Si c’est important mesurez le. Si c’est nouveau construisez un nouveau référentiel

Résumé : quand le monde et l’économie se transforment, les référentiels existants sur lesquels on base notre réflexion et notre système de décision deviennent obsolètes. Pour s’adapter à  son contexte présent et futur l’entreprise ne doit pas seulement avoir la vision de ce qu’elle doit devenir mais l’implémenter dans le quotidien des collaborateurs. Non pas superposer deux modèles opposés histoire de laisser la porte ouverte au changement sans prendre le risque de toucher à  l’existant mais remplacer l’un par l’autre. Ce qui n’a de sens que si le collaborateur est doté d’outils et d’indicateurs qui valorisent et récompensent les actions qui sont cohérentes avec le nouveau modèle et non plus avec l’ancien. Ce qui permet également de mesurer l’impact du changement et mesurer le chemin parcouru. Quelque chose qui n’arrive jamais dans les projets entreprise 2.0 faute de réflexion sur les nouveaux référentiels. Heureusement, des exemple provenant d’autres types de projet nous montrent que lorsqu’on veut se donner la peine, le changement est possible et mesurable.

 

J’ai dernièrement été invité par Danone à  discuter sur l’actualité de leur programme de responsabilité environnementale ce qui, aussi bizarre que cela puisse paraître, a été hautement instructif en matière de transformation organisationnelle avec des parallèles évidents avec les logiques d’entreprise 2.0 ou social business. Comment cela est il possible ? Lisez plutôt ce qui suit.

Danone a, comme beaucoup d’entreprises, compris la que la question environnementale allait être centrale dans son business. C’est à  la fois une réalité culturelle qui n’a rien de nouveau (souvenons nous qu’Antoine Riboud disait il y a plus de 30 ans que la responsabilité de l’entreprise ne s’arrêtait pas à  la porte de l’usine) et bientôt une réalité économique. Il y a en effet fort à  parier que demain le carbone sera monétisé et qu’en effectuer une gestion efficace est source d’un avantage compétitif certain.

Comment s’y est pris Danone ? Tout d’abord en affirmant fortement cet attachement dans ses valeurs et son projet d’entreprise, et ce largement avant que la question environnementale ne devienne à  la mode. Quiconque fréquente l’entreprise témoignera que les concepts de double projet ou triple bilan sont une réalité et une préoccupation partagée par tous. Ensuite il s’agit d’incarner la démarche, aller au delà  des déclarations et transformer le discours en action. Pour cela Danone a nommé un VP Nature. La préoccupation environnementale a donc droit de cité au sommet du groupe. Mais puisqu’il s’agit d’une entreprise, qu’il y a des réalités économiques derrière tout cela et qu’il s’agit de changer la perception qu’on a de la valeur on y a ajouté un Directeur Financier Nature. La logique est évidente : nous entrons dans un monde où des choses qui étaient accessoire avant deviennent stratégiques. Il s’agit donc de les intégrer dans le calcul de valeur afin que ce qui ressemble à  un coût avant l’ancienne vision devienne un investissement et une opportunité dans le monde de 2012.

L’entreprise a donc inventé les « green capex », des choses très concrètes à  mettre en place pour traduire cette vision et cette conscience dans le business. Avec une recherche de ROI sur 3 ou 5 ans pour se donner du temps, pour apprendre. Mais pour cela on manquait d’indicateurs pertinents. On aurait donc pu dire que tout cela n’était pas mesurable avec, in fine, la conséquence qu’on imagine : projet qui devient lettre morte car on est incapable d’en voir l’impact et car personne ne voit ni sa contribution personnelle au travers de ses choix ni même le sens économique de changer son modèle de raisonnement et de décision.

Danone a donc travaillé à  la conception de nouveaux modèles permettant de mesurer l’impact de son activité en termes de carbone et les conséquences financière à  court et long terme de l’ensemble. Expérimentations sur le terrain, mise en perspective de nouvelles données, travail empirique puis modélisation : l’entreprise a décidé de mesurer ce qui comptait…puisque cela comptait. C’est aussi simple que cela.

Tant qu’à  faire cela a permis autre chose : la réduction de l’empreinte carbone fait partie du dispositif de mesure et d’évaluation des dirigeants. Comme ça chacun, à  son niveau, dans sa business unit, dans son métier, est concerné.

Maintenant reste à  donner du sens. Et c’était la raison de cette rencontre. Donner du sens c’est faire comprendre à  chacun son rôle, son impact, sa contribution au projet. C’est aussi, devant deux choix, l’un économiquement performant dans l’ancien modèle et l’autre dans le nouveau, faire en sorte que le collaborateur fasse le bon sans avoir l’impression de mettre en péril la performance de l’entreprise et sacrifier son évaluation personnelle.

Pour cela Danone a co-innové avec SAP afin d’intégrer ce nouveau modèle dans ses outils de gestion, dans son système de management de la production. Il s’agissait d’implémenter le nouveau modèle dans le quotidien, dans le flux de travail et d’éviter la schizophrénie. Pas de contradiction ici : il y a désormais un modèle unique, une vision unique et non pas un idéal vaguement superposé à  une réalité opérationnelle qui n’a rien à  voir avec lui. Et tous les indicateurs, les outils de mesure, les outils supportant la gestion des processus le prennent en compte. SAP a donc fourni la technologie et Danone son capital savoir, sa propriété intellectuelle diront certains.

Quel rapport avec les projets « entreprise 2.0 » ?

On voit bien que les facteurs clé de succès sont à  peu près les mêmes.

