Résumé : une des premières craintes qui nait lors de la mise en place d’un réseau social est que la liberté d’action et de parole accordée aux salariés finisse par se retourner contre eux. D’où l’idée de « sanctuariser » le RSE afin de rassurer le collaborateur qui sait que ce qu’il y fera ne pourra se retourner contre lui. Une idée a priori saine mais qui n’est pas sans poser de questions à moyen terme. Cela signfie-t-il qu’il ne puisse se prévaloir de son activité à son profit ? De plus, en faisant du RSE le seul endroit de l’entreprise où l’on n’a pas à assumer ses actes, n’y-a-t-il pas de risque de freiner les managers qui voudraient s’en servir comme vrai outil de travail et de productivité ? Un tel projet doit il tenir pour acquis l’absence de confiance entre entreprise et collaborateurs ou, au contraire, demande-t-il de travailler à la restauration de cette confiance afin que la question ne se pose pas ?
Quand on commence à penser au déploiement d’un réseau social, une des premières questions abordée dès lors qu’on ouvre le chantier de la gouvernance est celle de l’utilisation qui peut être faite de ce qui est publié dans le réseau en question. A priori on peut se dire qu’il s’agit d’un chantier logique et essentiel car si les collaborateurs ne sont en mesure de mettre en pratique ce qu’ils y apprennent en pratique dans leur travail quotidien le réseau n’a qu’une valeur minime. Mais ça n’est pas de cela qu’il s’agit. Il s’agit de la possibilité ou non pour l’entreprise d’utiliser les données partagées par les utilisateurs à l’égard de ceux-ci.
A l’égard ? Je dirai plutôt à l’encontre puisque la vraie question est de protéger le collaborateur contre une utilisation de ses propres propos à son encontre. C’est un enjeu de première importance. Lorsqu’on sait que la participation ne relève que du bon vouloir de chacun, avoir l’impression de s’aventurer au milieu d’un champ de mines ne facilite en rien les choses et, par conséquent, des dispositions explicites rassurant le collaborateur et engageant l’entreprise ne peuvent qu’être bienvenues.
Moralité, de plus en plus de chartes ou conditions d’utilisation précisent que « rien de ce qui sera dit sur le RSE ne pourra être utilisé par l’entreprise à l’encontre du collaborateur ». Mais est-ce vraiment une bonne chose ? Est-ce seulement pertinent ?
Je tenais à faire cette différence entre à l’égard et à l’encontre. Si l’utilisation de tels outils est, vue d’un point de vue purement RH, un atout dans l’identification des talents alors il faut se poser la question de ce qu’on fait une fois qu’on les a identifiés. Du coté du salarié rien ne sert d’avoir un moyen de montrer sa valeur ajoutée si ça ne change rien à terme. Autrement dit il serait logique que le salarié puisse se prévaloir de son activité pour montrer sa valeur ajoutée, sa disponibilité, son attitude collaborative lorsqu’on en vient à évaluer son travail, parler de sa carrière.
Peut être qu’on entend alors que les contenus du RSE peuvent être utilisés « en faveur » du salarié mais jamais en sa défaveur. A ce moment on voit pointer les discussions sur la discrimination : les salariés qui sont sur le réseau auraient donc un avantage par rapport à ceux qui n’y sont pas. Attention donc aux projets où l’on sélectionne les utilisateurs…. Si la participation dépend de chacun, il est donc essentiel de supprimer toute barrière à l’entrée et ne pas limiter l’accès de manière restrictive à une population donnée. En tout cas il est essentiel de bien préciser la chose.
Je vois une seconde limite à tout cela : l’impossibilité de se servir du RSE comme outil de travail et de collaboration stricto sensu. On peut juger un collaborateur par rapport à ce qu’il écrit dans un mail à un collègue ou un supérieur ? A des paroles prononcées en réunion ? On même eu le cas dernièrement d’une personne mise en cause pour propos tenus à la machine a café (et à caractère non professionnels). Et je ne crois pas que quiconque soit choqué lorsque quelqu’un doit répondre de mots, de paroles, tenus devant ses collègues. Pas plus que quelqu’un qui fait étalage à longueur de journée de ses limites professionnelles n’est surpris s’il n’a pas de promotion a la fin de l’année. Bref, dans un tel cadre où chacun pourrait se prévaloir d’une sorte d’immunité, peu de chances que le management voit d’un bon oeil l’utilisation de l’outil en question dans le cadre du travail quotidien. Ce qui réduit sa valeur, in fine, a pas grand chose.
En fait, quelque chose de plus important (ou grave) se cache derrière cette question. Cette dimension de la gouvernance de l’outil n’a pour autre but que lutter contre l’absence de confiance existant entre le collaborateur et l’employé (et ce dans les deux sens). Un avis renforcé par le fait qu’à ce qu’il me semble (mais je peux me tromper) je vois cette question apparaitre beaucoup plus régulièrement dans des projets français (pays où la relation à l’entreprise est, s’il en est, empreinte de défiance) qu’à l’étranger (ce qui ne veut pas dire que la question ne se pose pas ailleurs non plus). En agissant ainsi on soigne les effets du problème sans adresser le problème lui-même. Autrement dit on ne règle pas des questions de management et de culture d’entreprise par la gouvernance d’un outil. Aujourd’hui, pour faire avancer et évoluer l’entreprise, la question n’est pas de tenir pour acquis cette rupture entre l’entreprise et les salariés mais, au contraire, de faire en sorte que la crainte liée au sujet n’ait pas de raison d’être.
Chacun est habitué à être responsable de ses mots, comportements et écrits dans le cadre du travail. Sanctuariser le réseau social c’est prendre de facto le risque d’en faire un outil à usage non professionnel. Avec toutes les conséquences qu’on peut imaginer en matière d’utilisation et de valeur.