection d’un client », « comment réparer cette machine qui ne fonctionne plus », « quel plan de communication pour notre nouveau produit », « concevoir un nouvel intranet », « recruter ». Il émane d’une personne que nous qualifieront de « client », qu’il soit interne ou externe.

Que se passe-t-il une fois cet « input » émis ? De deux choses l’une, soit il existe une méthodologie / une procédure / un process pour gérer la chose soit il n’en existe pas.

Dans le premiers cas on a donc un flux dématérialisé linéaire avec des étapes définies (création, résolution de problème, conception, validation etc…). Chacune de ces tches nécessite des actions spécifiques qui elles-mêmes nécessitent des informations, savoirs, expériences, expertises que ne détient pas toujours la personne en charge de l’étape. S’il peut identifier l’information/la ressource il va s’en servir pour créer/concevoir/décider plus vite et mieux, sinon il fera avec ce qu’il a sous la main et « passera » le travail au suivant jusqu’à  ce qu’on soit arrivé au livrable final qui sera le contenu de l’output. Derrière un semblant de linéarité on a donc, dans les faits, une réalité quelque peu différente qui ressemble davantage à  du réseau même si « officiellement » tout est linéaire.

Dans le second cas, la personne qui reçoit l’input doit se débrouiller pour concevoir la manière dont on va traiter l’input avant de le traiter. On arrive immédiatement dans une logique de réseau qui finalement ressemble au résultat final du cas précédent à  ceci près qu’aucun rôle n’est défini a priori.

Appelons « flux » le processus qui fait le l’input (le problème, la demande) devienne l’output (solution, réponse), peu importe qu’il soit linéaire ou pas.  Quelle est la préoccupation légitime et ancestrale de toute entreprise ? (remarquez que si la matière et le rôle de l’humain dans l’opération a évolué au fil des années, le problème fondamental reste le même).

Améliorer la qualité de l’output (conditionne la valeur créée et, souvent, le revenu) et sa vitesse, son débit  (productivité). Ni plus ni moins (mais c’est déjà  beaucoup).

Regardons maintenant ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

Inutile de refaire pour la énième fois la démonstration déjà  faite ici et sur des centaines de blogs et livres à  travers le monde depuis des années : pour améliorer à  la fois la valeur et de débit du flux il faut que chaque personne intervenant le long du flux ait accès aux savoirs et personnes appropriées afin de raisonner, concevoir, innover, décider plus vite et mieux.

Pour savoir comment y arriver il importe donc de savoir ce qui nuit au débit et à  la qualité du flux :

L’identification des personnes peu évidente.

Identification des savoir complexe car peu d’entre eux sont exprimés, capitalisés…et s’ils le sont ils sont rarement « cherchables ».

Lien entre les personnes et entre les personnes et les savoirs rarement établi. Si on trouve l’information il est rare de pouvoir faire le lien avec son auteur qui pourrait l’expliquer « dans le contexte » et aider le demandeur dans sa démarche.

Les flux contraires : l’organisation fonctionne souvent sur le principe que tout est prévisible et, de fait, impose des activités et un plan de charge aux collaborateurs, lesquels ont donc rarement le temps de traiter les inputs non prévisibles…qui sont pourtant une part croissante de l’activité de chacun. De plus, même si l’input est « prévisible » pour celui qui le reçoit, il ne l’est pas toujours pour celui qu’on aura besoin de mobiliser dans le fliux en raison d’un savoir spécifique qu’il détient.

La charge de travail de chaque personne opérant sur le flux qui n’a pas le temps de faire son travail ou doit prioriser autre chose.

Qu’a-t-on fait avec la mise en place de réseaux et outils sociaux dans l’entreprise ?

– on a créé une plateforme rendant plus fluide le partage d’information, l’identification des personnes, l’identification du lien entre le savoir et son détenteur et la possibilité de se connecter au détenteur.

Avec mes talents de dessinateur bien connus j’ai essayé de représenter le traitement type d’un input dans l’entreprise.

– A recoit l’input. Il demande a I de lui donner son avis sur ce cas précis. I est un peu démuni mais, heureusement, il est membre d’une communauté où les retours d’expérience sur le sujet sont nombreux. Il trouve des éléments de réponse et revient vers A.

– A passe l’affaire à  B. Celui-ci identifie H comme pouvant l’aider à  trouver une solution au problème soumis. H L’aide.

– C n’a rien d’autre à  faire que de valider. L’état d’avancement lui plait, les première préconisations sont de qualité, il passe au suivant.

