Attention à  la bulle du réseau social et du « 2.0 »

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Résumé : existe-t-il un risque de bulle interne liée au 2.0 et à  tous ses avatars. On ne parle pas ici de bulle des éditeurs mais bel et bien d’une bulle de la valeur des projets. Pourquoi ? Après des années d’efforts, d’investissements, les bénéfices retirés des projets, même tangibles et réels ne sont pas à  la hauteur des investissements consentis. La raison en est simple : on voit les nouvelles pratiques comme un comportement de surface alors qu’elles contribuent à  enrichir le capital immatériel de l’entreprise. Avec une conséquence directe : le mode de fonctionnement de l’entreprise n’est pas modifié pour en tirer partie, pour rendre « scalable » cet enrichissement de l’existant et, de fait, un investissement global ne produit ses effets que sur des périmètres très locaux sans que les choses soient faites pour que ces derniers soient généralisés. Le risque qu’un jour tant les bailleurs de fonds internes que les salariés qui se sont investis et n’ont pas eu le retour attendu se démotivent est donc plausible.

Avec la prochaine vague d’entrées en bourse qui va concerner des entreprises du « web 2.0 » et plus spécialement des réseaux sociaux et leurs différentes variantes, beaucoup se demandent si on ne va vers une nouvelle bulle. Une crainte réelle lorsqu’on regarde la vérité des chiffres et du business model de certains mais qui ne sera certainement qu’un nécessaire assainissement, un rappel à  l’ordre et n’aura rien à  voir avec ce qu’on a connu il y a dix ans. Les entrepreneurs ont appris, les investisseurs aussi et, contrairement à  l’époque, il y a des utilisateurs sur le web qui font office de clients pour les uns ou de produit à  monnayer pour les autres.

Mais qu’en est il de l’entreprise. A une exception près, les entrées en bourse sont loin pour les acteurs du monde des réseaux sociaux d’entreprise (en tout cas pour les pure players qui n’y sont déjà  pas). On en tirera les conclusions qu’on en veut car ça n’est pas le sujet. Ou plutôt ça n’est qu’une partie du sujet car leur valeur dépend plus ou moins directement de la valeur générée chez leurs clients et là  les choses se compliquent. Et ils n’en sont que moyennement responsables, n’ayant rien ou pas grand chose à  dire à  la manière dont les entreprises utilisent leurs produits. Produits qui ne sont qu’un élément d’un puzzle beaucoup plus complexe.

Et la vraie question est là  : après des années d’investissement non seulement en logiciel mais en temps, en énergie pour déployer des projets qui ne sont pas sans impact non plus sur l’allocation du temps des collaborateurs, le temps va venir où les bailleurs de fonds vont demander des comptes. Au fait à  quoi cela a-t-il servi ? Et même si on quitte le modèle traditionnel du ROI les cas seront nombreux où, derrière les indicateurs d’activité (et encore faudrait il que 50% de l’activité ne vienne pas des community managers et autres « ambassadeurs »), on aura bien du mal de montrer quoi que ce soit de tangible et mesurable (ou en tout cas évaluable). Ou en tout cas rien qui soit à  la mesure de ce que tout cela aura coûté (il y a de nombreux faux frais dans ce type de projet et l’impact de l’inconfort des uns, du temps mal utilisé des autres, des frustrations, démotivations, luttes intestines et j’en passe ne sont pas les moindres).

Dans l’état actuel des choses, l’essentiel de tels projets accroit ce qu’on appelle le capital immatériel de l’entreprise. Compétences des uns et des autres par échange de « best practices », savoir disponible « capté » au gré des conversations, potentiel relationnel dont on sait qu’il est essentiel pour mieux travailler ensemble etc. Ironiquement, nombre d’entreprises n’ont même pas conscience de travailler à  ce point en profondeur et ont l’impression de n’œuvrer qu’à  la surface. « Ils partagent, ils échangent, ils se connectent…et bien tant mieux ! ».

Avec ce second point de vue on laisse les chose en l’état et on essaie de maintenir la dynamique. Mais on crée un système qui n’est pas utilisé par tous, pas de la même manière, un système qui est en concurrence avec les modes de fonctionnement existants et un système encore fragile susceptible de rapidement péricliter dès que son sponsor ou ses leaders sont affectés à  d’autres fonctions ou quittent l’entreprise.

Si on a, par contre, conscience d’augmenter le capital immatériel de l’entreprise on comprend vite que d’une part, on accroit la valeur de cette dernière et, d’autre part, qu’il faut un système pérenne permettant une utilisation optimale du dit capital, aujourd’hui et dans le temps. Tout gestionnaire avisé vous dira d’ailleurs que le capital, lorsqu’il n’est pas utilisé, n’est qu’immobilisation en pure perte. Il s’agit donc de faire en sorte que les pratiques développées, savoirs rendus accessibles et disponibles etc.. soient utilisés de manière générale, à  l’échelle de l’entreprise et de manière non-optionnelle. S’il y a une meilleure manière de faire quelque chose soit tout le monde l’utilise soit c’est du gchis (la divergence de modes opératoires pouvant elle même causer assez de dégats pour qu’il soit parfois préférable que tout le monde opère selon un standard moyen que d’avoir ceux qui font très bien d’un coté et ceux qui font pas trop mal de l’autre).

Autrement dit, tant que dans une entreprise, best practices et savoirs ne seront que l’apanage de quelques happy fews (fussent ils des milliers), soit parce que les autres campent sur leurs acquis soit parce que rien n’est fait pour les impacter et qu’ils sont tenus dans l’ignorance de ce qui se passe ailleurs, l’entreprise y gagne peut être, un peu, localement, mais le gain global est faible. Et il est d’autant plus faible que l’effort consenti pour que tout cela émerge l’a été globalement. En somme on dépense partout pour que quelques uns en tirent profit sans assurer aux autres un retour leur permettant de bénéficier (de manière contrainte ou non) des avancées faites par ailleurs.

Comme le dit Mary Adams, le grahal de l’économie du savoir est le capital structurel. Qu’entend on par là  ? Qu’il s’agit de rendre « scalable » le capital savoir ce qui impose de le rendre re-utiisable et, surtout, réutilisé. Ce qui nous ramène aux questions relatives au contenu du travail, aux process à  revisiter etc…

Ce disant, le risque d’une bulle de la collaboration, du 2.0, ou du « social » est bien réel. Dans de nombreux cas, si résultats évaluables il y a eu, ils ne sont qu’embryonnaires en termes de périmètre au regard de l’effort consenti et rien n’est fait pour y remédier.

Autrement dit, tant qu’il n’y aura pas une approche structurelle de ces processus de changement le risque perdurera de voir les bailleurs de fonds internes demander des comptes et devant la vacuité des réponses, jeter le bébé avec l’eau du bain. Et quand bien même ils décideraient de poursuivre l’aventure, c’est les salariés, n’obtenant pas grand chose en retour de leur investissement en raison de mécanismes inadaptés qui peuvent également décider de jeter l’éponge.

Alors que certains se demandent si tous ces dispositifs, bien qu’utiles, ne sont pas au final contre productifs au regard des ressources et du temps consommés, il semble urgent de recadrer rapidement les choses en se focalisant sur la valeur et la scalabilité.

 

 

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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