Résumé : on parle beaucoup de la réputation comme d’une nouvelle monnaie dans des dispositifs fondés sur l’échange, la confiance, la collaboration. Logique une certaine mesure mais raccourci facile si elle permet d’éviter d’aborder la question de la rémunération de la contribution pour des populations qui n’en sont pas encore dans la recherche de la reconnaissance mais la satisfaction de besoin plus basiques. La réputation est davantage une matière première qui servira à construire de nouveaux dispositifs qu’une monnaie alternative.
On l’entend beaucoup dire et répéter çà et là : la réputation est la nouvelle monnaie d’un monde et d’une entreprise fondés sur la collaboration, le partage, le fonctionnement en réseau. Un raccourci à la fois logique et facile.
Logique puisque dans des systèmes de collaboration dits « émergents » la confiance est essentielle pour que les choses se mettent en place. Et la réputation y contribue. Elle ne se substitue pas à la confiance mais peut agir comme un accélérateur. Dans le même ordre d’idée, des systèmes favorisant l’empowerment et l’intrapreneuriat, faisant du salarié une entreprise dans l’entreprise nécessitent une logique de marque personnelle dans laquelle la réputation joue son rôle. Hors de l’entreprise également puisqu’elle contribue à séparer le bon grain de l’ivraie sur un internet où chacun est acteur et peut avoir à justifier sa légitimité. Enfin, dans un monde connecté, elle est un facteur de propagation de l’identité et, le cas échéant, des pensées des uns et des autres.
Raccourci facile puisque dans dans un système « social » ou « communautaire » qui nécessite la participation du plus grand nombre, les logiques de rémunération, de récompense liés à la contribution des uns à la réussite des autres restent très mal définies (pour ne pas dire tabou). D’où la facilité : la récompense est dans la construction de la réputation des uns et des autres. Effectivement, qui n’a pas envie de voir son travail, sa contribution reconnue et sa réputation se construire. D’ailleurs Maslow nous le confirme : c’est effectivement un besoin placé assez haut dans sa célèbre pyramide des besoins. Mais quelle réalité derrière cette image angélique ?
Pour que Maslow ait raison il vaut tout d’abord que la personne en question ait gravi les premières marches de la pyramide. Il est simple de tenir le discours « réputation = monnaie » lorsqu’on est, dans sa situation professionnelle, à un niveau où la question des besoins de base est réglée. C’est le cas de tous ceux qui parlent du sujet (dont votre serviteur d’ailleurs), qu’ils soient praticiens en entreprise, consultants ou autres… Mais lorsqu’il s’agit d’impliquer tout le monde dans la démarche, tous les niveaux de l’entreprise, on s’adresse à des personnes à qui on demande rarement leur avis et n’ont ni blog ni conférences pour donner leur point de vue sur le problème. Oui…mais c’est une économie du partage et du don. Encore faut il avoir quelque chose à donner ou partager. Et encore faut il avoir les moyens de se donner du temps pour le faire car ça n’est pas parce quelque chose est gratuit qu’il ne coûte rien. Situation devant laquelle nous ne sommes pas tous égaux. Comme on me le disait encore il y a peu : « c’est plus simple de contribuer gracieusement quand tu as un boulot que lorsque que tu crains de le perdre, n’est pas sur de le garder ou que tu te demandes comment joindre les deux bouts à la fin du mois ». Essayez donc de payer votre loyer en réputation et vous mesurerez l’étendue du problème…
Et une monnaie avec laquelle on vous paie mais qui ne permet pas de payer quoi que ce soit….c’est une monnaie de singe.
Je citerai également François Elie que j’ai eu la chance de voir intervenir il y peu : « dans les communautés il y ceux qui produisent et ceux qui sont payés pour le travail fourni. Sauf que c’est pas les mêmes[…] le système ne peut pas changer d’échelle si on se limite à payer avec des ‘merci’ « .
Alors, la réputation, une nouvelle monnaie ? Certainement pas. Plutôt une matière première sur laquelle btir de nouveaux dispositifs RH, collaboratifs etc… Et a condition qu’elle ne serve pas d’échappatoire facile pour oublier les problématiques liées à la confiance pour sombrer dans un marketing personnel qui, dévoyé, peut rapidement devenir malsain et contre-productif.