La mesure de l’influence online est elle néfaste pour le service client ?

Résumé : maintenant qu’il existe pléthore d’outils pour mesurer l’influence en ligne (ou ce qu’on imagine qu’elle est), les entreprises se voient dotées d’un outil de premier ordre pour cibler leurs messages et leurs opérations de communication. A condition, déjà , de ne pas se fourvoyer sur la notion d’influence. Par contre on sent émerger une tendance qui pourrait s’avérer dangereuse si elle se confirmait sur le long terme : utiliser un outil adapté aux opérations ponctuelles pour déterminer de manière systématique le niveau de service ou les avantages à  accorder à  un client. Avec deux risques majeurs : abaisser le niveau de service standard et perdre le lien avec le « vrai » client fidèle qui va remarquer que sa fidélité et sa contribution financière réelle sont moins valorisées que le nombre de followers twitters d’autres.

 

Maintenant que tout le monde peut exister sur internet, le réseau devient un formidable instrument pour mesurer l’influence de chacun. Un concept qui a été très bien vendu à  l’internaute lambda ainsi qu’aux entreprises. Les premiers doivent devenir influents pour exister, les secondes doivent savoir qui est influent dans leur écosystème. Et devinez quoi ? Cela tombe bien car agences et éditeurs de solutions ont tous dans leurs cartons « la » solution qui permettra de mesurer l’influence de manière objective et incontestable, permettant aux uns d’obtenir une sorte de label de reconnaissance et aux autres de cibler leurs efforts sur ceux qui le méritent (comprenez : traiter mieux et prioritairement les « influents »).

Une approche qui risque fort d’écarter les entreprises de l’essentiel et les mener dans le mur.

Commençons par parler d’influence. Cela fait des années qu’on entendu parler des « influents » du web sans qu’une définition objective n’ait émergé. Difficile d’agir quand on ne sait de quoi on parle. Avantage : chacun peut y aller de sa propre définition ce qui garantit la nature différenciante du service proposé à  tous les coups. L’influence est elle due à  la dimension de l’audience ? Tout le monde reconnait que non…mais d’un autre côté comment ne pas se laisser tenter par cette voie facile. D’un autre coté être écouté c’est bien..mais n’est-ce pas la capacité à  influencer les actes et décisions qui comptent ? Il y a un fossé entre les deux tout de même. L’influence comporte donc une forte composante liée à  la crédibilité. Effectivement. Mais comment le mesurer ? Et puis on peut se demander si l’influence n’est pas contextuelle : on ne peut être crédible sur tout. On est donc influent sur un sujet et pas sur un autre.

Quelques exemples :

Nadine a des dizaines de milliers de followers sur Twitter. Influente ? Oui pour certains, non pour d’autres qui diront qu’elle est surtout suivie de manière « négative » en raison de ses bourdes et qu’on épie surtout ses faux pas.

Robert a 200 followers. Influent ? Ah non. Mais c’est un specialiste de l’élevage de grenouilles en milieu urbain pollué sous climat polaire. Il est extrêmement influent sur sa « niche ». Mais seulement lorsqu’il parle de grenouilles.

Kevin a des milliers de followers et est très influent sur le marketing digital. A juste titre car il est reconnu par ses pairs et ses clients comme un expert de calibre international. Mais lorsqu’il parle, par exemple, de cuisine, connaissant ses goûts en la matière personne ne lui accorde de crédit. Dommage pour restaurant 3 étoiles qui l’a nourri tout le week end pour avoir l’honneur d’une mention de sa part.

Bon, on peut prendre tous les critères que l’on veut, on peut même admettre qu’on puisse être positivement influent même avec une popularité négative (si les gens vous suivent pour vous railler au moins ils vous écoutent), une chose est sure : la définition de l’influence est vague et subjective.

Il n’empêche que vu qu’il y a pléthore de services offrant de mesurer l’influence, les entreprises se demandent nécessairement ce qu’elles peuvent en faire.

Qu’avons nous vu ces derniers temps ? Des événements auxquels la participation n’était plus soumise à  une invitation en bonne et due forme mais à  la possession d’un certain score « Klout » (Klout étant un de ces outils d’évaluation de l’influence). Des entreprises qui prennent également de tels scores en compte pour prioriser leur service client et, pourquoi pas, en faire « un peu plus » pour certains. Des hôtels se servant de ces mêmes algorithmes pour surclasser un client.

