Résumé : si la participation à un réseau social ne peut être que volontaire, il est logique que seuls les volontaires y aient accès. Ce présupposé qui fonde de nombreux projets est il pertinent ? Il est le fruit d’une confusion entre le réseau et sa composante communautaire, entre la présence et la participation. Il crée une frontière de fait entre ceux qui veulent essayer et les autres, frontière qui limite à fois la propagation du « phénomène social » et des bénéfices associés. Si pour l’essentiel des collaborateurs le réseau n’est pas une évidence, il doit venir à eux plutot qu’attendre qu’ils viennent à lui. C’est par l’exposition passive que vient l’intérêt et non par la dissimulation aux non membres. Une vraie stratégie d’entreprise 2.0 ou d’intranet social impose que chacun soit membre et puisse consulter, que le réseau fasse partie intégrante du SI, que profils et annuaire servent de pivot. Ce qui n’empêche pas la participation de dépendre du bon vouloir de chacun.
Lorsqu’on fait le bilan d’un projet de réseau social interne on dit souvent « xxxx inscrits ». En effet, partant du principe que la participation à un réseau social interne ne saurait être obligatoire, on demande aux salariés volontaires de s’inscrire. Logique, donc, qu’on n’y retrouve qu’une certaine partie des collaborateurs. On a donc d’un coté, par exemple, 80 000 collaborateurs qui ont accès à l’intranet et 6,7, 8 000 qui ont fait le choix d’accéder également au réseau social. Grande victoire ? Si on considère qu’il ne s’agit que d’une phase intermédiaire oui, si on estime que c’est la manière dont les choses doivent fonctionner je ne crois pas à de telles approches (sauf cas très spécifique).
Bien sur la participation à un réseau social ne peut être rendue obligatoire. Quoique cela mérite quelques éclaircissements. On fait trop souvent l’amalgame entre réseau social et communautés. La participation à une communauté ne saurait être imposée et relève du pur volontariat, c’est une certitude. A moins qu’on déguise en communautés des groupes de travail (ce qui arrive fréquemment) auquel cas la réponse est toute différente. Il en va autrement du réseau en tant que tel, que l’on pourrait désigner par le simple fait d’avoir un profil (libre à l’individu de le remplir ou non) et de pouvoir « suivre » les autres, rentrer en contacts avec eux, voire suivre l’activité des communautés, blogs, wikis et je ne sais quoi d’autre qui peupleront l’intranet.
En effet on se heutre, en la matière, à un vrai problème de masse critique.
Le réseau va spontanément attirer tout ceux qui ont la « fibre sociale », les « networkers ». Quelques curieux vont les rejoindre. Au final cela va faire dans les 10% du nombre global des collaborateurs. Les curieux finiront oublier la chose à part les quelques uns qui auront été conquis. Les volontaires vont faire vivre le réseau, certains seront contraints de laisser tomber car la force du système les ramènera sur le droit chemin, mais au final il resteront le centre de gravité de la plateforme. En espérant qu’ils ne finissent pas par s’essouffler.
Car un tel mode opératoire ne relève en rien d’une transformation de l’organisation ni des modes de travail. Ceux qui ont envie font différemment, c’est tout. Cela se passe entre eux car leur nombre ne suffit pas à faire bouger toute l’entreprise. On retrouve le syndrome de la bulle sociale qui peut même être douloureux pour les participants qui échangent d’une manière avec les uns et d’une autre avec les autres.
On peut faire le pari qu’avec le temps d’autres soient tentés de les rejoindre. Mais encore faut il qu’ils aient une raison de tenter l’expérience, y trouver un bénéfice personnel, et aient l’envie de continuer. Qu’est ce qui peut les amener ? Le fait de se dire qu’ils vont y trouver, à un moment donné, la réponse à un problème ou la personne susceptible de les aider ? Si seuls 10% des salariés sont à peu près présents, il y a de fortes chances qu’ils se disent que le jeu n’en vaut pas la chandelle, qu’il y a peu de chances que la solution à leurs problèmes se trouve là .
L’amalgame entre participation obligatoire et inscription/présence obligatoire a clairement un impact négatif. Ca n’est pas parce qu’on n’oblige personne à participer que tout le monde ne doit pas avoir accès au dit réseau social. Et ce pour différentes raisons :
– le meilleur moyen de prouver la valeur du réseau est que n’importe quel collaborateur se voit proposer des contenus qui en proviennent lorsqu’il fait une recherche sur un sujet donné. Ce qui impose de le décloisonner et de mettre en place un « search » global.
– on ne peut clamer que le but d’un outil et d’aider au décloisonnement et considérer qu’il y a ceux qui y seront et les autres.
– parce qu’on se prive d’une arme décisive qui est le profil personnel. Un sujet que je vais détailler dans les lignes qui suivent.
