Résumé : on est loin d’en avoir fini avec le community management en entreprise. Beaucoup plus complexe à mettre en œuvre qu’il n’y parait, ce type de dispositif produit des résultats pour le moins contrastées qui vont du pire au meilleur. A tel point qu’on commence à se demander çà et là si le jeu en vaut la chandelle, si le bénéfice est à la hauteur de l’investissement. Entre des dispositifs mal maitrisés, des doutes quant au rôle même du community manager, beaucoup d’entreprises sont dans l’expectative. Tout est au final affaire de projet et d’alignement opérationnel. Il y a deux types de dispositifs de community management : ceux qui sont la conséquence d’un projet qui intègre la communauté dans le fonctionnement de l’entreprise et ceux qui sont la résultante de la prise en compte du phénomène communautaire mais sans volonté de les incorporer de manière organisée dans des dispositifs de création de valeur (ou seulement avec les mots). Lorsque le community management n’a d’autre raison d’être que l’existence de communautés en dehors de tout projet d’entreprise il en devient inutile. Lorsqu’il correspond à une volonté de transformer le potentiel communautaire en capital mobilisable il prend tout son sens.
La question du community management en entreprise est encore loin d’être tranchée. Après l’époque du « tout est communautés » qui légitime l’arrivée d’armées de community managers dans l’entreprise puis celle du « community manager, bullshit de l’année » qui lui a logiquement succédé lorsqu’on a vu les limites du procédé et de sa mise en œuvre par, au mieux, des idéalises et, au pire, par des apprentis sorciers, on semble toujours nager en plein doute.
Les logiques de community management représentent un potentiel réel et indiscutables pour l’entreprise lorsqu’elles sont utilisées à bon escient mais ne sont pas la solution à tout et demandent un certain savoir faire malgré une apparente simplicité, ce qui fait qu’après le temps des promesses est rapidement venu celui des déceptions.
Déjà , pour commencer, il faut faire une distinction entre les discussions sur le community management et le community manager. Car si la logique de community management n’est pas à remettre en cause, c’est souvent la place, le rôle et le profil du community manager qui est sujette à interrogations. Si, pour ce qui est des relations externes, le community manager a encore de beaux jours devant lui, il y a un certain consensus pour reconnaitre qu’en interne la position est bien plus fragile.
Il est en effet logique d’estimer que d’ici quelques années les compétences du community management feront partie du bagage de chacun et qu’il n’y aura plus besoin de personnes spécifiques. Une thèse à laquelle je souscris totalement. Ce qui ne signifie pas pour autant, notez le bien, que j’irai comme certains prétendre que demain chaque manager va devenir un community manager. Ou en tout cas de manière exclusive. En effet, si, dans ses méthodes, son approche et son rapport à son rôle c’est un glissement inévitable de la manière d’opérer, le rôle du manager ne peut se satisfaire de cette seule dimension. La fixation d’objectifs, le pouvoir de sanction et d’injonction, même utilisés différemment, doivent continuer à faire partie de la boite à outil du manager qui va devoir articuler les deux dimensions. Ce qui est loin d’être facile.
Ensuite il faut garder en tête qu’il n’y a pas de consensus sur le niveau de responsabilité d’un community manager. Du senior en charge de piloter un dispositif global sans y être nécessairement actif et leader au junior qui fait du bruit en parlant dans le poste pour occuper l’espace, on a tout vu. A tel point qu’on a essayé de formaliser ces différents niveaux entre le « community manager », le « social media ou community director » etc… Une seconde erreur a été commise en France où on a confondu « management » (ce qui revient à la notion de pilotage) et « animation » (le jeune qui parle dans le poste) ce qui nous vaut encore, pour un même poste, d’avoir des types de profils totalement différents selon les entreprises….et les pays.
Ces précisions apportées, revenons à la question qui préoccupe beaucoup de personnes au regard des résultats souvent aléatoires observés çà et là : le community management sert il à quelque chose, le gain en vaut il la peine ou vaut il mieux laisser les choses se faire seules voire pas du tout ?
La réponse tient en une analogie : le community management est le cholésterol de l’entreprise.
