Et si on en finissait avec les organisations fantômes improductives ?

Résumé : l’entreprise va devoir faire évoluer son modèle organisationnel et managérial. Projets, pilotes, initiatives diverses pullulent afin d’expérimenter, apprendre, comprendre. Mais quel est le temps raisonnable de la période de ce qu’on nomme souvent les « bacs à  sable » ? On a souvent coutume de dire que cela doit durer le temps que cela doit durer mais il y a un risque réel qui grandit avec le temps. Nombre de projets ne font ni plus moins que créer des organisations fantômes au sein de l’entreprise, organisations qui sont parfois en compétitions les unes avec les autres et quasi systématiquement avec le fonctionnement « officiel » de l’entreprise. Au final personne ne gagne dans ce jeu à  somme nulle lorsqu’il dure trop longtemps : l’entreprise perd en performance immédiate, le projet peine à  réaliser sa promesse et le collaborateur se démotive. Il est essentiel qu’à  un moment donné l’entreprise se réaligne sur les projets qu’elle a enfanté sous peine de tout perdre.

S’il y a un consensus sur le fait que nos organisations ne sont plus des modèles d’efficacités et que les choses ne s’améliorent pas avec le temps, cela ne va guère plus loin. A la limite on peut dire qu’il y a une relative convergence quant au modèle futur mais entre les différentes approches et le courage nécessaire pour en tirer toutes les conclusions, on est encore dans une phase un peu nébuleuse. Quant à  savoir quel chemin prendre pour y parvenir, là  c’est le grand Barnum. Par le haut, par le bas, par les deux cotés, de manière dirigiste ou facultative, en mode évolutionnaire ou révolutionnaire…. Il parait que tous les chemins mènent à  Rome, espérons que c’est vrai. Ce qui quelque part semble logique : sur des projets qui font la part belle à  l’Homme (à  la fois comme objet, levier et sujet) on ne peut négliger le passé, la culture etc…

Si on résume, l’organisation en mode « push » a vécu. Vive le « pull ». Conséquence, l’essentiel de ce que l’on nomme management est de compliquer la vie des salariés (ça n’est pas de moi mais de Peter Drucker…et j’y souscrit en grande partie). Cela amène au besoin de renverser la pyramide, et de le faire de manière intelligente et productive et me rappelle une anecdote tirée de l’expérience de Vineet Nayar. Au début il a posé les premières briques de cette organisation conçue pour servir ceux qui créent effectivement de la valeur avant de se rendre compte des limites de sa démarche. Tout ce qu’il construisait s’appliquait et reposait sur l’existant, sur des systèmes et des processus conçus pour être descendants. D’où une démarche visant non plus à  poser un cautère sur une jambe de bois mais à  créer, pas à  pas, un système cohérent par rapport à  ses objectifs.

Jetons maintenant un œil sur les démarches de type entreprise 2.0 ou social business. Dans combien de cas se sont elles accompagnées d’un travail de reconfiguration de certains process, d’une réflexion sur la traçabilité de la valeur, sur les modalités d’évaluation des uns des autres ? Bien sur, nous sommes devant un phénomène jeune et « émergent » comme on dit. Mais comme je l’ai encore entendu la semaine dernière de deux personnes que l’on peut considérer comme des convaincus, des « advocates », des ambassadeurs des projets menés dans leurs entreprises. « A force d’être jeune ça commence à  devenir vieux ». « Ok pour que ce soit un peu chaotique au début…mais là  ça fait 5 ans qu’on expérimente dans tous les sens, qu’un projet succède à  un autre mais ‘au dessus’ ils ont toujours pas compris qu’il fallait siffler la fin de la récré et mettre les choses d’équerre ». « Franchement, j’en ai marre de me battre. Vu a quoi ça sert je pense avoir pris assez de coups comme ça ».

De quoi parlaient ils ? Du fait que ces projets génèrent des modes de fonctionnement et des structures qui vont, selon les cas, contre l’organisation officielle, en compétition avec elle, voire des projets internes qui sont en compétition les uns avec les autres.