Un des points d’entrée les plus simples sur un RSE c’est le profil individuel, dit « riche », des collaborateurs. Pourquoi ? Parce que rechercher quelqu’un est l’activité la plus élementaire dans n’importe quelle entreprise. Sur le plus préhistorique des intranets, c’est souvent la fonction la plus utilisée, la seule raison qu’ont les collaborateurs d’utiliser le dit intranet. Imaginez que chacun soit libre de rendre ce profil plus détaillé, plus riche. Qu’on y trouve également les « traces » de sa participation à des « activités sociales » sur le réseau du même nom. Cela permet deux choses
– lorsqu’on effectue une recherche sur l’intranet sur un sujet donné on peut également se voir proposer des personnes pertinentes par rapport à ce sujet
– en découvrant ces personnes on découvre également la composante sociale de l’intranet, notamment lorsque ces personnes y sont actives.
Quel meilleur moyen d’apporter un surcroit de qualité sur une des fonctionnalités les plus utilisées de l’intranet (recherche de personnes) et d’exposer le potentiel de valeur que représente le réseau ?
Tant qu’il faudra s’inscrire pour « voir » cela restera impossible. Tant qu’il y aura un annuaire pour tous et un profil pour quelques happy fews cela restera impossible alors qu’aujourd’hui se servir du profil du RSE pour exposer et enrichir l’annuaire est d’une grande simplicité. Tant que le potentiel que valeur que représentent les contenus du RSE ne seront accessibles qu’à ceux qui ont fait l’effort de s’inscrire on limite de manière dangereuse la capacité de l’outil à créer de la valeur. Peut importe que seuls 10% alimentent…mais si les 90% qui restent ne peuvent en tirer parti faute d’y accéder on se tire une balle dans le pied car on recrée un silo et on perd 90% des leviers qui peuvent transformer le potentiel de valeur en valeur réelle dans les opérations quotidiennes (oui…chaque employé est un levier de création de valeur dans un tel dispositif).
Le besoin d’inscription est une barrière à la réussite de tout projet de ce type.
Ce que je verrai ?
– le profil du RSE pour exposer l’annuaire de l’entreprise pour tous les collaborateurs. On reprend les informations existantes et on réfléchit à ce qui peut être ajouté ou non par l’utilisateur.
– le réseau social n’est alors plus un outil à part mais une somme de fonctionnalités offertes à tous. Ne participe que celui qui veut mais n’importe qui peut tirer profit de ce qui s’y passe. De cette manière on casse également le mythe du RSE. Ce sont juste des outils nouveaux mis au service du collaborateur qui, lui, n’a que faire de cette barrière artificielle et a juste besoin de trouver des réponses à ses questions, où qu’elles soient.
– on complète bien sur le tout par un search global qui mêle les contenus « officiels », « sociaux », l’information et les gens dans les résultats qu’il propose.
Si on n’amène pas le réseau à toute l’entreprise, soyez certains que très peu iront le chercher car on ne fait pas de projection sur l’intérêt et la valeur de quelque chose qu’on ne connait pas.
Alors bien sur, il y a des exceptions mais qui ne doivent pas être l’arbre qui cache la forêt.
– Je pense notamment à des entreprises comme CSC ou Alcatel-Lucent ou l’inscription volontaire a été massive. Mais c’est le fruit d’un véritable déplacement du centre de gravité de l’activité des salariés vers le réseau et d’une évolution des modes d’échanges à travers l’entreprise. Ce qui n’est pas le cas des projets mentionnés plus haut où le RSE reste un « plus pour ceux qui veulent ».
– Il y également l’exemple de Simply Market en France. Mais il faut prendre en compte sa spécificité : tout d’abord une culture d’entreprise qui favorise le networking et les liens interpersonnels, ensuite une population qui n’a en général pas accès à un ordinateur sur son lieu de travail donc ne peut rejoindre le réseau qu’hors du temps de travail et depuis leurs ordinateurs ou téléphones mobiles personnels. C’est ce qui rend d’ailleurs le cas « Simply » passionnant : il prend le contre pied de toutes les bonnes pratiques (même des miennes) et est un superbe exemple. Mais c’est quelque part parce que l’entreprise est un peu unique également.
Mais il est beaucoup plus simple de trouver des cas d’adoption massive dans les entreprises qui ont pensé globalement leur déploiement. D’ailleurs avec le temps j’entend souvent que ceux qui ont opté pour l' »inscription préalable » finissent par se heurter à un mur. Pour aller plus loin il leur faut lier les plateformes et les annuaires…chose qui pose problème car non prévue au départ.
On dit souvent qu’un tel projet est un levier du projet d’entreprise. Dans ce cas soit il doit concerner tout le monde soit il n’est qu’un appendice anecdotique du système d’information.