L’entreprise n’a pas besoin que de batisseurs…

Résumé : il est communément admis que l’entreprise, pour réussir, à  besoin de personnes qui « font », qui agissent. Mais cette logique, poussée à  l’extrême, n’est pas cause de progrès mais, paradoxalement,  de stagnation voire de régression. En effet, « faire » et « construire » signifie souvent ajouter à  l’existant sans prendre le temps de le détricoter même lorsqu’il est contradictoire avec ce qu’on désire mettre en œuvre. Avec une conséquence connue : un empilement d’injonctions, de règles et de processus contradictoires qui arrivent au résultat contraire à  celui désiré : perdus, les collaborateurs font tout sauf ce qu’on attend d’eux, ne prennent pas d’initiatives puisqu’elles enfreindraient nécessairement une règle ou, au contraire, font du non respect de l’organisation une règle de fonctionnement. Avant de construire, de btir, et au lieu d’ajouter, l’entreprise a avant tout besoin de personnes qui « nettoient » l’existant. L’entreprise de demain est une entreprise qui enlève, pas une entreprise qui ajoute.

Je parlais l’autre jour de la représentation mentale du manager qui empêchait toute évolution de son rôle.Je vais aller un peu plus loin dans la réflexion. Derrière tout cela il y a l’idée selon laquelle seulent  valent ceux qui « font ». Ce qui semble relativement logique. Par contre tout dépend de ce qu’on entend par « faire ».

Je ne reviendrai pas sur le fait que pour beaucoup « faire », signifie surtout agir de manière visible et micro-manager.

« Faire » c’est également laisser sa trace, son empreinte. Et là  ça n’est pas seulement une problématique individuelle mais collective car c’est toute l’organisation qui avance à  l’unisson. Le rôle du manager étant de faire que les choses fonctionne il prend les dispositions nécessaires. A niveau de l’entreprise c’est toute la strate managériale qui va dans la même direction : mettre en place ce qui est nécessaire pour régler les problèmes et avancer.

C’est là  que le bt blesse.

Quelque chose dysfonctionne ? Qu’à  cela ne tienne…On met en place de nouvelles règles, procédures et outils. Un problème se pose peu de temps après ? On applique la même recette. Et cela fait 10, 20, 30, 40 ans qu’on empile les couches d’outils et de règles qui rendent l’entreprise plus performante. A chaque fois avec la satisfaction du devoir accompli pour celui et ceux qui ont « fait », qui ont « construit ». Qui souvent ont ajouté leur rustine aux rustines que leurs prédécesseurs ont posé avant eux.

A l’heure où les entreprises s’engagent vers la voie de l’entreprise 2.0 ou du social business, nul doute qu’on suive le même chemin. Nouveaux outils et nouvelles règles qui vont faire en sorte puisque, sachant que c’est l’usage qui fait tout, les bons usages se mettent en place.

Il appartiendra alors au collaborateur de faire le tri entre les outils et arbitrer entre les 15 strates de procédures qui leurs prescrivent 15 comportements différents dans une situation donnée. On en arrive finalement à  des situations ubuesques où, soumis à  plusieurs obligations qui s’opposent entre elles, le collaborateur n’en respecte plus aucune.

Par exemple, très souvent on me demande « comment faire pour qu’une communauté fonctionne ». Ma réponse est en général à  des années lumières  de celle, tant attendue, qui pose le community manager en sauveur des dispositifs communautaires en manque de vie. Partant d’une définition stricte de la communauté, je reste convaincu que l’ajout d’un dispositif de facilitation peut aider lorsque les choses ont du sens mais ne peut créer de miracles. Autrement dit :

Si la communauté « existe » vraiment, elle fonctionnera quasiment seule.Un peu de facilitation et le tour est joué.

Si elle « existe » vraiment et ne vit pas, nulle raison d’ajouter des dispositifs qui font faire aller les individus contre la systémique et les règles de l’entreprise, voire contre leur propre intérêt. Dans ce cas le meilleur moyen n’est pas d’ajouter un dispositif mais se supprimer les barrières qui empêchent les collaborateurs de passer de l’envie à  l’action.

Si la communauté n’existe pas, rien ne sert de mettre en place un dispositif visant à  la créer. C’est l’intérêt pour un sujet qu’il faut faire naitre, le sentiment communautaire suivra et on se retrouvera dans un des deux cas précédents.

Pour dire les choses simplement, tout ce qui empêche les nouveaux modèles de fonctionner et la résolution des problèmes d’aujourd’hui est ce qu’on a mis en place pour résoudre les problèmes d’hier et n’a plus vraiment de sens aujourd’hui. Les exemples sont tellement nombreux…

Reprenons :

Ajouter de nouveaux outils ? On se rend compte que c’est davantage d’une nouvelle couche fonctionnelle totalement intégrée avec l’existant dont on a besoin.

Ajouter des dispositifs d’animation pour faire fonctionner les communautés ? C’est davantage les règles qui empêchent les communautés existantes de s’exprimer dans le cadre de l’entreprise qu’il faut alléger.

Ajouter des règles pour mettre du social dans les process et workflows existants ? N’a-t-on pas, plutôt, besoin de revisiter l’existant, y intégrer cette nouvelle dimension et supprimer les règles inadaptées aujourd’hui, plutôt qu’ajouter des contraintes nouvelles qui s’opposeront aux contraintes actuelles et produiront, au mieux, un jeu à  somme nulle ?

Faire c’est construire, c’est ajouter. C’est dans cet état d’esprit qu’on s’attaque à  tous les problèmes. Aujourd’hui peut être faudrait il changer d’approche et se dire que faire c’est peut être, avant tout, enlever.

On entend souvent que nos entreprises sont trop « lourdes », qu’il y a du gras à  enlever. Mais trop souvent ces mots sont prononcés en pensant aux Hommes plutôt qu’à  l’environnement qui conditionne leur travail et les empêche parfois de donner le meilleur d’eux-mêmes.

Bon, là  encore il y a loin de la coupe aux lèvres. « Quel est votre projet pour votre nouveau poste ? Qu’allez vous faire ?  » « Faire ? Rien. Défaire ? Beaucoup ». Convenez qu’on a tellement été habitué à  idolatrer les hommes d’actions, les btisseurs, que celui qui tiendrait un tel discours passerait pour un fainéant sans projet, sans vision,

Quoi qu’il en soit, le propre d’une entreprise 2.0 ou d’un social business sera certainement de savoir enlever et simplifier, pas d’ajouter et construire à  tout prix.

 

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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