Contre l’organisation officielle : pas difficile de comprendre que lorsqu’on demande aux collaborateurs d’agir d’une manière…tout en leur demandant d’agir d’une autre, on les met dans une situation d’inconfort profonde. Par rapport à  eux, à  leurs collègues mais également leurs managers. Et encore…je n’emploie pas le mot risque. Pour porter un changement qui leur tient à  cœur ils se mettent en porte à  faux, font parfois des choses « en double », changent leur manière de fonctionner selon la personne avec qui ils échangent. Alors bien sur il suffit de sensibiliser le management. Mais comme me le disait un manager dernièrement : « j’y crois à  ces nouvelles formes d’organisation, mais tant qu’on me demande d’obtenir tel résultat de mes équipes, je ne peux pas faire autrement que leur demander d’utiliser leur temps d’une certaine manière. Me sensibiliser c’est bien, mais si on veut que je change la manière dont je mesure l’activité de mon équipe il va falloir qu’on change la manière dont on me mesure moi-même. »

Compétition de systèmes et de projets : on est pas dans l’opposition frontale des flux d’autorité, d’information et de fonctionnement comme ci-dessus mais ça ne vaut guère mieux. Les cas de compétition  entre différents projets « sociaux »  sont nombreux. Je connais un « ambassadeur » membre d’une demi douzaine de projets et plateformes internes. Tout convaincu qu’il est il a laissé tomber en attendant soit un choix de plateforme unique soit qu’elles deviennent intéropérables. Déjà  que la multiplication des outils est une vraie plaie, il y a également la question de l’attention. Faire partie des pionniers demande un surcroit d’investissement, de temps…et devoir se démultiplier quand on est un collaborateur « lambda » est tout sauf facile.

Non seulement ces situations nuisent à  la performance de l’entreprise mais également à  celle des projets concernés. Au final l’entreprise n’avance pas alors que les projets en question peinent à  prouver leur potentiel. Dans un jeu à  somme nulle où tout le monde reste au milieu du gué il n’y a que des perdants.

Cette tendance semble toutefois lourde. Soit parce que la nouvelle forme d’organisation a été intellectuellement pensée contre l’ancienne davantage dans une logique de rejet que de progrès, soit par manque de soutien, soit par manque de courage voire de moyens. Le meilleur exemple est l’aveuglement communautaire.

La communauté a été le cheval de Troie du changement…et le reste encore. Elle a l’avantage, si on s’en tient à  une définition stricte, de ne reposer que sur le volontariat et être déconnectée des logiques d’exécution…ce qui évite de toucher à  ce qui compte et y changer quoi que ce soit. Son mode de fonctionnement est l’antithèse du modèle hiérarchique vertical descendant ce qui satisfait la fibre Woodstockienne de certains également. Et au final ? Peu de résultats proportionnels aux efforts car l’intérêt de la communauté est, justement, qu’elle laisse le reste en l’état. Mais bien sur il n’est pas question de toucher aux processus car c’est compliqué et même « sale » à  l’heure du tout humain. Finalement on décrédibilise peu à  peut un concept pourtant formidable lorsqu’utilisé à  bon escient. Heureusement, on commence à  comprendre qu’il faut laisser les communautés être des communautés et enfin travailler sur la structure et le système dans lequel elles opèrent. Ca n’est pas CISCO qui dira le contraire.

Bref, l’organisation de demain sera agile, LEAN par certains aspects. C’est une organisation qui enlève des contraintes au lieu d’en ajouter. C’est une organisation qui apprend à  mieux combiner plutôt qu’à  ajouter. Pas sur qu’on y arrive en la peuplant d’organisations fantômes qui jouent contre elle. Attention, la solution n’est pas d’éradiquer ces projets, mais de faire en sorte que l’entreprise qui les a fait naitre, les a désirés, aille au bout de ces idées plutôt que jouer contre ses enfants. A un moment donné, pour éviter d’être contre productif, ll faut réaligner l’entreprise sur l’objectif qu’elle poursuit à  travers ces initiatives et fédérer ces dernières.

 

 

 

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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