– D est bien mal en point devant la tche qui lui est assignée. Il connait F qui lui a souvent sauvé la mise. F n’en sait guère plus…mais il connait G qui sauve la mise de D sur ce point stratégique.

– E vérifie que tout est cohérent, que la réponse correspond bien à  la demande et…notre histoire est finie.

A coté de cela d’autres flux en rapport avec d’autres inputs mobilisent les mêmes acteurs mais avec des rôles différents. Ce qui fait que chacun a un rôle sur un ou plusieurs flux « maitres » et un ou plusieurs sous flux adhocs.

Les flêches bleues et rouges réprésentent les flux maitres, les noires les sous-flux adhocs, qui ne sont pas initialement prévus mais sont générés pour faciliter une étape spécifique. La différence entre un flux maitre et un flux adhoc est qu’on est évalué et responsable sur l’un et qu’on rend service sur l’autre.

On peut en plus imaginer qu’on est dans le cadre d’un processus outillé et que B identifie H car son CRM ou son ERP lui indique que vu le client/cas/produit en question c’est le meilleur interlocuteur etc.

Nous venons au travers de cet exemple de démontrer qu’une logique de « social software » cumulant des logiques « in the flow » (lien entre outils sociaux et outils métiers) et purement « out of the flow » (aller chercher une réponse dans une communauté transversale non liée à  l’exécution du flux) permettait de répondre à  notre problématique en passant outre tout ce qui ralentissait notre flux jusqu’à  présent.

Sur ?

–  imaginons que tout le monde ne joue pas le « jeu 2.0 ». Profil mal rempli, retour d’expérience non fait ?

– imaginons que C et E qui n’ont rien d’autre à  faire que valider soient débordés, aient d’autre priorités ? Il y a de forte chances qu’un des deux soit le manager de l’équipe et qu’il soit débordé par toutes ses activités de supervision.

– Imaginez que I ait bien envie d’aider mais pas le temps. Que son manager lui reproche de se rendre disponible ?

– Imaginez, justement, que E soit un manager totalement débordé qui n’a que faire de tout cela et continue de suivre son rythme « à  l’ancienne »

Quelles conclusions en tirer ?

– Rien ne sert d’accélérer le travail de qui que ce soit si C et E bloquent.

– Dans un dispositif ou chacun est libre de changer ou pas, si ça ne sont pas les « bons » qui changent autant ne rien changer du tout. Dans notre cas si E est en permanence débordé et qu’il est le facteur limitant de toute la chaine aider les autres à  mieux collaborer n’aidera strictement à  rien. Et si E est libre de changer son mode opératoire ou non toute la réussite du projet ne repose que sur sa bonne volonté. Et même dans ce cas il est éventuellement prisonnier de contraintes organisationnelles qui l’empêchent de changer. Ajoutons également que si tout le monde « acccélère » et que E reste l’élément bloquant de la chaine, la masse d’information « à  traiter », les emails à  lire et taille de la « to-do list » vont s’accroitre à  tel point que soit E va s’effondrer soit il va bacler le travail. L’amélioration de la productivité des uns, à  ce niveau, crée une pression négative sur certains sans pour autant améliorer quoi que ce soit sur l’ouput.

Mais encore…

– Ce qui compte n’est pas d’envisager la collaboration et le « networking » de manière statique, comme étant leur propre finalité dans un système fermé de salariés mais dans le contexte d’un flux qu’il faut à  la fois « travailler » et faire avancer.
– La performance de la collaboration ne se juge qu’à  l’aune de deux indicateurs : valeur et débit de l’output final.

– la valeur est générée via des flux qui passent par différents « noeuds » où ils sont traités. Le travail effectué au niveau de chaque noeud dépend de la capacité de traitement du noeud en question.
– la capacité de traitement de chaque noeud est impactée par différents facteurs

  • – accès à  l’information
  • – accès à  un réseau d’experts, de pairs
  • – fiche de poste
  • – charge de travail
  • – modalités de l’évaluation du collaborateur.

Tous ces élements conditionnent à  la fois la valeur générée, le temps mis pour la générer ainsi que ce qui fait que le « noeud » en question effectue son travail immédiatement, le mette dans sa « liste d’attente » voire le refuse, priorise un flux par rapport à  un autre, ne s’intéresse qu’aux flux maitres et décline systématiquement les flux adhoc.

– c’est le maillon faible de la chaine (ou du réseau) qui conditionne la performance de l’ensemble

Et quelles conséquences par rapport à  ce qu’on appelle l’entreprise 2.0 (ou autre) ? On le verra dans un prochain billet mais je vous laisse phosphorer en attendant.

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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