Résumé : avec l’arrivée du social software dans l’entreprise est né le rêve d’une collaboration auto-générée, auto-pilotée qui s’affranchirait de tous les cadres et les règles pour produire des résultats hors du commun. La vérité est toute autre et tout le monde en convient aujourd’hui. Devant l’abondance des choix le collaborateur est perdu d’autant plus que pendant longtemps la « proposition d’usage » du lui a été faite n’avait pas de sens par rapport à ses contraintes quotidiennes et ses objectifs. Tom Davenport nous suggère donc le limiter le périmètre collaboratif afin de renforcer sens et focus : des outils précis pour un temps donné et un objectif défini. SI ce mode de fonctionnement a fait ses preuves et semble aujourd’hui indispensable dans le travail quotidien et pour l’utilisateur lambda il ne faut pas jeter pour autant l’idée de l’entreprise « communautaire » fonctionnant par simple sérendipité : les deux se complètent mais ne concernent pas les mêmes tches, les mêmes sujets, les mêmes besoins. Mais il faut reconnaitre que l’option de Davenport concerne beaucoup plus de monde et, surtout, s’applique à améliorer ce qui est le plus vital et le plus directement lié à la création de valeur.
Avec l’arrivée des outils 2.0 dans l’entreprise est né le mythe d’une collaboration globale, organique, où chacun se mettrait à collaborer avec les autres pour non seulement faire son travail mais en plus réaliser des choses exceptionnelles, inattendues, hors des silos organisationnels. Et force est de reconnaitre que cela ne fonctionne pas. Ou du moins pas de la manière dont on l’espérait.
La raison en est simple et a souvent été traitée ici et ailleurs. Tout partait du caractère inéluctable et universel du réseau et des communautés. Or :
– le réseau est une chose à ne pas confondre avec les communautés…qui ne sont pas non plus des équipes.
– les communautés sont des communautés et n’existent que par le volontariat de ceux qui veulent créer des choses hors et en plus du flux de travail. Donc pas nécessairement la collaboration comme on l’entend traditionnellement.
– à l’inverse du web où les personnes utilisant un outil donné et ayant des pratiques communes se retrouvent pour réaliser des choses ensemble, l’essentiel du travail en entreprise se fait en équipes constituées ce qui impose d’unifier pratiques et outils au sein de ces équipes. La différence est énorme entre réunir ceux qui ont changé et changer ceux qu’on a réuni…
Le paradigme « 2.0 » est donc incomplet dans le cadre des activités de « production » traditionnelles si on ne l’amende pas quelque peu. Ce qui me rappelle deux choses :
Ce que j’appelle le paradoxe du parking de supermarché. N’avez vous jamais remarqué combien il est simple de se garer entre deux voitures sur un immense parking. On vise entre les deux…et c’est fait. Essayez la même chose au petit matin alors que le parking est vide. On hésite, on ne sait pas quelle place prendre, et au final on se retrouve toujours à multiplier les manœuvres pour bien se placer entre les lignes blanches. Et bien dans la collaboration c’est pareil : l’immensité des possibilités perd le collaborateur habitué à avoir des repères à tel point qu’il ne sait pas quoi faire, où et avec qui. Finalement ils en font même moins que dans le « vieux monde contraint ». La peur des grands espaces cela existe aussi.
On parlait dernièrement d’innovation avec quelques collègues pour benchmarker les bonnes pratiques. Je me souvenais de projets que j’avais mené dans le passé où l’existence d’une plateforme ouverte 365j / an arrivait à générer un flux acceptable mais où, pour booster les choses, on faisait régulièrement un focus sur un sujet, sur une période de temps donnée, avec communication adéquate et éventuellement récompense. Cela boostait les choses, le ciblage des idées et leur adéquation avec les besoins de l’entreprise. Ca n’était pas une alternative à l’activité traditionnelle de la plateforme au quotidien mais une seconde modalité qui coexistait avec la première. Ce qui explique également le succès des fameux « jams » d’IBM : un sujet précis, une période limitée, et des « animateurs » spécialisés sur le sujet. Toute la différence entre le fonctionnement communautaire et le fonctionnement en mode projet (ou commando pour ceux qui aiment les comparaisons imagées).
Ce qui nous ramène à ce récent billet de Tom Davenport. Pour ceux qui ne s’intéressent au sujet que depuis peu, sachez que Davenport a été, lors des premiers balbutiements de l’entreprise 2.0, ce que j’appellerai un « sceptique rationnel ». Il ne reniait pas le concept, voyait le besoin de collaborer autrement, mais doutait que cela fonctionne dans l’entreprise aujourd’hui. A l’époque, d’ailleurs, les débats McAfee vs. Davenport étaient le clou de nombreux événement en et hors ligne.
Davenport nous revient donc avec une idée pour le moins disruptive : faut il encadrer voire limiter la collaboration ? Surprenant à l’ère du tout réseau, tout social, tout collaboratif ? En fait pas du tout.
Davenport se borne à remarquer que pour l’essentiel des collaborateurs l’abondance d’outils et de possibilités entrainer davantage d’attentisme que d’action. Certainement pour les raisons évoquées plus haut. D’où l’idée d’encadrer la collaboration en donnant des outils à une équipe donnée, pour un temps donné et pour atteindre d’un but donné. Et ça, ça fonctionne plus souvent.
Guère surprenant donc de revoir Davenport de retour des débats 2.0 alors que, contrairement à ce qui se disait en 2006, on admet clairement aujourd’hui qu’il faut enrichir les business process quotidiens d’une couche sociale plutôt que croire que la main invisible s’occupera de tout. Une telle approche génère le focus dont je parlais plus haut.
Maintenant, cette approche est criticable dans la mesure où elle se substitue à la précédente. Comme je le suggère plus haut et comme je le disais ici et ici, il n’y a pas de rivalité entre les activités hors flux de travail liées au community management et les activités dans le flux qui sont davantage affaire de management tout court. Les premières concernent une partie finalement très réduite des collaborateurs sur la seule et unique base du volontariat, de l’envie, de l’intérêt, les secondes possiblement tout le monde car étant la manière dont on travaille au quotidien. Les deux sont compatibles, la seule chose étant de bien avoir en tête qu’un groupe de travail ou une équipe ne sont pas des communautés et ne se gèrent pas de la même manière.
L’alliance du réseau et du « communautarisme » a du sens car il permet de créer et renforcer des communautés sur la base d’affinités sur un sujet, fut-il hors de la fiche de poste d’une personne. L’alliance du réseau et du projet permet de mettre la bonne personne à la bonne place au bon moment.