Après tout, quoi de mal ? Que peut on reprocher à  une entreprise qui accorde une attention particulière à  ses clients dont l’avis est écouté, dont la voix porte davantage que les autres ? Pas grand chose en fait si on s’attache à  la seule dimension « communication ». Mais du coté « service client » elles s’aventurent sur une pente qui, faute de prendre certaines précautions, peut s’avérer pour le moins glissante.

On peut déjà  s’interroger sur la démarche qui amène à  différencier le niveau de prestation et de service selon l’influence du client. La norme, pour toute entreprise respectueuse de ses clients ne serait elle pas de délivrer, à  prix égal, un service identique. Et si possible du meilleur niveau possible ? N’est-ce pas envoyer un message fort au client « normal » que de lui dire que même s’il paie davantage, même s’il s’offre un produit ou prestation de classe supérieure, on fera toujours davantage d’efforts pour l’influent qui a payé pour une prestation standard ?

Ce qui nous amène d’ailleurs à  la distinction entre influent et (bon) client. Il y a quelques semaines j’entendais « ah…XXXX il a eu droit à  un super cadeau de la part de YYYY…super pour lui…surtout qu’il n’utilise jamais leurs services et qu’il y a peu de raisons pour que ça change. Moi je le file plusieurs milliers d’euros chaque année et j’ai quoi en retour ? Bon il a juste 6000 followers de plus que moi… ». Alors bien sur, essayer de faire de XXXX un client est plutôt louable. S’en servir uniquement comme support publicitaire en sachant qu’il y a peu de chances qu’il devienne un client régulier (peut être tout simplement parce qu’il n’a pas l’utilité du produit ou service concerné) peut être un bon coup à  court terme…mais pas plus si on essaie de regarder l’impact sur le « vrai » client. Alors peut être que l’entreprise en question n’avait pas de client au dessus de 200 followers sur twitter..et alors ? N’était-ce pas eux qu’il fallait viser en priorité et faire d’une pierre deux coups : des personnes plus « qualifiées » et des clients dont on récompense la fidélité. Cela me rappelle du jour où je parlais d’une telle opération avec l’agence qui l’organisait. « Au lieu de recruter de l’influent ‘multi usage’, vous avez pensé à  regarder qui remplissait ces critères dans la base de client fidèles de la marque ? (facile grâce à  la carte de fidélité…) ». « Heu…mais pourquoi ? A quoi ça sert ? ». « Ben si j’étais client chez eux je te dirai à  quoi ça servirait… ».

Revenons à  notre discussion de départ. Prendre en compte l’influence (pour peu qu’elle soit vraiment qualifiée…ce qui reste à  prouver) dans la gestion de sa relation client est une bonne chose à  condition de ne pas utiliser un outil adapté aux opérations de communication ponctuelles comme un critère permanent déterminant le niveau de service auquel quelqu’un a droit. Sinon attention aux dérapages qui peuvent se produire à  terme, quasi inconsciemment, si on n’y prend pas garde:

– créer un service à  deux vitesse qui entrainera in fine une dégradation du service standard pour le client lambda. Le seul fait que le client ait cette impression sans que le phénomène soit avéré entraine de facto une baisse de la valeur perçue pour lui…avec les conséquences qu’on peut imaginer.

– une dévaluation des programmes de fidélisation et, surtout, l’ire du client fidèle par rapport au traitement accordé à  l’influent de passage.

– je ne parle même pas des effets collatéraux de telles démarches sur l’internaute qui, davantage que s’investir sur sa fidélité à  une marque dans l’espoir de la voir récompensée essaiera de gesticuler avec plus ou moins de bonheur pour se construire une soit-disant influence.

Quelles précautions prendre ? Faire attention à  ce qui relève du ponctuel pour l’opération de communication ne devienne pas un standard opérationnel quotidien et, peut être avant tout, s’occuper en priorité de ses clients les plus influents au lieu d’aller pêcher des influents qui s’intéressent plus à  votre opération qu’à  vous. Bien sur cela impose de penser qualitatif avant de penser quantitatif et d’avoir optique « valeur partagée » en pensant en priorité à  ceux qui font vivre l’entreprise au quotidien…

L’influence c’est bien. Btir une vraie relation de confiance, investir dans des standards de qualité pour tous et valoriser la fidélité plus que l’influence ou même l’engagement c’est certainement un plus juste retour aux fondamentaux.

Ah…une dernière chose. Il y a des gens extrêmement influents dans la vie qui ne le sont pas online…et ont une présence en ligne très faible, voire nulle. Si…je vous promets…ça existe. Alors la question est : cherche-t-on les bons relais ou cherche-t-on à  optimiser un média, peu importe la qualité du relais. Autre débat…

 

 

 

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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