On sait tous qu’il y a le « bon » et le « mauvais » cholestérol. Le premier est essentiel et ce besoin physiologique nous amène à nous alimenter d’une manière. Le second est mauvais pour la santé, ne correspond à aucun besoin et est causé par l’alimentation. Entre les deux la différence est faible et tient en quelques mots : répondre à un besoin ou être une conséquence non désirée. Ce qui fait de l’aliment un bienfait où quelque chose à éviter. Remplacez cholestérol par community management et alimentation par communautés et vous avez saisi la nature du problème.
Comme je le disais dans un billet précédent, ne crée pas des communautés qui veut et aider celles qui existent vraiment et ainsi qu’une sensibilité communautaire plutôt que des communautés elles-mêmes peut sembler plus rationnel en termes d’allocation des ressources. L’exemple de CISCO cité dans le même billet nous montre comment la superposition de dispositifs communautaires lourds et des dispositifs organisationnels existants peut rapidement s’avérer contre productif au point d’abandonner le communautaire, en tout cas tel qu’il avait été pensé dans ce cas précis. Dans le même ordre d’idée, certains commencent à émettre l’idée que dans un contexte économique de concurrence forte où la rapidité d’action et de décision est clé, ces dispositifs sont une réelle perte de temps et nuisent à l’efficacité de l’organisation. La vérité se situe certainement dans l’équilibre subtil à trouver entre les deux et dans la conception conjointe et intégrée de l’ensemble plutôt que dans la superposition de dispositifs aux objectifs parfois antagonistes mais on ne peut empêcher la question de se poser. Je me souviens d’ailleurs, au début de la crise, d’une entreprise qui voyait dans l’approche communautaire une manière d’occuper ses salariés en période de basse activité…étant plus convaincu de l’intérêt de leur donner un « os à ronger » que de celui du dispositif lui-même en tant que levier de performance.
En fait on peut observer deux types de dispositifs communautaires : ceux qui arrivent comme une conséquence, un moyen au service d’un plan opérationnel construit et ceux qui sont mis en place parce qu’il y a des communautés et qu’il faut bien faire quelque chose. Dans un cas ils servent l’entreprise dans l’autre ils finissent par devenir leur propre objectif, le community management n’opérant au final qu’au service et comme justification…du community management.
Pour ce qui est de l’approche stratégique du community management comme un dispositif aligné avec les besoins de l’entreprise et faisant des communautés un capital, un potentiel que l’entreprise va réussir à mobiliser de manière organisée au travers de processus et de bonnes pratiques, je vous renvoie à ce que j’ai pu écrire sur le billet ainsi que vers les excellentes productions du Community Roundtable.
Pour ce qui est de l’approche inverse, référons nous à des exemples que beaucoup (la majorité ?) d’entre nous a déjà pu observer. Il y a des communautés latentes dans l’entreprise donc mettons en place un dispositif de community management. Et malgré les efforts des uns et des autres, rien n’est fait pour que l’entreprise apprenne des communautés, qu’elles contribuent à enrichir son capital immatériel, voire, comme on en parle de plus en plus, que les dites communautés viennent améliorer l’exécution de certains process qui générent tellement d’exception que seul l’intelligence collective arrive à pallier à leurs limites. (Lire ici sur la notion de processus dans l’entreprise 2.0). Concrètement parlant, je me rappelle d’une communauté d’échange de best practices en lien avec un projet stratégique d’entreprise qui produisait énormément de valeur intrinséquement mais était d’une réelle inutilité car les personnes en charge du pilotage du projet n’avaient que faire de ce « gadget » et se refusaient à lui prêter la moindre oreille. Dans cette hypothèse on se doit, avec tristesse, de reconnaitre que l’énergie investie dans le community management ainsi que celle des participants l’a été en pure perte et qu’au final les personnes concernées auraient gagné à employer leur temps à autre chose.
Remarquons que cela vaut également en matière de relations externes. C’est la différence entre construire un dispositif de création de valeur qui va, a un moment donnée, s’appuyer sur des communautés de clients, d’influenceurs etc… et se dire « on a des communautés, manageons les » sans qu’on serve trop ce que cela rapporte à l’entreprise d’autre que de dire « on a quelqu’un qui s’occupe de ces gens là » mais sans s’imaginer une seconde que « ces gens là » puissent servir à quelque chose. Et en général c’est le community manager qui trinque face au public…et même face à sa hiérarchie.