Quelque chose d’ancré dans les valeurs de l’entreprise

Un projet visant à  changer de modèle et non pas à  faire coexister un ancien et un nouveau

Des sponsors de haut niveau qui ne vont pas sauter du train en marche dès que le changement va devenir trop impactant.

L’implémentation du nouveau modèle au cœur des flux de production

En l’absence d’un référentiel de mesure pertinent, facteur de sens, de cohérence et d’alignement, faire l’effort et engager les ressources nécessaires pour en construire un.

Etre cohérent jusqu’au bout en fonction de l’adage « on travaille comme on est évalué ».

Ne faire appel à  la technologie qu’au moment où elle s’impose et la limiter au rôle qui est le sien. Comme l’ont dit les gens de l’informatique Danone « Le DSI doit comprendre comment la vision business va impacter les systèmes à  venir »

Mais se donne-t-on tout se mal pour les projets de transformation dont nous parlons ? Non. Certainement d’ailleurs parce qu’ils ne sont vu ni comme des projets de transformation ni des projets d’entreprise. Le sommet de l’entreprise est parfois informé, initiateur, rarement impliqué. On descend rarement jusqu’aux flux de production, on ne fait rien pour changer les critères de décision et d’arbitrage et on se contente d’ajouter des communautés à  l’organisation existante. Et surtout aucune mais absolument aucune réflexion n’est menée sur les référentiels de mesure, la question de la valeur, sur ce qui est vraiment un coût et un investissement dans un monde qui n’a plus rien à  voir avec celui pour lequel les référentiels actuels ont été conçus, les externalités, l’impact a moyen/long terme. Je ne prend pour exemple que la nécessaire réflexion sur la valeur du temps… Ah bien sur cela demande de réinventer les choses, de challenger des choses prises pour acquises.

Est ce que Danone en serait arrivé là  en commençant son projet par la dimension ERP ? Non. Est ce que créer des communautés internes et externes sur le sujet (en fait ces communautés existent mais je ne pense pas que Danone les ait créé, elles existent et on du sens du fait même de l’ADN et du projet d’entreprise…) aurait suffi en se disant que l’équation système de production hautement carbonifère + communautés green et responsables pour compenser = changement du cours de l’histoire. Bien sur que non. Et si on avait laissé chaque entité développer son propre système de gestion, son propre référentiel, son propre ERP sans cohérence globale à  l’échelle de l’entreprise ? Non plus. Et si on avait pas inclu l’objectif carbone dans l’évaluation des dirigeants ? Surement pas. Et la la DSI raisonnait en termes d’outils et pas en termes de compréhension de la vision business sur les systèmes informatiques ? Pas plus.

On continue la liste ou la messe est dite ?

La vérité est que l’approche « bisounours » des projets de transformation est encore très, trop présente. Changer sans changer. Reculer dès qu’il y a risque de trop impacter le collaborateur. On ne donne aucun sens économique au projet. On joue sur l’envie et la passion sans prêter attention au besoin de rationalité du système. On ne touche pas à  la structure même du système qu’on veut changer.On veut changer des comportements mais avec un système d’évaluation qui repose sur les comportements qu’on veut voir disparaitre (mais d’ailleurs…le veut on vraiment ?). On évite toute forme de gain opérationnel en évitant de descendre sur le système de production et, dès fois que cela arrive par hasard, de toute manière on ne mesure rien en ce sens. Bref, on fait dans la demi-mesure et on s’étonne que finalement la promesse n’est pas tenue.

Après, les chiens ne font pas chats, selon l’expression consacrée. Danone est également très avancé coté Social Business (les deux social business  : le coté collaboratif et le coté sociétal) et sans surprise : ils sont partis d’un projet d’entreprise, ont travaillé la composante humaine, RH, comportementale et managériale pendant des années avant de parler logiciel. La « Networking Attitude » est un pilier du management de l’entreprise, un programme de formation et de changement, une valeur testée (tout comme l’approche sociétale) lors des phases de recrutement. Et c’est par hasard une des seules entreprises où j’ai vu l’outil arriver longtemps après le projet, où les RH ont été leaders et on expliqué leur vision à  l’informatique sur tout ce qui touche à  l’adoption, au sens de l’outil dans la vie du collaborateur etc..

Deux autres détails dont les entreprises devraient également s’inspirer :

– dans ce projet de co-innovation avec SAP, Danone a en quelque sorte investi sa propriété intellectuelle, un asset incomparable constitué par le travail sur la mesure et la valorisation du CO2 dans la chaine de valeur. Sans que cela ne pose de problèmes profond : l’important est d’aller vite, se créer un avantage compétitif et garder un coup d’avance. Ne pas partager, sur cette question, aurait causé des délais voire l’échec du projet. Et tant mieux si demain d’autres entreprises s’adressent à  SAP pour mettre en place un système similaire, Danone a et gardera son coup d’avance. Comme l’ont dit les gens de Danone :  » le plus important n’est pas le copyright mais la vitesse, la capacité à  influencer les pratiques ».

– des objectifs déraisonnables ont été assignés à  ce projet au départ selon l’adage « visez la lune, au pire vous risquez de toucher une étoile ». En 2008 Danone a visé 30% de réduction de l’empreinte carbone. L’idée étant d’inciter tout le monde a être ambitieux et ne pas passer a coté d’une opportunité, ne pas faire dans le « good enough ». Résultat : à  l’aube de 2012 les 30% sont en passe d’être atteints.

Il y a du travail…

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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